Une évaluation de Nacre sur 4 régions : un constat proche de l’évaluation récente IGR et IGS


"Enquêtes monographiques sur le dispositif nouvel accompagnement à la création ou reprise d’entreprise (Nacre)" Dares.

L’objectif était de mieux appréhender la plus-value de Nacre dans les parcours de création de ses bénéficiaires, tant dans sa dimension « accompagnement » que « financement » afin, le cas échéant, d’infléchir le dispositif. Le travail s’appuie sur une enquête de terrain conduite, dans quatre régions Champagne-Ardenne, Languedoc-Roussillon, Limousin et Rhône-Alpes. 140 entretiens auprès de 152 acteurs ont été conduits au cours du printemps 2013.

 

Le rôle de Pôle Emploi, des consulaires et des banques :

• Les témoignages des porteurs de projet indiquent que Pôle emploi joue un faible rôle dans l’information sur le dispositif 

• Le réseau des chambres consulaires joue très fréquemment le rôle de « premier sas » ; ceci est tout particulièrement vrai pour les créateurs relevant de professions qui requièrent un stage obligatoire avant l’installation.

• Les réseaux bancaires jouent un rôle croissant dans l’orientation des porteurs de projets : les opérateurs conventionnés sur les deuxième et troisième phases de Nacre (Initiative France et France Active) indiquent qu’un nombre croissant de porteurs de projets sont orientés par des banques ; elles envoient le porteur de projet vers l’opérateur conventionné le plus proche géographiquement et pas forcément vers celui qui serait le plus adapté a priori. Si le dispositif est connu, c’est souvent de manière superficielle.

 

La sélection par les opérateurs

Une grande partie du public reçu par les opérateurs est susceptible d’être éligible au dispositif ; en revanche, ces derniers cherchent systématiquement à apprécier la capacité du porteur de projet à faire aboutir son projet dans les délais impartis par le dispositif Nacre ;

 

l’opérateur évalue deux points :

• La maturité du projet : un élément important pris en compte dans le processus de sélection eu égard à la durée relativement courte de la phase 1 ; de ce fait, les réseaux d’appui conventionnés sur la PM1 expriment le fait que Nacre n’est pas mobilisable pour accompagner des personnes à l’émergence ou dans la définition de leur projet. Remarquons que les projets s’inscrivent souvent dans la continuité de leur parcours professionnel.

• L’opportunité et la faisabilité du projet : la motivation du porteur de projet, sa rigueur et sa capacité à soutenir le rythme imposé par la création (et le dispositif), d’autant plus que l’opérateur dispose d’un faible volume de nouvelles entrées dans Nacre.

Les opérateurs reconnaissent qu’ils sélectionnent souvent des personnes dont la distance à l’emploi est relativement courte parce qu’elles ont un niveau de formation élevé, un projet travaillé, des financements personnels, une faible antériorité dans le chômage… Plusieurs opérateurs regrettent cette situation tout en s’estimant obligés de procéder ainsi.

Aux critères communs décrits dans les quatre régions viennent s’en ajouter d’autres qui varient suivant les régions et qui renvoient à l’articulation de Nacre avec les dispositifs régionaux.

 

La phase 1

L’analyse des prestations de la première phase du parcours Nacre et la façon dont elles sont reçues par les bénéficiaires, conduit notamment à soulever trois questions : la PM1, telle qu’elle est calibrée par le cahier des charges du dispositif, permet-elle de répondre aux besoins des porteurs de projet ? Comment les opérateurs procèdent-ils pour faire face à des besoins d’intensité variable ? Que dire de sa contribution à l’élaboration et la finalisation du projet, mais aussi de sa frontière avec ce qui relèverait de l’« émergence » des projets ?

 

L’appui au montage du projet se découpe en trois principaux temps :

– un premier temps de définition du projet et d’analyse de l’adéquation entre l’individu et son projet

– un deuxième temps de réalisation d’une étude de marché durant laquelle le produit ou le service développé sera défini, la concurrence, les fournisseurs, la politique tarifaire, la stratégie commerciale

– un troisième temps d’analyse des besoins d’investissement et de réalisation du plan d’affaires.

Au-delà de ces temps bien déterminés, les opérateurs ont insisté sur le fait que cette phase est déterminante car elle doit plus largement permettre au porteur de projet de revêtir progressivement son nouvel habit de chef d’entreprise, d’où la nécessité de bénéficier d’un temps suffisant pour le faire, au-delà même des « réalisations techniques » prévues dans le cadre de la PM1.

