Les effets obtenus des aides indirectes et directes à l’innovation semblent plus forts dans le cas des PME et des jeunes entreprises.
⇒ De quoi parle-t-on ?
Les incitations fiscales à la R&D constituent des aides dites « indirectes » à l’innovation. Elles reposent sur des critères objectifs d’éligibilité reposant sur la nature des dépenses ou des revenus de R&D. L’ensemble de ces aides indirectes sont basées sur les déclarations des entreprises.
Les types d’aides :
♦ Le CIR, son évolution : stabilité du montant annuel autour de 500M€de 1991 à 2003, puis forte augmentation à partir de 2004 pour dépasser les 7Md€ en 2019. En parallèle, le nombre de déclarants a été décroissant au cours des années 1990, passant de 8 809 en 1991 à 5 833 en 2003, puis a fortement augmenté pour atteindre plus de 25 000 entreprises déclarantes en 2014, un nombre relativement stable depuis.
♦ Créé en 2004, le dispositif JEI a pour objectif de favoriser la création et soutenir les jeunes entreprises innovantes (entreprises de moins de 8 ans et plus de 15% de charges fiscalement déductibles dédiées aux dépenses de R&D), au travers de réductions fiscales et d’exonérations de cotisations sociales employeurs pour les emplois affectés à des travaux de R&D et d’innovation et ce pour seules PME indépendantes. Il a progressé de 59M€ en 2004 à 202M€ en 2017 (191M€ d’exonérations sociales et 11M€ d’allègements fiscaux).
♦ Le patent box, parfois appelé intellectual property box repose non plus sur les dépenses de R&D et d’innovation mais sur les recettes (les revenus tirés de la propriété intellectuelle), disposant de taux d’imposition réduits. Selon le type de patent box mis en place, ces revenus peuvent couvrir des redevances, des droits de licence, des bénéfices sur la vente de propriété intellectuelle, des ventes de biens et de services incorporant la propriété intellectuelle, etc. Ce dispositif ne concerne que quelques centaines d’entreprises et son coût fiscal est relativement fluctuant dans le temps, passant de 730M€ en 2007 à 186M€ en 2016, puis 586M€ en 2019.
♦ Enfin, d’autres aides fiscales de soutien à la R&D et l’innovation existent en France telles l’orientation de l’épargne vers le capital-risque afin de financer les PME innovantes par des réductions d’impôt aux particuliers pour la souscription de part de FCPI (de 18% de l’investissement, avec un plafond), avec un faible coût pour l’État.
Si les montants totaux du CIR et des JEI sont très inégaux, leur poids relatif (87,4% pour le CIR, 10,3% pour le patent box et 2,3% pour le JEI) est tout à fait différent du point de vue des entreprises bénéficiaires (63% des aides indirectes proviennent du CIR et 37% du dispositif JEI).
♦ En Europe, partant d’une vision très majoritairement verticale du processus d’innovation au début des années 2000 reposant principalement sur des aides directes, les pays européens ont progressivement promu une vision davantage horizontale du processus d’innovation, dans lequel les entreprises orientent elles-mêmes leurs choix de R&D en s’appuyant sur les incitations fiscales mises en place.
Contrairement au cas européen, le poids des aides indirectes à la R&D dans le PIB a légèrement baissé aux États-Unis au cours des années 2000.
⇒ Évaluation de l’efficacité des aides fiscales à la R&D
♦ Principaux résultats à l’international :
L’étude de l’impact des aides à la R&D privée a fait l’objet d’une très importante littérature économique au cours des 30 dernières années. Si l’objectif final des aides indirectes à la R&D est de conduire à davantage de produits de la R&D (brevets, innovations, etc.), un objectif intermédiaire est l’augmentation des dépenses de R&D privées.
L’OCDE (2020) met en évidence un multiplicateur de 1,4 pour les entreprises ayant entre 10 et 49 employés, de 1 pour celles ayant entre 50 et 249 employés, et de 0,4 pour celles ayant plus de 250 employés. Ce constat est similaire si, plutôt que considérer l’emploi, on considère le montant initial de R&D dépensé : les entreprises faisant initialement moins de R&D sont plus à même de profiter de l’incitation fiscale, de même que les jeunes entreprises.
