56% des docteurs sont en emploi (contre 63% pour l’ensemble de bac+5), et 40% en recherche d’un autre emploi que leur premier emploi (souvent post doc ou en mission lors de la thèse) : profil et modalités d’insertion.


« Le devenir professionnel des jeunes docteurs : quel cheminement, quelle insertion 5 ans après la thèse ? », APEC, les dossiers de l’emploi cadre N° 2014-57, octobre 2014

 L’étude repose sur une enquête qualitative menée conjointement auprès 33 docteurs, diplômés de différents types d’établissement à Paris/région parisienne et en province, dans toutes les disciplines sauf la médecine, et ayant soutenu leur thèse en 2009 et 24 entretiens auprès de managers de proximité et de directeurs ou responsables des ressources humaines ayant recruté au moins un docteur au cours des cinq dernières années. Les secteurs d’activité des entreprises interrogées sont variés, comme les tailles d’entreprise.

Le terrain qualitatif a été réalisé par Asdo Etudes en mai et juin 2014.

 

L’insertion dans l’emploi : 56% sont en emploi, contre 63% pour l’ensemble de bac+5, 4% seulement étant à la recherche d’un premier emploi (contre 29%) ; le niveau de 96% étant en emploi ou à la recherche d’un nouvel emploi s’explique par le fait que les doctorants occupent souvent un emploi pendant la réalisation de leur thèse (missions d’enseignement ou de recherche en lien avec le doctorat), post doctorat ou exercent des emplois alimentaires ; mais seulement 43% de ceux qui sont en emploi, sont en CDI ou titularisés. Toutefois, 87% sont cadres ou fonctionnaire A.

43% ont choisi le secteur public, où ils occupent surtout des emplois non pérennes (89% y sont en CDD ou contractuels, contre 26% dans le privé).

 

Plusieurs facteurs peuvent faciliter l’orientation vers la thèse :

L’environnement familial et de l’origine sociale des docteurs avec des parents enseignants ou issus de la fonction publique, voire chercheurs eux-mêmes, qui leur ont transmis non seulement le goût pour la recherche et une culture du fonctionnariat et du service public, mais aussi des codes sociaux et une connaissance des bonnes filières pour accéder à la voie de la recherche ; l’univers des possibles se limite souvent à la voie du secteur public.

– la revanche sociale de certains issus de milieux populaires : ce sont de bons élèves, avec des parcours marqués par la réussite scolaire, pour lesquels la thèse est un moyen d’aller au bout de leur cursus de formation ; il s’agit d’atteindre le niveau de diplôme le plus élevé possible.

– le passage par une grande école, comme les grandes écoles de commerce et de gestion (HEC, ESCP, ESSEC…), les écoles normales supérieures (Paris, Cachan, Lyon) ou encore polytechnique, qui sont des institutions

– Le métier de chercheur, et la représentation qu’on s’en fait, est attirant : la passion pour un sujet, l’expertise dans un domaine et la liberté intellectuelle composent une image attrayante de l’universitaire et du monde académique.

– l’influence des enseignants-chercheurs dans le choix de s’engager dans un doctorat s’avère souvent déterminante.

 

La thèse peut également constituer un moyen de différer son entrée sur le marché de l’emploi.

Bien souvent, le projet professionnel se construit progressivement, au fil des opportunités qui se présentent aux étudiants, et ce de manière très empirique.

 

Une typologie en 4 groupes qui aide à comprendre l’insertion dans le monde du travail :

– les docteurs par hasard pour lesquels la thèse n’est pas tant le prolongement logique d’un parcours qu’une possibilité d’approfondir à un moment donné un sujet intéressant ; c’est également un moyen de retarder l’entrée sur le marché du travail ; la thèse devenant une fin en soi, l’insertion professionnelle n’est pas du tout anticipée.

 

les docteurs par évidence pour lesquels la thèse est la «suite logique» d’un parcours universitaire, notamment en sciences humaines et sociales, et par conséquent une insertion dans le secteur public (notamment enseignants-chercheurs).

 

– les docteurs par stratégie pour lesquels la thèse est associée à des attentes précises en matière d’insertion professionnelle (devenir maître de conférences, accéder à des postes à responsabilité dans la R & D dans le secteur privé) ; plus que les autres, ils ont anticipé leur insertion professionnelle via le choix du sujet de thèse, d’un CIFRE pendant la thèse pour préparer leur avenir.

 

– les docteurs par vocation pour lesquels la thèse correspond à des aspirations profondes ; ce sont des profils brillants, qui présentent une vraie vocation intellectuelle ; le projet de doctorat est envisagé depuis plus longtemps, et se traduit pat l’ambition de devenir maîtres de conférences, enseignants-chercheurs ; pour autant, leur insertion professionnelle reste peu anticipée, parce qu’ils sont assez confiants sur leur avenir professionnel.