 

Les bénéficiaires

De nombreux bénéficiaires ont exprimé le fait d’avoir mobilisé d’autres ressources pour les aider à construire leur projet (expert-comptable, autres acteurs ou réseaux d’appui à la création d’entreprise).

– Le degré d’autonomie dans le montage du projet était très variable, répartis en trois catégories relativement égales : des porteurs de projet très autonomes, ceux nécessitant une aide pour finaliser le montage du projet et ceux nécessitant une aide approfondie.

L’Adie et le réseau des boutiques de gestion insistent notamment sur le fait que le volume horaire disponible n’est pas adapté aux besoins de certains porteurs de projet.

L’accompagnement durant cette première phase donne généralement satisfaction aux bénéficiaires ; quelques bénéficiaires ont fait état d’insatisfactions, les conseils reçus leur semblant inadaptés à la nature du projet ou bien à leurs besoins.

– Au-delà de la satisfaction des bénéficiaires en fin de PM1, la mobilisation fréquente par les opérateurs des offres de services régionales en matière de création-reprise en complément de Nacre montre que le dispositif ne se suffit pas pour accompagner un projet et un parcours.

Corrélé à un système de pilotage exigeant en matière de résultats, il a conduit les opérateurs à une grande vigilance pour la sélection à l’entrée du dispositif et pour se caler économiquement parlant sur les temps imposés. Cette pratique questionne fondamentalement la cible du dispositif et les moyens affectés.

 

La 2éme phase du parcours Nacre a pour finalité une aide à la structuration financière du projet, incluant une prestation d’intermédiation bancaire ; elle semble surtout, en pratique, consister en une gestion du besoin de financement.

Au niveau national, environ un quart des bénéficiaires de Nacre intègre le parcours au stade de la deuxième phase ; ces derniers n’ont pas les mêmes motivations que les porteurs de projets entrés au stade de la première phase de Nacre : ces entrées directes sont fondées sur l’espoir d’obtenir le prêt Nacre ; s’il y a refus, les porteurs de projet décident le plus souvent de sortir du dispositif.

L’objectif défini par les pilotes du dispositif de maximiser la couverture des porteurs de projets accompagnés par le prêt Nacre (suivi de la part des bénéficiaires entrés dans Nacre depuis plus de six mois et financés par le prêt Nacre, avec une cible de 80%) imprègne la mise en œuvre ; d’abord, dans les différentes étapes qui jalonnent cette phase (analyse économique et financière, plus ou moins approfondie, du projet et ajustement éventuellement du plan de financement associé, analyse du besoin de financement et des capacités de financement, Instruction d’une demande de prêt Nacre…) ; à l’issue, les opérateurs font entrer les porteurs de projet en phase 2 dans le souci de disposer du « taux de transformation maximum ».

Les deux principaux réseaux conventionnés (Initiative France et France Active) se sont appuyés sur le processus en place (modalités de sélection et d’instruction), et complétant les prêt Nacre par prêt d’honneur et garanties.

Au final, quelle que soit la diversité des modalités d’intervention des plateformes d’initiative locale, leur existence même vient amputer l’un des principes de Nacre, celui d’accompagner des porteurs de projet sans fonds propres. En effet, les critères de sélection plus exigeants l’emportent sur l’ouverture du dispositif Nacre et celui-ci se trouve réduit à compléter l’offre de services existante sans parvenir à l’infléchir.

Ceci étant, les bénéficiaires de Nacre ont eu accès à la relation bancaire, sans avoir eu de difficultés. Faut-il pour autant en déduire que le dispositif y contribue ? Plusieurs éléments penchent en faveur d’une réponse positive : obtention d’un prêt bancaire, consolidation financière pour accéder au prêt bancaire, effet sécurisant sur les réseaux bancaires du fait de l’accompagnement ; mais ce n’est pas tant Nacre que l’intervention de réseaux reconnus pour leur crédibilité, ce qui fait que l’influence de Nacre reste modeste ; ajoutons aussi le rôle important de l’expert-comptable.

 

La 3éme phase du parcours Nacre est dédiée à l’appui au démarrage et au développement de l’entreprise ; d’une durée de trois ans, cette phase doit être ponctuée de « points de gestion » réguliers (rencontres avec le jeune chef d’entreprise, lors desquelles l’opérateur doit s’assurer de la bonne gestion et de l’état de développement de l’entreprise) ; des « livrables » doivent être produits.

En pratique, les « points de gestion » sont réalisés selon des modalités très diverses, tant du point de vue de leur rythme que du contenu et de l’organisation des échanges, constituant des compromis entre les attendus du cahier des charges, les pratiques des opérateurs et les besoins des bénéficiaires.

