Que recouvrent les aides aux entreprises ?


"« Aides aux entreprises » : de quoi parle-t-on ?", Rexecode, juillet 2023

L’expression « aide aux entreprises » désigne tout dispositif ayant une incidence financière sur les comptes publics et susceptible de bénéficier à des entreprises. Il peut s’agir de subventions sous forme de transferts financiers, de moindres prélèvements fiscaux ou sociaux, de prises de participations financières, de prêts, de garanties de financement ou bien de dépenses publiques finançant des services en lien avec l’activité d’entreprises.

 

Un chiffrement des aides publique aux entreprises directes et indirectes aux entreprises.

⇒ Des recensements aux résultats différents, du fait de définitions différentes :

-Le rapport demandé en 2006 par le Premier ministre aux 3 inspections générales des finances, des affaires sociales et de l’administration estimait à près de 65 Md€ l’ensemble des aides publiques aux entreprises, à travers « au moins 6 000 dispositifs d’aides ».

-En 2010, le Conseil des prélèvements obligatoires recensait 293 dépenses fiscales et 91 dispositifs sociaux, pour près de 170 Md€.

-En 2013, la Mission d’évaluation des interventions économiques en faveur des entreprises identifiait 764 dispositifs pour un montant de 110 Md€.

-En 2020, France Stratégie, dans son rapport sur les politiques industrielles en France,définissait 4 périmètres de dispositifs de soutiens financiers aux entreprises, pour des montants allant de 139 à 223 Md€.

-En 2022, le CLERSÉ a réalisé une évaluation qui aboutit, pour l’année 2019, à un montant total de 208 Md€.

⇒ Une évaluation du coût des “aides”.

En comparant les dispositifs d’aides pour 2019 réalisés par France Stratégie et le CLERSÉ : 

 

-S’agissant des dépenses fiscales, (les estimations de l’administration sont détaillées dans l’annexe Voies et moyens du projet de loi des finances) :
 *Celles sur les impôts sur le revenu et sur les sociétés (34,4 Md€ en 2019), dont le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (19,2 Md€ de remboursements au titre des années précédentes), le crédit d’impôt recherche (6,4 Md€), le prêt à taux zéro (1,2 Md€) et l’exonération à l’IS des organismes d’HLM (1,1 Md€),
 *Celles au titre de la taxe sur la valeur ajoutée (17,5 Md€), dont les taux réduits appliqués à la rénovation du bâtiment (4,6 Md€), à la restauration (3 Md€), dans les outremers (2,6 Md€), au logement social (1,2 Md€), à l’accession à la propriété (1,2 Md€), à la fourniture de logement par les campings et les hôtels (1 Md€), aux associations (1 Md€) et à la culture (0,8 Md€),

 *Celles sur les taxes intérieures de consommation sur les produits énergétiques (7,9 Md€) portant sur le carburant utilisé dans les outremers (1,8 Md€), l’électricité utilisée par les industries électro-intensives (1,6 Md€), le gazole utilisé par les véhicules routiers (1,4 Md€), le gazole non routier agricole (1,3 Md€), le gazole non routier non agricole (1,1 Md€).

 

♦ Les allègements de cotisations sociales, présentés dans les annexes du PLFSS, sont principalement constitués :

 *Des allègements généraux (60 Md€ en 2019) mis en place par les gouvernements de Balladur à Ayrault et les allègements qui se sont substitués au CICE,  les allègements sur les bas salaires représentant près de la moitié du total,
 *S’ajoutent les exonérations ciblées (7,8 Md€ en 2019) sur certains secteurs économiques (services à la personne, aide à domicile), certaines zones géographiques (outremer, zones de revitalisation urbaine) ou certains publics (chômeurs créateurs-repreneurs d’entreprises).

 

S’agissant des dépenses budgétaires, le décompte de France Stratégie inclut :
 *Les dépenses de la formation professionnelle (5,6 Md€, incorporé depuis dans France Compétences), relatives à Action logement (1,9 Md€), aux Chambres d’Agriculture, de Commerce et d’Industrie (1,2 Md€), à l’association de garantie des salaires (0,9 Md€), au financement des CFA(0,9 Md€) et au centre national du cinéma (0,7 Md€),
 *Certaines aides d’Etat notifiées à l’UE qui se rapportent aux infrastructures de transport (7,1 Md€), à l’audiovisiuel public (3,5 Md€), et aux retraites des salariés de La Poste et de France Télécoms (4,1 Md€),
 *Certaines aides non détaillées des Régions en faveur de l’investissement, de l’action économique, de la formation, de la R&D,
 *Certaines aides publiques aux énergies renouvelables, à l’innovation et au commerce extérieur,
 *France Stratégie inclut aussi des participations, prêts, avances remboursables et garanties, 
 *Enfin, les dépenses fiscales « déclassées » : Il s’agit principalement du régime de société mère-fille et du régime d’intégration fiscale des groupes, visant à éviter la double imposition au sein des groupes.