 

Les anticipations professionnelles sont ainsi quasi inexistantes avant l’année de master 2, voire la toute fin du master 2 ; avec le recul, nombreux sont les docteurs qui reconnaissent avoir fait preuve de naïveté voire d’inconscience en s’engageant dans une voie dont ils connaissent peu les codes, les difficultés et les autres opportunités professionnelles possibles en dehors des postes (de plus en plus rares) de maîtres de conférences.

 

Les passerelles entre doctorat et secteur privé sont jugées utiles mais trop peu exploitées :  beaucoup d’universités organise des Doctoriales, afin de mettre en contact les doctorants avec le monde de l’entreprise et leur donner des clefs de compréhension et de préparation à l’insertion professionnelle dans le secteur privé ; nombre de futurs docteurs ne s’investissent pas dans ces types de modules, leur préférant les formations et séminaires ayant trait à la valorisation de leurs travaux, où expriment souvent leur scepticisme face à ce type d’offre.

Certains  auraient souhaité être davantage informés et mieux sensibilisés pendant leur thèse vis-à-vis des débouchés en dehors de la recherche publique, notamment les docteurs n’ayant pas trouvé de poste satisfaisant dans la recherche publique.

 

Par contre, la plupart des docteurs indiquent avoir été bien entourés par leur directeur de recherche et par les équipes de leur laboratoire au cours de leur thèse, mais un encadrement qui portait quasi exclusivement sur les aspects scientifiques propres aux travaux de recherche (méthodologie, analyse, conseils de rédaction, etc.).

Les doctorants envisageant une insertion dans la recherche publique peuvent s’appuyer davantage sur cet environnement académique, l’encadrement étant souvent de bon conseil pour anticiper la qualification de leur thèse, notamment en encourageant la publication d’articles scientifiques pendant la thèse, et l’insertion dans les réseaux professionnels de la recherche publique (en incitant la participation à des colloques, à des comités de relecture de revues, etc.).

 

Le manque de connaissance vis-à-vis du marché de l’emploi peut participer à nourrir chez les docteurs une opposition symbolique très forte entre deux mondes, celui de la recherche publique et celui du secteur privé ; ces représentations peuvent certes paraître assez caricaturales, mais elles n’en restent pas moins déterminantes dans les choix de parcours professionnels. Dans le milieu académique, le chercheur évoluerait dans un monde peu contraint et disposerait d’une totale liberté intellectuelle (choix des sujets de recherche, esprit critique), et aurait peu de comptes à rendre ; à l’inverse, la recherche en entreprise se caractériserait par une totale dépendance vis-à-vis d’impératifs financiers, réduisant une forte hétéronomie du chercheur (thèmes de recherche imposés, rythme intensif, échéances à respecter). Toutefois, ceux qui se projettent vers les emplois du secteur privé expriment la perspective inverse.

 

La plupart des docteurs interrogés qui se destinaient à une carrière dans le public avaient effectué un contrat post-doctoral trouvé rapidement, grâce à l’appui de leur directeur de thèse ou au réseau qu’ils ont constitué ; faire un post-doctorat répond à la volonté de valoriser une expérience à l’étranger, vecteur d’échange de connaissances et d’enrichissement, à même d’améliorer la qualité des recherches menées, à travers l’émulation et le croisement des points de vue et méthodes scientifiques ; le post-doctorat constitue ainsi très souvent un passage obligé ; il est aussi perçu par certains comme un symptôme de leur précarisation.

 

Cinq profils-types ont ainsi été distingués au regard de l’emploi :

 

– Les « conquérants » : satisfaits de leur poste actuel, ils envisagent des évolutions à leur carrière, et ne se projettent pas « à vie » dans la recherche publique ou dans un poste d’enseignant-chercheur. Ils imaginent des évolutions dans d’autres institutions, dans d’autres pays, se projettent du côté de la création d’entreprise ; ils ont développé des contacts avec le monde de l’entreprise privée où ils font état d’expériences significatives.

 

– Les « épanouis » occupent le poste qu’ils envisageaient lors de la dernière partie de leurs études supérieures, dans la recherche publique ; on y retrouve plusieurs profils plutôt brillants, issus de grandes écoles, pour lesquels la thèse allait de soi ; ils ont développé des stratégies très actives en matière de publications, de participation à des réseaux, de choix de post-docs ; ils se projettent dans la recherche publique sur le très long terme.