Les bénéficiaires se rejoignent pour dire que l’accompagnement post-création compte deux dimensions :

– un suivi économique et financier de l’entreprise : le suivi économique et financier de l’entreprise serait plus prégnant dans l’accompagnement réalisé par les professionnels des réseaux Initiative France et surtout France Active,

alors que le soutien au développement de l’activité est plus le fait du réseau des boutiques de gestion et que l’appui au développement est plus une marque de fabrique de l’intervention de bénévoles (des parrains issus par exemple des réseaux Initiative France et Adie), voire d’opérateurs locaux très spécialisés.

Pour certains réseaux, le rythme de l’appui est trimestriel et identique à tous les bénéficiaires ; pour d’autres, le conseiller se déplace systématiquement sur les lieux de l’entreprise ; un autre réseau privilégie l’échange téléphonique si le dirigeant n’a pas de difficultés et un échange en face-à-face s’il en présente.

Du point de vue des nouveaux dirigeants, pour une majorité les attentes initiales sont faibles en matière d’accompagnement, d’autant que le dirigeant a pris l’attache d’un expert-comptable. Plusieurs opérateurs font état de difficultés à maintenir un contact avec le chef d’entreprise. Ceci étant, plusieurs opérateurs reconnaissent que l’application du cadre défini par Nacre a eu un effet structurant sur leurs pratiques.

 

La grande majorité des opérateurs interviewés jugent contraignant et lourd le respect du cahier des charges et le financement insuffisant :

– la rigidité du cadencement ne permet pas d’adapter le rythme du suivi en fonction des besoins des porteurs de projets.

– l’application du cahier des charges de Nacre peut faire naître chez certains porteurs de projets un sentiment de contrôle.

– par ailleurs, l’ensemble des documents et des démarches administratives nécessaires à la réalisation des livrables, au suivi des prêts Nacre, à l’actualisation des extranets, etc. génère une lourdeur dans l’accompagnement post-création, vécue à la fois par le conseiller et le chef d’entreprise, se traduisant par une lassitude voire un abandon du bénéficiaire.

– La prise en charge financière de Nacre est considérée par tous les opérateurs comme insuffisante et conduit à conforter un investissement a minima, recentré sur le suivi économique et financier et peu sur l’accompagnement.

 

LES CONDITIONS D’EFFICACITÉ DU PROCESSUS D’ACCOMPAGNEMENT

 

Les porteurs de projet qui s’engagent dans ce travail n’ont pas d’idée précise de ce qu’il suppose. Ils témoignent de l’utilité d’un accompagnement individualisé, qui leur permette de concevoir, penser et faire fonctionner ensemble toutes les ressources qui, agrégées, solidarisées, constitueront à proprement parler l’entreprise.

La dimension la plus partagée de l’accompagnement consiste en une information des porteurs de projet sur les aides disponibles, l’orientation dans les démarches administratives à entreprendre et les formalités à respecter ; cette dimension intervient dès les premiers contacts avec le porteur de projet, ou au moment utile. Cet apport est systématiquement apprécié par les porteurs de projet.

Mais l’accompagnement à l’élaboration et la finalisation du projet, prévu par la PM1, est fréquemment jugé très insuffisant par les opérateurs : le travail à réaliser sur le projet déborde toujours en pratique le temps octroyé par le cahier des charges de Nacre, ce qui conduit à la mobilisation conjointe de plusieurs dispositifs, en renvoyant notamment le porteur de projet vers un autre opérateur avant de l’entrer en PM1.

L’évaluation de la maturité et des chances de succès d’un projet s’opère largement « en marchant », où le porteur de projet est amené à resserrer progressivement le champ des possibles, pour parvenir à mieux spécifier son projet. Tous les opérateurs soulignent que l’accompagnement ante création est indissociable d’un apprentissage à être chef d’entreprise. Ce travail suppose toutefois que l’opérateur soit sensible aux évolutions du projet, à ses redéfinitions successives, qui modifient inévitablement, chemin faisant, le lien d’accompagnement.

 

Mais rien n’est réglé lorsque l’entreprise est immatriculée ; alors quel suivi ?

– Certains opérateurs mettent en place un suivi à distance, à base d’indicateurs (proposé par les opérateurs de financement), dans certains cas déterminés en accord avec le créateur, et ajustés à son activité ; lorsque tel n’est pas le cas, le créateur perçoit d’autant moins l’intérêt, pour lui, du suivi ; certains opérateurs « financeurs » signalent que leur métier est avant tout d’instruire des dossiers (et) de faire de l’analyse financière, le développement du parrainage leur étant beaucoup moins familier.

