2,5 millions de personnes seraient concernées par un travail non déclaré.


"Le travail non déclaré" Conseil d'orientation pour l'emploi, février 2019

La notion de travail non déclaré entendu ici comme « toute activité rémunérée de nature légale, mais non déclarée aux pouvoirs publics » : il s’agit donc d’une approche économique, qui se distingue de l’approche plus juridique fondée notamment sur une intentionnalité de la fraude.

Sources : des sources directes (où le phénomène est observé en lui-même) et des sources indirectes (issues d’un traitement statistique ou d’un croisement d’enquêtes); les enquêtes qualitatives récentes sont très peu nombreuses.

Le Conseil a diligenté une enquête qualitative, en octobre et novembre 2018, auprès de l’institut Kantar Public ; celles-ci sont complétées par des données « indirectes » issues de bases de données ou d’enquêtes nationales (travaux de la comptabilité nationale, données issues des contrôles des entreprises).

Ces sources sont, d’une certaine manière, complémentaires, mais elles souffrent aussi chacune de biais importants notamment en matière de représentativité.

Une étude très complète, dont je ne reprends ici que quelques points essentiels.

 

5% des personnes de plus de 18 ans s’inscriraient dans un travail non déclaré. Une étude très complète est proposée.

 

⇒ Un chiffrement approximatif

 

Le Conseil estime que le travail non déclaré représenterait en termes de volume, autour de 5% des personnes de plus de 18 ans (soit environ 2,5 millions de personnes) et en termes financiers, entre 2 et 3% de la masse salariale totale versée par les entreprises. Selon des données complémentaires, le travail souterrain se chiffrerait à 12,3% du PIB (vs 16,8 en UE28).

En matière de comparaisons internationales, la France se rapprocherait des niveaux de travail non déclaré enregistrés en Europe du Nord et de l’Ouest et aurait des proportions de travail non déclaré plus faibles qu’en Europe du Sud et de l’Est ; la tendance serait plutôt orientée à une légère baisse au cours des 10-15 dernières années.

 

⇒ Les profils des travailleurs et des employeurs

♦ S’agissant des caractéristiques individuelles des travailleurs non-déclarés : les plus jeunes, et dans une moindre mesure les plus âgés, sont proportionnellement plus exposés au travail non déclaré ; les hommes sont légèrement plus représentés que les femmes ; s’agissant du niveau d’éducation, si les peu qualifiés semblent plus exposés, aucune conclusion forte n’émerge.

Concernant la situation familiale et financière, il apparait que les personnes ayant recours à du travail non déclaré se sentent plus souvent en situation de précarité économique que celles qui n’y ont pas recours.

Les chômeurs et les travailleurs indépendants sont plus exposés au travail non déclaré que les salariés; les personnes en CDD ou en intérim sont aussi davantage confrontées à ce risque.

La non déclaration est une pratique partagée avec les proches (familles, amis, connaissances) ; 45% des personnes qui pratiquent le travail déclaré (résultat de l’Eurobaromètre de 2014 sur le champ de la population européenne) le font pour des proches (27% pour des proches, 18% pour des voisins), 30% pour d’autres particuliers et 14% pour des entreprises.

 

♦ Côté employeur/consommateur, les taux les plus élevés se retrouvent dans l’hôtellerie-restauration, le commerce de détail alimentaire, le BTP, le gardiennage mais aussi l’agriculture et les services à la personne; il s’agit de secteurs intensifs en travail manuel, reposant sur une part importante d’emplois faiblement rémunérés, souvent non qualifiés et très dépendants de la conjoncture ; les entreprises les plus petites seraient plus exposées au travail non déclaré.

 

D’après une étude de 2007 portant sur le secteur de la construction, il existe deux profils types de travailleurs non déclarés : des hommes plutôt qualifiés qui ont un emploi régulier, ont entre 25 et 45 ans et pratiquent pour leur compte ou celui de leur employeur, à côté de leur emploi, des activités non déclarées de rénovation, réparation ou maintenance (ce serait la pratique majoritaire) ; des populations fragiles, souvent des hommes peu qualifiés, demandeurs d’emploi ou travailleurs illégaux qui subissent le développement de la sous-traitance et de l’externalisation, et sont employés pour des emplois sales, dangereux et difficiles.

 

En ce qui concerne les services, 2 profils de femmes : des femmes qui, à côté d’une activité salariée faiblement rémunérée, pratiquent une activité non déclarée : il s’agit alors d’un revenu d’appoint, souvent considéré comme une « caisse noire » réservé aux dépenses de la femme ; des femmes qui ne pratiquent qu’une activité non déclarée : il peut s’agir de femmes qui ne disposent pas de papiers ou bien qui cumulent avec des allocations chômage.

 

9% des “consommateurs” auraient recours au travail non déclaré (vs 11 en UE). ces « consommateurs » réalisent proportionnellement plus souvent eux-mêmes des activités non déclarées : 40% de ceux qui déclarent faire du travail non déclaré sont « consommateurs » contre 10% de ceux qui ne le font pas.

Dans le secteur des services à la personne, on peut distinguer deux profils principaux “’employeurs”: les retraités qui ont recours à des services de ménage et des personnes actives de plus 40 ans ayant recours à de la garde d’enfants. 