 

– Les « évolutifs », peu nombreux, ont assez facilement trouvé un poste d’enseignant-chercheur, mais ont déjà amorcé une réorientation professionnelle ; pleinement satisfaits de leur situation professionnelle actuelle, ils ont souvent développé une autre activité en parallèle par opportunité (par exemple, activité de conseil).

 

– Les « frustrés » ont, aux yeux de leur entourage, réussi leur insertion professionnelle, mais décrochent suite à l’obtention de leur doctorat un poste qui ne les satisfait pas pleinement et ne correspond pas à leurs ambitions, ni en termes intellectuels, ni en termes de salaire ; le contenu de leur travail, même s’il est en rapport avec leur diplôme et leurs compétences, ne leur semble pas stimulant ; un sentiment d’échec latent émerge ; leur situation exigerait aujourd’hui un bilan professionnel approfondi, de nouveaux choix, une mobilité voire une nouvelle formation.

Notons que les doctorants issus de milieux populaires sont assez représentés dans la typologie des déclassés et frustrés ; ils semblent victimes d’un « syndrome du bon élève », de la méritocratie par le travail acharné et de la méconnaissance des codes et des clés pour réussir leur parcours initial ; l’éventualité de se constituer un réseau n’est non seulement pas envisagée mais relèverait du « copinage » et d’une transgression de l’éthique et des règles du jeu.

 

– Les « déclassés », très proches des « frustrés » en termes de trajectoire initiale, occupent toutefois des postes qui ne correspondent ni à leur formation initiale, ni à leurs compétences, ni à leur niveau d’études.

 

Les facteurs de succès et d’échec dans les trajectoires des docteurs :

– Le facteur discipline importe : être issu d’une filière scientifique ou de gestion paraît plus facilitant qu’être diplômé d’une filière sciences humaines et sociales.

– Deux autres variables semblent déterminantes : la capacité à construire une stratégie reposant elle-même sur un projet, et la constitution d’un réseau.

 

Les docteurs vus par les entreprises

Les recruteurs des entreprises s’adressent aux écoles, notamment celles d’ingénieurs, et plus rarement aux universités ; toutefois, certaines entreprises entretiennent des partenariats privilégiés avec les laboratoires de recherche qui permettent une présélection particulièrement vraie pour l’ouverture d’un poste en CIFRE.

 

 Le recrutement d’un docteur peut renvoyer à une véritable stratégie, mais peut également être le fait du hasard ou d’une opportunité qui s’est présentée.

– le recrutement par hasard est le cas de figure dans lequel le doctorat est le moins valorisé, n’étant pas un prérequis ;  la thèse n’est ni un plus, ni un moins, c’est la formation initiale du docteur (école d’ingénieurs, master, diplômes spécialisés…), sa personnalité, qui jouent dans le recrutement.

– le recrutement d’un docteur par opportunité financière pour bénéficier du crédit impôts-recherche

le recrutement d’un docteur pour accéder à un réseau des ressources au-delà des aides financières directes ; certaines petites et moyennes entreprises recrutent des docteurs dans la perspective de se créer un réseaud’expertise leur permettant de valoriser leur activité et/ou leur production, par des partenariats avec un laboratoire de recherche. Le chercheur apporte la crédibilité scientifique de l’entreprise, un gage de sérieux et de confiance vis-à-vis de leurs clients ; il contribue indirectement à la communication externe de l’entreprise et au son positionnement stratégique.

– le recrutement d’un docteur sur une niche : le cursus et la spécialisation des docteurs sont déterminants (compétence précise sur un champ d’expertise donné et très délimité) ; le doctorat est un prérequis pour le poste.

– le recrutement d’un docteur expert où la clé d’entrée du recrutement est le sujet de la thèse, la spécialisation, les méthodes développées (docteurs-ingénieurs, recrutés par des grands groupes avec des services de R&D dédiés, qui développent la recherche industrielle, mais aussi la recherche fondamentale (chimie par exemple) ; pour les entreprises implantées à l’international, le doctorat est par ailleurs incontournable, dans la mesure où il est associé à une expertise reconnue

 

Le recrutement de docteurs, atouts et freins

L’expertise scientifique de fond dans un domaine donné est la première plus-value que les entreprises associent aux docteurs (spécialisation sur une thématique, maîtrise technique, connaissances en termes de méthodologie), à laquelle s’ajoute l’idée qu’il faut un certain courage pour faire une thèse (implication dans la durée), et donc sa motivation, sa capacité d’autonomie, et de gestion de projet.

Leur recrutement suscite aussi des craintes : le profil de chercheur déconnecté des réalités, le peu d’expérience en entreprise, le rythme (celui de la recherche n’est pas celui au quotidien de l’entreprise), les motivations à intégrer le privé (candidats par défaut).