⇒ les « aides aux entreprises » forment des dispositifs très hétérogènes, qui obéissent à des objectifs de politique publique spécifiques, pour lesquels les entreprises sont des instruments.

♦ Des transferts financiers bénéficiant à des entreprises publiques (La Poste, SNCF) ou aux pensionnés d’anciennes entreprises publiques (France Télécom), au financement de l’audiovisuel public, soit au total environ 14 Md€, 

♦ Plusieurs dispositifs considérés comme des aides aux entreprises visent en fait d’abord les ménages tels les taux réduits de la TVA (restauration, rénovation énergétique, culture, associations), pouvant aussi bénéficier pour partie aux entreprises (actionnaires, salariés ou
fournisseurs). 

♦ Plusieurs dispositifs visent des objectifs de politique publique : l’investissement en R&D, la rénovation énergétique, la production d’énergies renouvelables, l’insertion et le maintien dans l’emploi des personnes les moins qualifiées, la compétitivité industrielle, le développement économique des outremers, le développement du parc de logement social…des taux réduits d’imposition de certains carburants, des aides accordées aux acteurs de la culture.

⇒ Les prélèvements nets des aides supportés par les entreprises sont plus élevés en France que dans la plupart des pays européens.

Si les entreprises s’acquittaient en France d’un même taux de prélèvements nets rapportés à la valeur ajoutée qu’en Allemagne, leur montant serait diminué de 125 Md€ en 2019 (9% de leur valeur ajoutée). Les baisses de prélèvements intervenues depuis 2019  améliorent  le positionnement de la France : l’écart avec l’Allemagne s’élèverait encore à 99 Md€.

⇒ Les aides aux entreprises n’ont pas conduit à une modification du partage de la valeur entre actionnaires et salariés.

Après une période de relative stabilité de 1949 à 1973, date du premier choc pétrolier, les parts du travail et du capital ont connu des fluctuations importantes entre 1973 et 1989. La part du capital a d’abord fortement baissé dans les années 1970, avant de se redresser à partir de 1982. La part du travail a quant à elle fortement baissé entre 1981 et 1989. Depuis 1989, elle est en hausse régulière, passant de 45% en 1989 à 51% en 2022, alors que celle du capital s’est réduite jusqu’en 2010, et atteint 26% en 2022.

La part des prélèvements nets, qui tient compte des dépenses fiscales, des allègements de cotisations et des exonérations, ainsi que des subventions à l’exploitation et à l’investissement, avait augmenté de 20% dans les années 1950 à près de 25% en 1999, puis a quelque peu reflué à 22% en 2022. Malgré les montants croissants d’aides aux entreprises, celles-ci n’ont pas conduit à un déséquilibre en faveur des apporteurs de capital. La part des salaires a augmenté depuis 30 ans et celle des prélèvements a fluctué autour de sa valeur actuelle.
Les aides aux entreprises ont donc permis de stabiliser le poids des prélèvements nets et non de le baisser.

 

Cette redistribution se fait depuis des entreprises qui bénéficient moins des aides, vers celles qui en bénéficient davantage car elles entrent dans le champ de certains objectifs de politique publique. Il s’agit notamment des entreprises employant des travailleurs à bas salaires, de celles qui conduisent des activités de R&D, qui appartiennent aux secteurs concernés par les taux réduits de TVA (bâtiment, restauration, logement social) ou de taxes énergétiques, des entreprises d’outremer, etc…
Par conséquent, certaines activités économiques, destinataires d’aides moindres, sont pénalisées par un poids de prélèvements supérieur à la moyenne (les entreprises industrielles et certains services qui emploient de la main d’œuvre qualifiée). 

 

L’attribution d’une aide dans un objectif de politique publique s’accompagne souvent d’inévitables effets d’aubaine. Des dispositifs d’aides peuvent aussi  créer des distorsions ; ainsi, les allègements de cotisations sur les bas salaires peuvent influencer les politiques de recrutement, et de salaires en faveur de profils moins qualifiés tout en freinant les gains de productivité et la promotion salariale.

 

Par ailleurs, la multiplicité de dispositifs susceptibles d’évoluer dans le temps est source de complexité, d’insécurité juridique et d’instabilité fiscale, qui pénalise en premier les entreprises les plus petites. 

 

Pour en savoir davantage : http://www.rexecode.fr/public/Analyses-et-previsions/Reperes-de-politique-economique/Fiscalite-elevee-aides-heteroclites-aux-entreprises-l-efficacite-du-modele-francais-interroge