Les contextes nationaux, et notamment les institutions de recherche existantes, ont des effets sur l’efficacité des aides à la R&D : l’OCDE (2020) met en avant un multiplicateur inférieur à 1 en France, en Italie et supérieur à 1 en Norvège, Belgique et Suède, tandis que Sterlacchini et Venturini (2019) montrent que le multiplicateur serait de 1,5 pour l’Italie et le Royaume-Uni mais seulement de 0,7 pour la France.
♦ En France : évaluation du CIR.
la littérature semble converger vers un effet d’entrainement proche de 1 : un euro supplémentaire de dépense de R&D pour un euro supplémentaire de CIR, avec des estimations qui varient entre 0,7 et 1,5.
Deux limites à l’enquête R&D du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) :
-L’enquête R&D ne permet pas d’étudier les petites entreprises et ne donne donc des résultats
que pour les moyennes et grandes entreprises.
-Pour obtenir le maximum d’aides et alors que le montant de R&D est déclaratif, les entreprises peuvent reclassifier des emplois non R&D à la frontière de la R&D en emploi R&D.
Plus récemment, Bach et al. (2021) s’intéressent à un nombre important de variables, à la fois sur les intrants de la R&D (emploi d’ingénieurs), les produits de la R&D (brevets) mais aussi les variables d’activité économique (chiffre d’affaires, investissement). La méthodologie employée ne consiste pas en une comparaison entre entreprises bénéficiaires et non bénéficiaires du CIR, mais s’appuie sur les entreprises bénéficiaires du CIR avant la réforme de 2008, et celles post 2008. Ils montrent qu’une hausse du montant de CIR conduit à augmenter l’emploi des ingénieurs au sein de l’entreprise même si leur part dans la main d’œuvre totale est stable. Par ailleurs, la probabilité de déposer un brevet est inchangée. Ensuite, les performances économiques de l’entreprise évoluent de la façon suivante : hausse de l’investissement incorporel, de la part des salaires dans la valeur ajoutée et du chiffre d’affaires, mais pas d’effet sur la valeur ajoutée ou l’investissement total. Enfin, il est crucial de noter que ces effets proviennent majoritairement des TPE et PME.
La direction générale du Trésor (Le Gall et al., 2021) a évalué que la réforme du CIR aurait permis une hausse de l’activité de 0,5 points de PIB et la création de 30 000 emplois en 15 ans. Sur le long terme, les effets seraient respectivement de 0,8 points et 60 000 emplois.
♦ En France toujours, évaluation du dispositif Jeune entreprise innovante (JEI) :
Plusieurs éléments rendent son évaluation délicate : ce dispositif est cumulable aussi bien avec le CIR qu’avec les aides directes de Bpifrance ou l’appartenance à un pôle de compétitivité (parmi les entreprises bénéficiaires du dispositif JEI créées après 2004, 85% cumuleront ces aides au moins avec le CIR, et 59% avec le CIR et les aides directes Bpifrance. La conception du dispositif, réservé aux entreprises de moins de 8 ans, intensive en R&D, conduit à disposer de peu d’observations sur les entreprises bénéficiaires.
Malgré ces difficultés, la plupart des études concluent à un effet positif sur l’emploi, total ou dédié à la recherche. Par contre, plus le recours au dispositif est tardif au cours du cycle de vie de l’entreprise, et moins l’effet est important.
♦ Le dispositif de patent box a été relativement peu évalué, aussi bien en raison de l’accès difficile aux données fiscales nécessaires que du très faible nombre de bénéficiaires (quelques centaines chaque année).
⇒ État des lieux et évaluation des effets des aides directes en France
la France compte de nombreux opérateurs qui gèrent une multitude de dispositifs d’aide directes, Bpifrance en demeure l’acteur principal.
♦ Les aides individuelles aux entreprises ont pour principal objectif d’aider ces dernières à développer leurs activités d’innovation et constituent le dispositif historique de soutien à l’innovation utilisé par Bpifrance et les institutions l’ayant précédé (Oséo, Anvar). Ces aides ciblent des projets portés par des TPE, PME ou ETI ayant pour objectif le développement de produits, procédés ou services innovants présentant des perspectives concrètes d’industrialisation et de commercialisation.
