Source : la commission des finances de l’Assemblée nationale a saisi le Conseil des Prélèvements Obligatoires (CPO), pour observer les écarts d’imposition sur les bénéfices en fonction de la taille des entreprises, en ce qui concerne l’impôt sur les sociétés (IS) et la contribution sociale sur les bénéfices (CSB).
Une approche difficile d’un sujet fort complexe dont la presse n’a retenu que le resserrement des taux d’imposition, sans souligner l’écart persistant et les raisons de ces écarts.
Malgré un resserrement des taux d’imposition entre les tailles d’entreprises, la différence d’imposition demeure du fait notamment des crédits d’impôt recherche et d’une meilleure réactivité des plus grandes entreprises pour saisir les opportunités fiscales.
⇒ Quid des taux d’imposition à l’IS ?
♦ Au 1er janvier 2023, le taux normal de l’IS en France est de 25% : les entreprises réalisant un chiffre d’affaires d’au moins 7,63 M€ et dont l’IS dépasse 763 000€ sont également redevables de la contribution sociale sur les bénéfices (CSB) qui représente 3,3 % de l’IS dû.
Noter que l’IS et la CSB comptent pour 46% dans les impôts directs versés par les entreprises, 7% venant de l’IR, et par ailleurs 18% des taxes sur les salaires et d’apprentissage, 12% des taxes foncières, 8% de la CVAE et de C3S, 8% d’impôts sur le capital.
♦ Entre 2007 et 2019, le taux d’IS des grandes entreprises a légèrement augmenté, de 23,4 à 25,9% (+2,4 points). Cette évolution s’explique principalement par un effet plus faible de la déductibilité des intérêts d’emprunt. De plus, la déductibilité des charges financières a été plafonnée, de même que les versements au profit du mécénat. Le report des déficits sur les exercices suivants a été limité à 50% des déficits constatés, au-delà du 1er million. En cas de cession de l’entreprise, le droit au report est perdu. Enfin, les conditions d’exonération des plus-values de cession ont été durcies.
Noter que l’incertitude concernant le taux d’imposition effectif des bénéfices était le premier facteur explicatif fiscal des décisions d’investissement et de leurs choix de localisation pour les grandes entreprises. Depuis la fin 2008, ce taux a été modifié à 26 reprises.
♦ Un taux réduit de 15% s’applique aux PME, détenues à au moins 75% par des personnes physiques et ayant un chiffre d’affaires inférieur à 7,63M€, pour la fraction du bénéfice inférieure ou égale à 42 500€ (760 000 entreprises bénéficiaires).
Entre 2018 et 2022, la France a ramené le taux normal de l’IS de 33 à 25% des bénéfices, alors qu’un taux réduit de 15% est en vigueur pour les PME ; mais la non revalorisation du seuil de chiffre d’affaires et du plafond de bénéfice de leur taux réduit a progressivement limité cet avantage.
♦ Les redevables à l’IS se répartissaient en 2019 entre 300 grandes entreprises, 7 000 ETI, 194 900 PME et 1,81 million de TPE. Au sein de ces redevables, seules les entreprises bénéficiaires acquittent l’IS. La proportion d’entreprises bénéficiaires était la plus élevée chez les grandes entreprises (76%), suivies à distance par les ETI (69%) et les PME (65%), enfin par les TPE (48%).
Les grandes entreprises étaient redevables, en 2019, de 38% de l’IS brut, les ETI de 21%, les PME de 25% et les microentreprises 16%
⇒ Les écarts de l’IS entre tailles d’entreprise
♦ Les écarts d’imposition entre entreprises sont d’abord déterminés par la rentabilité financière de celles-ci.
En 2019, le taux de marge était de 27,1% pour les entreprises des secteurs principalement marchands non agricoles et non financiers. Cette moyenne est cependant tirée vers le haut par les entreprises sans salarié, alors que le taux de marge médian des entreprises employeuses était de 19,2%.
Par catégorie d’entreprises employeuses, le taux médian était plus élevé pour les ETI (22,3%), suivi des TPE (19,8%), des grandes entreprises (19%) et enfin des PME (15,8%).
♦ Mais la rentabilité financière est plus élevée pour les PME : malgré des taux de marge plus élevés, les grandes entreprises et les ETI, plus capitalisées, ont ainsi une rentabilité financière plus faible que les PME (9% en 2019 pour les PME, contre 6,5% pour les ETI et 8% pour les grandes entreprises).
♦ La variabilité des taux de marge est plus importante entre secteurs d’activité que d’une catégorie d’entreprises à l’autre. En 2019, le taux de marge moyen était de 65% dans l’immobilier, 30% dans l’industrie, 26% dans le commerce, 24% dans les services (hors immobilier) et le transport et seulement 21% dans la construction.
Cette variabilité des taux de marge entre secteurs se reflète également au niveau des taux de profit avant impôt : 15,5% dans l’immobilier, 9% dans les services (hors immobilier), 6,9% dans l’industrie, 5,5% dans la construction, 3,4% dans le transport et 2,7% dans le commerce.