– L’aide apportée par les parrains, et par un certain nombre d’autres opérateurs et bénévoles, relève d’une autre vision de l’accompagnement, qui fonctionne sur le mode du compagnonnage ; du côté de celui qui accompagne, ceci suppose de développer une attention particulière à chaque situation, à chaque entreprise, à l’économie propre de chaque agencement productif ; cela suppose d’ajuster l’aide apportée au rythme de l’entreprise, plutôt que de chercher à la programmer selon une régularité préétablie. Cela suppose, en pratique, de ne pas s’en tenir strictement à la lettre de ce qu’il prescrit ; certains opérateurs considèrent d’ailleurs qu’il leur revient de gérer la dimension administrative du dispositif, pour qu’elle ne pèse pas sur le porteur de projet.  Pour eux, l’efficacité de l’accompagnement découle plutôt de la capacité de l’opérateur à faire de chaque accompagnement un accompagnement unique, adapté au créateur et à son projet. Mais se pose la question du financement, et d’un cahier des charges qui exprime ce que serait la « doctrine » en matière d’accompagnement et la vraie vision du dispositif.

Plusieurs opérateurs et porteurs de projet ont pointé la différence entre l’apport d’un accompagnateur et celui d’un expert-comptable, indiquant notamment que ce dernier ne travaille pas sur la stratégie et sur l’avenir, mais plutôt sur le passé ou l’existant.

L’analyse du fonctionnement concret du dispositif suggère que l’efficacité propre de l’accompagnement –qui peut combiner des outils et des intervenants variés– procède plutôt d’une intégration que d’une décomposition de l’action, de l’instauration d’une continuité plutôt que d’un bon ordonnancement. Le créateur apprend à devenir chef d’entreprise non pas en acquérant des compétences, avec l’aide d’un expert puis d’un autre, mais en acquérant une capacité à produire et agencer ses ressources, à les intégrer et les solidariser, au profit de la consolidation puis de la performance de son projet.

 

Le pilotage

 

• Le plus souvent, les instances régionales ne constituent pas le lieu effectif du pilotage du dispositif, constituant davantage un lieu d’information sur l’actualité et l’activité du dispositif qu’un lieu de décision ;le pilotage régional s’effectue largement en dehors de cette instance et repose sur le binôme composé de la Direccte et la DR CDC, aidé d’un organisme d’appui technique régional (OATR) ; les copilotes du dispositif décident, sur la base des instructions définies par la DGEFP et la CDC et des besoins repérés sur le terrain, des opérateurs conventionnés, du nombre de primo-accédants au parcours Nacre et des phases métiers octroyées à chaque opérateur. Ceci étant, la mise en place du dispositif Nacre a permis de renforcer les relations entre ces 2 acteurs régionaux aux cultures et aux modalités d’intervention éloignées.

• Le nombre d’opérateurs conventionnés a été notablement réduit, pour diminuer les coûts du dispositif en termes de gestion administrative et d’animation de la relation avec les opérateurs, aussi limiter le saupoudrage des phases métier en s’appuyant sur des opérateurs plus impliqués dans sa mise en œuvre. Le choix des pilotes repose sur les compétences spécifiques et traditionnelles des différents réseaux d’accompagnement : la phase d’ingénierie financière est fréquemment confiée aux réseaux « France Initiative » et « France Active », et celle d’appui au montage du projet au réseau des « Boutiques de gestion » ou encore à celui des « Chambres consulaires », avec une adaptation aux priorités du terrain.

• Le pilotage régional du dispositif s’appuie sur une batterie d’indicateurs quantitatifs dits « d’activité et de performance », qui permet d’assurer le suivi des dossiers et de l’activité des opérateurs, et surtout d’apprécier les résultats de Nacre. Ce dispositif présente des limites :

– les valeurs associées aux indicateurs seraient en partie biaisées par les modalités de leur calcul, notamment en ce qui concerne le taux d’abandon.

– il a modifié la relation des Direccte avec les opérateurs ; considérés davantage comme des partenaires de l’Etat au démarrage du dispositif, les opérateurs ont été progressivement repositionnés sur leur fonction de prestataire tandis que l’Etat réinvestissait sa fonction de commanditaire et de financeur, d’un travail d’animation, on est passé davantage à un travail d’information des opérateurs, dans le meilleur des cas, et de contrôle, les réductions budgétaires de 2011 contribuant à l’évolution de cette relation. La quête de performance (et les enjeux financiers pour les opérateurs) limiterait la prise de risque des opérateurs au stade de la sélection des projets, ces derniers mobilisant Nacre au profit des projets les plus mûrs et des publics les plus autonomes.

 

 

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