Les aides couvrent les dépenses internes ou externes directement liées au développement de l’innovation (mise au point de prototype, installations pilotes ou de démonstration, etc.) et peuvent prendre la forme d’une subvention, d’une avance restituable à l’opérateur sous condition de réalisation d’un certain niveau de chiffres d’affaires, ou d’un prêt à taux zéro. Le niveau de l’aide peut couvrir de 25 à 65% de l’assiette des dépenses retenues, ce taux étant déterminé par Bpifrance en fonction de plusieurs critères comme l’état d’avancement du projet, son niveau de risque et le profil de l’entreprise. Afin d’être éligibles aux aides Bpifrance, les demandes de financement de projets doivent être déposées avant les premières dépenses de R&D et d’innovation. L’aide est ensuite versée progressivement, la réalisation effective des dépenses étant contrôlée avant chaque nouveau versement.
France Stratégie (2020) annonce un montant moyen annuel de 400M€ et 2 600 bénéficiaires en moyenne chaque année entre 2005 et 2016. France Stratégie met en avant un effet positif des aides individuelles sur les dépenses de R&D et notamment du personnel de R&D, et des performances économiques des bénéficiaires au cours des trois années suivant l’obtention de l’aide.
♦ Les aides aux projets collaboratifs de R&D visent à subventionner des projets collaboratifs entre entreprises pouvant inclure des partenaires de la recherche publique. Cette collaboration entre acteurs de la R&D permet aussi bien une mutualisation des efforts financiers et humains qu’un partage des risques. Ces coopérations correspondent généralement à des projets plus ambitieux, plus risqués et situés plus en amont.
2 situations :
-La 1ére est antérieure à la crise économique de 2008, avec pour objectif d’inscrire la nouvelle politique industrielle dans une logique de cluster, en regroupant sur une aire géographique donnée des entreprises et centres de recherche afin de favoriser les synergies et stimuler l’innovation.
Cette approche s’est matérialisée par les appels à projets du Fonds unique interministériel (FUI) ; entre sa création en 2005 et sa clôture en 2018, le FUI finance 1800 projets de R&D. Ces projets à visée industrielle, impliquent en moyenne 7 partenaires dont 2,7 organismes publics de recherche, pour un montant moyen par projet de 1,7M€.
L’Agence Nationale pour la Recherche (ANR) finance des projets davantage orientés vers la R&D fondamentale. Ces projets regroupent en moyenne moins de partenaires, mais incluant davantage d’organismes de recherche publics avec un coût moyen par projet plus faible (700 000€).
-Suite à la crise de 2008 et dans le sillage du Plan d’Investissement d’Avenir (PIA), une seconde génération de dispositifs émerge et revient vers une vision « filière » de la politique industrielle, finançant des projets plus coûteux, impliquant moins de partenaires et davantage tournés vers l’industrialisation : les « Projets structurants pour la compétitivité » (PSPC) lancés en 2010 qui financent des projets ayant un montant moyen de dépenses de R&D de 21,7M€ et les « Projets industriels d’avenir » (PIAVE) qui visent à soutenir des travaux de développement et d’industrialisation de produits, procédés ou services innovants autour de thématiques telles que « les nouveaux usages et procédés du textile » ou « l’usine du futur ». Les projets n’impliquent en moyenne que deux partenaires, pour un montant moyen de dépense de 8M€.
Enfin, les projets de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (ADEME) ciblent des thèmes à portée environnementale tels que le recyclage des déchets ou la chimie du végétal. Chaque projet implique 4 partenaires en moyenne dont un organisme de recherche, pour une dépense moyenne de 4M€ par projet. Finalement, entre 2009 et 2017, les aides aux projets de R&D collaborative ont versé en moyenne 700M€ d’aide par an dont 64% à des entreprises et 36% à des organismes de recherche.
Bellégo et al. (2020) concluent à un effet positif de la participation à un projet collaboratif de R&D sur les dépenses de R&D des entreprises (avec un effet d’entrainement significatif sur la dépense privée), correspondant principalement à une augmentation des emplois consacrés à la R&D, à un supplément d’investissements mais aussi à une augmentation des rémunérations du personnel en charge de la R&D, mais pas d’effet significatif sur les dépenses de R&D externalisées, ni sur l’activité économique des entreprises (sur le chiffre d’affaires, les exportations et la valeur ajoutée) du moins dans les 5 années qui suivent le début du projet.
♦ Enfin le dispositif Cifre a pour objectif de développer et consolider les liens entre les entreprises et le monde académique (codirection d’une thèse de doctorat pendant 3 ans entre une entreprise et un laboratoire de recherche). La thématique de la recherche doit à la fois répondre à une question d’intérêt pour l’entreprise qui aura accès aux résultats, et pour le laboratoire qui pourra le valoriser dans le monde académique. Le doctorant ne doit pas être en poste pour l’employeur depuis plus de 9 mois.
