Source : à partir d’enquêtes menées auprès de salariés ou de représentants de direction, et de la littérature en gestion et sociologie des organisations, France Stratégie repère plusieurs modèles-types d’organisation du travail
4 modèles actuels sont identifiés : 2 « classiques » et 2 « modernes », car ils intègrent de nombreuses innovations organisationnelles et managériales; ils sont présents dans tous les secteurs et quelle que soit la taille de l’entreprise.
Les organisations classiques (34% des salariés en Europe mais 45% en France)) se caractérisent par une autonomie faible des travailleurs, peu d’autocontrôle, une forte répétitivité des tâches et un faible contenu cognitif dans le travail, ainsi que par la quasi-absence d’innovations organisationnelles.
–L’organisation simple (16% des salariés en Europe, 21% en France), concerne surtout des employés du secteur tertiaire (services à la personne, associations, etc.), des vendeurs, des commerciaux, mais aussi des employés et des ouvriers non qualifiés. Elle se distingue par des procédures de travail peu formalisées.
-L’organisation taylorienne (18% des salariés, 24% en France), suppose une supervision hiérarchique élevée mais partage certains traits des organisations modernes, notamment le travail en équipe (principalement sans autonomie) ou le système de rotation des tâches.
Elle est particulièrement répandue dans le secteur industriel (textile-habillement, agroalimentaire, transport, bois, etc.) concentrant le plus d’ouvriers et d’employés non qualifiés.
Les organisations modernes : « apprenante » ou « lean production » :
-L’organisation apprenante (37% des salariés) est orientée vers le travailleur et s’appuie sur une approche du travail volontariste, d’où découlent des pratiques organisationnelles et managériales participatives (décentralisation des décisions et autonomie, travail en équipe).
Plus présente dans le tertiaire, elle se caractérise par une forte autonomie procédurale des salariés (méthodes et rythme de travail), et un fort contenu cognitif des tâches (apprentissage au travail, résolution de problèmes, complexité); les salariés souvent polyvalents et participent à l’élaboration des objectifs avec la hiérarchie, disposent d’une forte autonomie, contrôlent eux-mêmes la qualité de leur travail et utilisent la technologie comme un outil d’amélioration du contenu du travail et des process de production.
-L’organisation en lean production (29% des salariés) est plus orientée vers les exigences du marché, le travailleur devant sans cesse s’adapter à des contraintes externes mouvantes, par la mise en place de pratiques performantes (management par la qualité, travail en équipe, rotation des tâches et juste-à-temps) visant une rationalisation maximale des coûts de production, via la standardisation des processus et le respect de normes. Elles concentrent le plus d’ouvriers et d’employés qualifiés. Elle se différencie toutefois par la faible autonomie procédurale accordée aux salariés (méthodes, rythme, contrôle de la qualité), avec une forte diffusion d’outils de type « management par la qualité » (normes précises à respecter) et de juste-à-temps (zéro défaut, zéro gaspillage, respect des délais, etc.).
4 types d’organisation du travail à l’horizon 2030 Plusieurs tendances de fond bousculent les formes de travail :
-un environnement économique à l’horizon de 2030 marqué par la forte intensité de la concurrence mondiale, avec un déplacement du centre de gravité du monde vers l’Asie. Les entreprises privilégieront des modes d’organisation capables de générer rapidement des produits et des services innovants et de qualité pour se différencier sur le marché mondial tout en rationalisant au maximum leurs coûts de production.
-la classe moyenne constituera la majorité de la population mondiale en 2030, avec près de 5 milliards de membres sur une population projetée de 8,3 milliards. Les pays émergents (Inde, Brésil, Mexique, pays d’Afrique, etc.) vont s’efforcer de monter en gamme en produisant moins cher des biens et services à forte valeur ajoutée.
–Le ralentissement de la croissance économique mondiale est envisagé par la plupart des travaux de prospective.
– l’avènement de l’ère du big data, avec une capacité d’analyse et de collecte des données décuplée, le développement de l’automation et des technologies manufacturières avancées, la diffusion massive des NTIC et des terminaux portables; en 2013, 67% des salariés déclaraient travailler plus souvent de manière collaborative et en réseau ouvert grâce aux NTIC et 57% travailler de plus en plus avec des collègues distants géographiquement.
-ces innovations se généraliseront d’autant mieux qu’elles seront stimulées par l’élévation du niveau d’éducation, favorable à une autonomisation croissante des individus. La combinaison de toutes ces dynamiques engendrera une complexité que les entreprises devront gérer au quotidien, avec une tension forte entre la gestion à court terme (rationalisation des coûts, réactivité, etc.) et à long terme (capital humain, notamment).