♦ Le croisement de la profitabilité des entreprises par secteur et par catégorie permet de mettre en évidence des situations très hétérogènes :
– dans l’industrie et les services (hors immobilier), la profitabilité des grandes entreprises et des ETI est nettement supérieure à celle des PME et des TPE,
– la situation est inversée dans la construction, les transports et l’immobilier,
– dans le commerce, la profitabilité est peu liée à la taille de l’entreprise.
♦ Ainsi les taus d’IS par catégories d’entreprises se sont fortement resserrés entre 2007 et 2019, en raison notamment de la limitation des avantages tirés par les grandes entreprises de la déductibilité des charges financières, et de la baisse du taux normal de l’IS, centrées sur les PME et les ETI en 2018 et 2019.
⇒ Quelques autres éléments à considérer.
♦ L’existence d’un taux réduit pour les PME incite à des stratégies d’évitement de l’impôt : pratiques de « pilotage » du résultat imposable, organisation de groupes en entités de petite taille pouvant afficher un chiffre d’affaires et un bénéfice inférieurs au seuil d’imposition à 15%, choix de l’arbitrage. entre le recours à l’IS plutôt qu’à l’IR.
♦ Les grandes entreprises bénéficient du régime de l’intégration fiscale permettant à 36 000 groupes fiscaux de déclarer un résultat commun dès lors qu’une société mère imposable en France détient directement ou indirectement 95% au moins du capital des filiales. Les grandes entreprises perçoivent alors une fraction des crédits d’impôt supérieure à leur poids dans l’IS brut.
♦ Les taux d’imposition définis ici, ne prennent pas en compte les crédits d’impôts. Or les grandes entreprises recevaient 42% des crédits d’impôt en 2019, alors qu’elles n’étaient redevables que de 38% de l’IS brut. La proportion des crédits d’impôt dont bénéficiaient les ETI et les PME étaient proches de leur contribution à l’IS, alors que les TPE redevables de 16% de l’IS brut ne recevaient que 9% des crédits d’impôt.
Les grandes entreprises redevables à l’IS bénéficiaient toutes en 2019 d’au moins un crédit d’impôt contre 61% des ETI, 30% des PME et seulement 8% des TPE.
Les grandes entreprises captaient 45% des crédits d’impôt (les ETI et les PME respectivement 27 et 28%) et réalisaient 52% des dépenses de recherche, d’innovation.
Pour en savoir davantage : https://www.ccomptes.fr/fr/documents/65181
Un complément issu de la conclusion d’Eric Coquerel dans le rapport de l’Assemblée Nationale consacré à cette question (publication juillet 2023).
“L’écart du taux implicite d’imposition des bénéfices des grandes entreprises et des entreprises de plus petite taille s’est largement réduit depuis 2012, selon les études réalisées par l’IPP, le Conseil des prélèvements obligatoires ou la Direction du Trésor sur la période 2005-2019. Selon cette dernière, il s’élevait en 2019 à 27,5% pour les PME et à 25,9% pour les grandes entreprises, soit un écart de 1,6 points, contre près de 10 points en 2007.
Les principales études ayant porté sur ce sujet (celle de la direction générale du Trésor en 2011, du CPO en 2017, de l’IPP en 2019, de l’Institut Rexecode en juillet 2023) confirment, malgré leurs divergences de méthodes, que le taux implicite de taxation des bénéfices des grandes entreprises était significativement inférieur à celui des entreprises de plus petite taille.
Cette convergence provient essentiellement, en France et au niveau international, de dispositifs dont bénéficient surtout les grands groupes : optimisation fiscale, déductibilité des charges d’intérêts, impôt mécénat, régime d’intégration fiscale, régime “mère-fille” (qui permet sous certaines conditions d’exonérer les dividendes versés à la société mère), convergence encore de l’assiette, du taux et des règles régissant l’impôt sur les sociétés avec les autres États de l’Union européenne.
Cette convergence masque toutefois une grande variété de situations. Le taux moyen d’IS (impôt sur les sociétés) des entreprises du CAC 40 s’élevait en moyenne à 25% en 2021. Mais “certaines de ces entreprises s’acquittent d’un impôt sur les sociétés bien inférieur à ce qui aurait pu être attendu au regard de leur résultat fiscal”. Pour 13 d’entre elles, le rapport entre le montant d’IS déclaré et le résultat fiscal est inférieur à 7%. Pour deux, ce taux est proche de 0%.
Les distorsions entre grandes et petites entreprises proviennent également de “leur capacité plus ou moins grande à se saisir des mécanismes d’allègement prévus par la loi” tels que les dispositifs de réduction de base ou de taux, de report des déficits, ou de crédits d’impôts.
S’ajoutent des pratiques d’évitement fiscal : 3 principaux types d’instruments sont utilisés :
– la manipulation des prix de transfert dans les échanges entre filiales,
– le transfert de dettes intragroupes dans des territoires à fiscalité faible,
– la localisation des actifs incorporels (brevets, propriété intellectuelle de manière générale) dans des territoires à fiscalité faible.
Pour en savoir davantage : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion_fin/l16b1538_rapport-information.pdf