 

En ce qui concerne les autoentrepreneurs, l’ACOSS en 2011 sur un échantillon de 1 162 autoentrepreneurs, a redressé 31,3% des autoentrepreneurs contrôlés, pour un montant moyen de 577€ par autoentrepreneur contrôlé; avec une méthode d’échantillonnage différente, une action menée par l’URSSAF de Paris a conduit à retenir une fréquence de 30% des redressements et un montant moyen de 404€ par autoentrepreneur contrôlé.

 

Parmi les pratiques « classiques », on peut distinguer le travail dissimulé :

 

-par dissimulation d’activité (au moment de la création de l’entreprise ou au démarrage d’une nouvelle activité ou d’un nouvel exercice professionnel) : 30% des infractions pour travail dissimulé,

-par dissimulation d’emploi salarié (notamment la déclaration préalable à l’embauche ou la remise d’un bulletin de paie) : 70% des infractions ; le cas des faux statuts (fausse entraide familiale, faux bénévolat, faux stagiaire ou le faux jeune en alternance, faux travailleur indépendant).

 

Ajouter l’économie des plateformes et ces « zones grises », avec 2 questions : la déclaration des revenus (qui est concerné, à qui l’individu doit déclarer, le champ des activités concernées et le seuil à partir duquel les revenus doivent être déclarés) et la nature du lien existant entre l’utilisateur et la plateforme.

 

Et les travailleurs détachés, notamment via des entreprises de travail temporaire, via des montages juridiques avec des sociétés « écran », la sous-traitance en cascade, et des sociétés intermédiaires qui n’ont pas ou plus d’activité (« coquilles vides ») ou encore de sociétés éphémères. 

 

Les principaux enseignements de l’étude de Kantar Public réalisée auprès de 21 individus âgés de 18 ans ou plus en face-à-face.

Les personnes interrogées pratiquent pour l’essentiel un travail non déclaré en marge ou complément d’un statut principal (salarié, retraité, étudiant, etc.). Le travail non déclaré est souvent appréhendé comme une réaction naturelle face à des conditions de vie jugées précaires et une perte de confiance dans les institutions. Il semble ancré dans les habitudes individuelles et collectives, et ce, dès le plus jeune âge. L’activité non déclarée n’est pas moralement condamnée (débrouillardise, solidarité), voire est souvent encouragée par l’entourage proche.
Enfin, en ce qui concerne le calcul coût / bénéfice de ces pratiques, les individus ont souvent tendance à surestimer les coûts de la déclaration (pertes de revenus, démarches administratives, etc.) et à en minimiser les bénéfices, qu’ils perçoivent souvent comme lointains ou peu tangibles (droits à la retraite ou au chômage, etc.), ou le risque d’être contrôlé et sanctionné.

 

⇒ L’approche dissuasive demeure la forme dominante des politiques de lutte contre ce phénomène dans la plupart des États membres de l’Union européenne.

-un renforcement des contrôles et un ciblage accru opérés en particulier au cours des dernières années (exemples détaillés de l’Allemagne et de la Suède). En France, on constate aussi une augmentation constante des redressements opérés par les URSSAF en matière de lutte contre le travail illégal : entre 2013 et 2017, le montant de ces redressements est passé de 291M€ à 541M€, soit une progression de 85%,

-une meilleure coordination des acteurs et un partage plus efficace des informations : en Europe, la structure la plus fréquemment adoptée consiste en une approche « en silos » dans laquelle plusieurs départements ministériels, services administratifs ou agences sont responsables des différents aspects de la politique de lutte contre le travail non déclaré, selon des objectifs qui leur sont propres (exemples de l’organisation de la lutte au Royaume-Uni, en Allemagne, en Autriche, en Italie et en Finlande).

 

En France, une dynamique de renforcement de la coordination des différentes administrations a été impulsée dès 2008 avec la création de la Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF), qui a pour mission le pilotage de la coordination des administrations et des organismes publics en charge, chacun dans son domaine, de la lutte contre la fraude fiscale et sociale.

 

La coordination européenne via la Plateforme européenne de lutte contre le travail non déclaré : la lutte contre les fraudes complexes et l’accroissement très important du nombre de salariés détachés rend particulièrement nécessaire d’intensifier et de rendre opérationnelle la coopération entre pays européens contre la concurrence sociale déloyale et le travail illégal. C’est pourquoi la Commission a créé en mai 2016 la Plateforme européenne pour lutter contre le travail non déclaré.

 

Un alourdissement des sanctions : depuis le début de la crise de 2008, la plupart des pays européens ont renforcé le niveau des sanctions administratives et pénales encourues en cas de travail non déclaré. En France, on observe également un élargissement des sanctions complémentaires encourues par les employeurs ayant fait l’objet d’un procès-verbal relevant une infraction de travail illégal. Demeure la question de l’effectivité des sanctions, de la capacité à réellement convertir les montants redressés en montant récupérés, qui paraît à ce jour encore limitée.

 

Suivent un certain nombre de propositions.

 

Lire l’étude complète : http://www.coe.gouv.fr/Rapport_COE_Travail_non_declare_21_02_MELfd9e.pdf?file_url=IMG/pdf/Rapport_COE_Travail_non_declare_21_02_MEL.pdf