Pour l’entreprise, cela nécessitera des systèmes de prise de décisions rapides et performants, des structures organisationnelles plus souples, pouvant impliquer des transformations radicales.
De ces faits
1 Ces tendances lourdes sont favorable aux organisations apprenantes : sur le plan organisationnel, leur mise en oeuvre implique un processus d’apprentissage continu et une diffusion rapide des meilleures pratiques et suppose de valoriser l’ensemble de l’équipe multidisciplinaire; au centre de ces systèmes intégrés se trouve le gestionnaire, chargé de coordonner les interventions et les actions de tous les acteurs; Il s’appuie sur une architecture informationnelle « participative », avec une base de données constamment mise à jour pour garantir une prise de décision fondée sur des données probantes, en utilisant les possibilités offertes par les technologies. Apparaissent de nouveaux métiers.
2 Autre type : la plateforme collaborative virtuelle Ce modèle, issu de la diffusion de nouvelles technologies numériques (big data, réseaux sociaux, etc.) donne naissance à une variante de l’organisation apprenante : la plateforme collaborative virtuelle; celle-ci pourrait s’imposer dans de nombreux secteurs d’activité à forte valeur ajoutée.
Ces plateformes permettent d’éclater les différents services (la recherche et développement, le management, le design, le marketing, la production, etc.) tout en les reliant par des espaces de travail virtuels; les entreprises minimisent ainsi leurs coûts
– en infrastructures, en acquisition de compétences, en collecte d’informations, etc.
– et accélèrent les interactions avec une multitude d’acteurs
– employés, clients, consommateurs, etc.
– autour d’un projet spécifique; en cas de besoin, on peut facilement recourir à des compétences externes ou mobiliser en interne des équipes de taille variable, y compris sans rémunération (échange de produit/service); de plus, une personne pourrait travailler chez plusieurs employeurs;
Chaque individu pourrait être sa propre entreprise sous-traitante et vendrait sa force de travail sur les plateformes; la concurrence serait sans doute féroce.
Les clients, très renseignés sur la concurrence via les plateformes comparatives sont aussi appelés à intervenir, y compris dans la conception du produit. Outre l’apprentissage, les relations hiérarchiques et la localisation du travail, ces plateformes virtuelles risquent de modifier les systèmes de rémunération et jusqu’à la notion de propriété du savoir.
La rémunération est par définition entièrement variable et fondée uniquement sur le résultat. Les participants au projet ne sont plus payés en fonction du temps consacré mais de l’atteinte d’un objectif fixé par l’entreprise. Les plateformes collaboratives et le travail en communauté changent aussi la manière d’évaluer le travail.
Dans un modèle « uberisé », les entreprises pourraient recruter pour une courte période des candidats déjà évalués par d’autres et gagner ainsi du temps dans la sélection des candidats. Le niveau d’incertitude est diminué, de même que l’aléa moral lié à un contrat de travail stable
3 le super intérim L’innovation technologique, pourraient favoriser la croissance d’organisations simples mais sous forme d’un « super-intérim » ultra-flexible. Appuyé sur des réseaux de communication très rapides, ce modèle se généraliserait dans les secteurs qui connaissent des pics de demande de courte durée : on pourrait ici assister à la fin du modèle « employeur unique/contrat de travail unique “; ce type pourrait donner naissance à une société à deux vitesses, avec une « technoélite » bien intégrée et un « techno-prolétariat » dévolu aux tâches à faible valeur ajoutée.
4 Le taylorisme new age La révolution en matière d’automation et de technologies est susceptible de changer radicalement les modes de production, voire de faire disparaître certaines usines; avec l’imprimante 3D, par exemple, le consommateur pourra fabriquer des produits directement à la maison.
La recherche d’une plus grande complémentarité entre l’autonomisation du travail et le capital humain pourrait annoncer la convergence de la lean production avec une organisation apprenante combinant le management japonais par la qualité et le modèle sociotechnique à la suédoise fondé sur l’apprentissage continu. “
L’efficacité d’une technologie ne repose pas uniquement sur la puissance de ses algorithmes, mais sur sa capacité à être utilisée par tous; de cette capacité dépendrait le confort de travail, la montée en compétences et la participation active à l’amélioration continue des processus de production. La performance de la lean production serait tributaire de la complémentarité productive entre les innovations technologiques et le capital humain; si elle atteint cette complémentarité, la lean production pourrait bien basculer vers l’organisation apprenante”.