Si le sujet est validé, l’entreprise reçoit une subvention annuelle de 14 000€ pendant 3 ans (montants 2018), qui peut se cumuler avec le CIR.
Si le doctorant est embauché en CDI, qu’il s’agit de son premier CDI et que l’effectif de l’employeur n’a pas diminué l’année du recrutement, le dispositif « jeunes docteurs » avec un taux de 30% du CIR s’appliquant aux dépenses de R&D, conduit à subventionner cet emploi à hauteur de 120%. 27% des doctorants Cifre sont employés par l’entreprise d’accueil un an après la thèse.
En 2017, le nombre de nouvelles conventions Cifre s’établissait à environ 1500, pour environ 600 entreprises: 50% des Cifre sont signées par des grandes entreprises et 33% par des PME. Le coût total du dispositif est de l’ordre de 60M€ par an entre 2008 et 2018. Toutefois les thèses réalisées dans le cadre du Cifre semblent en moyenne moins fructueuses, avec moins de publication dans des revues à comité de lecture, et une chance plus faible pour les doctorants d’être qualifiés aux fonctions de maître de conférence. Du point de vue des entreprises, le dispositif conduit à une hausse de l’emploi R&D des bénéficiaires.
♦ Évolution des aides directes en comparaison internationale.
En France, comme dans le reste de l’Europe, le poids relatif des aides directes et des incitations fiscales s’est inversé entre 2000 et 2017 : alors que les incitations fiscales ne représentaient en moyenne que 9% du soutien public à la R&D en 2000, leur contribution atteignait 60% en 2017. Il faut cependant noter que le Plan de relance de l’économie française de 2020 suite à la crise sanitaire, et le Plan France 2030 privilégient très largement les aides directes (pour un total de 7,8 Md€ pour le plan de relance 2020 et 30 Md€ pour le plan France 2030).
⇒ Conclusion
Les aides indirectes ont pris une place grandissante dans le soutien public à la R&D et l’innovation au cours des 20 dernières années, en France comme en Europe. Elles relèvent pour la plupart d’aides fiscales, comme le CIR ou le dispositif de patent box, mais peuvent aussi consister en des exonérations de cotisations sociales, comme le dispositif JEI.
Si la littérature n’aboutit pas à un consensus concernant les effets de ces aides, leur efficacité face aux objectifs affichés est souvent remise en cause, notamment dans le cas du CIR et de la patent box. Alors que ce dispositif constitue la principale dépense fiscale de l’État en 2022, l’effet multiplicateur du CIR sur la R&D en France semble proche de 1 mais plus faible pour les grandes entreprises, et les effets sur les performances économiques de l’entreprise sont surtout visibles pour les PME et TPE. Le dispositif de patent box est quant à lui critiqué en raison de son très faible nombre de bénéficiaires, de son impact nul sur la localisation des activités de R&D en France et de sa contribution à l’optimisation fiscale des multinationales.
Par ailleurs, les effets obtenus semblent souvent plus forts dans le cas des PME et des jeunes entreprises. En ce sens, le dispositif JEI semble efficace en permettant de cibler cette population à coût limité.
Partant d’une vision différente du processus d’innovation, les aides directes à la R&D sont une alternative possible aux incitations fiscales. Si leur part dans les aides à la R&D a baissé en France et en Europe depuis une vingtaine d’année, elles ont été davantage utilisées récemment au sein des pays de l’OCDE dans le cadre des plans de relance mis en place suite à la crise sanitaire. C’est aussi le principal levier utilisé pour financer la R&D aux États-Unis avec les succès notamment en termes d’innovation de rupture. Le risque d’effet d’aubaine paraît théoriquement moins important.
Ces deux types d’aides apparaissent plus complémentaires que substituables : alors que les aides indirectes semblent plus adaptées pour encourager des projets de R&D proches de la mise sur le marché et les innovations incrémentales, les aides directes semblent plus pertinentes pour encourager la recherche fondamentale et les innovations de rupture.
Pour en savoir davantage : https://www.sciencespo.fr/liepp/fr/content/les-incitations-fiscales-la-recherche-et-developpement-et-l-innovation-etat-des-lieux-effets.html