“Depuis 2016, le COE a décidé de travailler sur l’impact de la révolution technologique sur l’emploi. Dans le cadre de ces travaux :
♦ il a montré que 10% des emplois actuels présentent de grandes vulnérabilités dans un contexte d’automatisation, et que 50% devraient voir leur contenu transformé de manière significative à l’horizon d’une quinzaine d’années : une transformation massive, profonde et rapide du contenu des emplois ;
♦ Il a identifié les leviers de la création d’emplois et montré que les progrès technologiques actuels devraient continuer à favoriser l’emploi qualifié et très qualifié ;
♦ Il a mis en évidence qu’il convient d’encourager les perspectives de localisation en France de nouveaux emplois ou de relocalisation d’emplois, rendues possibles par la révolution technologique.
♦ il a aussi montré que la hauteur de la marche qui doit être gravie pour que les Français disposent de ces compétences est haute. Nous sommes en situation pénurique concernant les compétences « tech » (80 000 emplois vacants en 2020) ; concernant les compétences numériques de base : 8% des actifs français n’en ont aucune et 27% devraient progresser pour être plus à l’aise ; concernant les compétences cognitives : 13% des actifs en emploi n’ont pas les compétences de base et 30% devraient progresser.”
Le tome 3 constitue le dernier volet des travaux engagés depuis l’été 2016 et est consacré à l’organisation du travail et à ses modalités, mais aussi aux situations de travail des personnes.
“Le diagnostic
♦ Les modes d’organisation du travail
Le lien entre les modes d’organisation et le déploiement du numérique progresse avec la taille de l’établissement : plus l’établissement est grand, plus ce lien est significatif. Mais attention : c’est seulement dans le secteur de l’industrie que cette « complémentarité d’usage » se manifeste pour tous les dispositifs organisationnels étudiés.
Mais la révolution technologique va de pair avec une coexistence de dispositifs organisationnels préexistants et innovants, entre entreprises mais aussi au sein même des entreprises. Plus qu’à un bouleversement radical des modes d’organisation, on assiste en fait plutôt à un tâtonnement des entreprises qui cherchent, y compris en expérimentant, la meilleure façon d’adapter leur organisation du travail à la nouvelle donne économique. Il résulte de ces expérimentations une coexistence de ces grandes logiques, parfois contradictoires, au sein même des entreprises.
Les travaux quantitatifs analysés dans le rapport permettent, à partir des enquêtes disponibles, de mettre en évidence de grandes tendances actuelles des situations de travail entretenant un lien direct ou indirect avec la révolution technologique en cours. Il s’agit d’un éclatement des configurations spatiotemporelles traditionnelles du travail ; d’une intensification de la coopération et de la collaboration, en interne comme en externe ; d’une transformation des contrôles (plus nombreux et surtout plus indirects) ; d’une baisse des contraintes physiques et d’un surcroit de contraintes psychiques. Ils montrent que l’utilisation du numérique conduit au renforcement des situations d’isolement des non utilisateurs.
La probabilité de juger son travail intéressant, complexe et intensif augmente avec un usage plus intensif du numérique. Cette contribution du numérique se vérifie jusqu’à une certaine part du temps de travail (autour de 60 à 80 % du temps selon le cas en moyenne). Au-de-là, la contribution du numérique devient négative pour l’intérêt et l’intensité du travail, et stable pour sa complexité. Ces constats globaux se vérifient, avec des nuances, lorsqu’on procède à cette analyse selon le niveau de qualification, la catégorie socio-professionnelle et l’âge.
Les analyses qualitatives montrent que les effets des technologies sur les conditions effectives de réalisation du travail dépendent largement, non seulement de l’objectif que l’organisation leur donne (les technologies utilisées pour soutenir la réalisation d’un travail intense et complexe ou bien pour se substituer à l’homme ou le contrôler) et des modalités d’organisation associées. Elles dépendent aussi des usages préexistants et des éléments qui influencent la façon dont elles sont effectivement utilisées au travail (la technologie est-elle acceptable ? répond-elle à un besoin ? fait-elle sens pour l’utilisateur ?).
L’analyse des innovations technologiques et organisationnelles montre, à la fois a priori et a posteriori, que leurs effets ne sont pas univoques et peuvent même être contradictoires :
-enrichir le travail et le rendre plus intéressant mais aussi dans certains cas l’appauvrir et le vider de son sens ;
-réduire les efforts physiques et les postures contraignantes mais aussi, déplacer les contraintes ou augmenter le niveau d’attention cognitif et la complexité du travail ;
– rendre le travail plus intense (les contraintes de rythme) ou donner plus de liberté en favorisant une meilleure gestion du temps de travail par la personne ;
– encourager l’autonomie mais aussi les contrôles ;
-rendre plus flexible l’organisation des lieux et du temps de travail ;
– intensifier la coopération et la collaboration au sein de l’entreprise et les partenaires extérieurs ou au contraire isoler.
Comment tirer le meilleur parti de la révolution technologique en cours, pour les entreprises et les actifs, par le dialogue social ?
Ces « conditions favorables » relèvent d’acteurs différents. L’entreprise à ses différents niveaux : la direction (stratégie globale), l’équipe (management intermédiaire),l’ individu (manager et personnes), les partenaires sociaux, mais aussi l’Etat (législateur pour fixer un cadre mais aussi comme acteur pour orienter des politiques publiques et les acteurs sociaux)
La nécessité de repenser le management fait l’objet d’une analyse approfondie dans le rapport.
Le Conseil estime que le dialogue social constitue le levier essentiel pour accompagner la définition de la stratégie des entreprises et permettre l’indispensable appropriation collective des enjeux avec toutes ses conséquences en termes d’évolution des métiers, d’organisation du travail, de contenu du travail et des situations de travail.
La négociation sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences se révèle particulièrement adaptée aux enjeux; il faut s’accorder sur une stratégie globale et partagée prenant en considération, tant les objectifs, les conditions et les résultats attendus de la transformation que la multiplicité et la diversité des conséquences sur le contenu du travail et ses modalités de réalisation.
La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences doit d’autre part s’enrichir d’outils et indicateurs de suivi, d’adaptation et d’action en continu. C’est indispensable si l’on veut anticiper et accompagner dans les meilleures conditions ces évolutions en cours, même si la tâche est ardue dans un contexte où la visibilité des entreprises tend à se réduire et où les plans stratégiques voient leur horizon temporel se raccourcir. A cet égard, l’une des premières exigences est de mieux identifier les métiers et les compétences de demain. Pour cela, la branche occupe une place importante, notamment au travers des observatoires de branche et de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.”