Les jeunes au travail : satisfaction ou désillusion ?


"Les jeunes et le travail : aspirations et désillusions des 16-30 ans", Institut Montaigne, avril 2025

Méthodologie : échantillon de 6 000 jeunes, structuré en 3 sous-échantillons correspondant aux grandes étapes de l’accès à la vie active :

– Les jeunes en formation (scolaires et étudiants entre 16 et 22 ans), 1066 interrogés,

– Les actifs précoces (19-22 ans) récemment entrés sur le marché du travail, 1921 interrogés,

– Les actifs avancés (25-30 ans) ayant déjà acquis une 1ére expérience professionnelle significative, 2 948 interrogés.

L’enquête a été réalisée en ligne, du 3 au 25 octobre 2024, par l’Institut Toluna Harris Interactive, à partir de l’access panel possédé en propre par Toluna Harris Interactive (1,8 million de membres).

La représentativité des échantillons repose sur la méthode des quotas et un redressement post-enquête a été appliqué à plusieurs variables sociodémographiques :
• Des critères communs aux 3 populations : sexe croisé avec l’âge, région, 
• Des critères complémentaires spécifiques à chaque population : le type d’établissement fréquenté pour les « Scolaires et étudiants », la CSP et le niveau de diplôme pour les « Actifs précoces », la CSP pour les « Actifs avancés ».

 

Une typologie en 3 groupes principaux permet d’appréhender satisfaction et implication au travail.

⇒ 3 groupes de données préalables.

♦ Leurs conditions de vie : 

Les actifs avancés sont autonomes, souvent en couple, voire avec un enfant, ce qui est rarement le cas pour les étudiants et un peu plus pour les nouveaux actifs.

♦ Le choix des secteurs d’activité :

Qui sont les jeunes qui renoncent à travailler ?

60% sont des femmes ; des jeunes plus souvent parents (43%, contre 30% parmi ceux encore engagés dans une démarche professionnelle), ou en charge de parents ou de grands-parents (28%). Leur niveau de diplôme est également plus faible (38% n’ont pas atteint le baccalauréat, contre 20% chez ceux qui poursuivent activement leur recherche d’emploi). Ils sont plus fréquemment d’origine étrangère (35% contre 24) et font face à des difficultés financières marquées (35% en situation précaire, contre 25 chez les autres jeunes).

 

Ces jeunes affichent des niveaux particulièrement élevés de détresse psychologique (34%). Leur mal-être se reflète également dans leur perception de la satisfaction de vie : sur une échelle de 0 à 10, 30% évaluent leur satisfaction en dessous de la note de 5, contre 17% pour les autres jeunes.

⇒ Le décalage entre leurs attentes et leurs satisfactions au travail.

♦ Leur insatisfaction provient souvent d’un décalage entre leurs attentes et la réalité des emplois qu’ils occupent. Plus leur niveau de qualification est élevé, plus grand est le risque de déception, alors que les diplômés des filières professionnelles (CAP, BEP, BTS, DUT) se montrent globalement moins exigeants que leurs homologues issus des filières universitaires généralistes. 

 

Les jeunes ayant rencontré davantage de difficultés à se stabiliser sur le marché du travail semblent avoir intégré ces obstacles dans leurs aspirations, conduisant à une perception moins critique de leur situation professionnelle actuelle. Cela s’apparente à une forme de résignation. 

Ceux qui s’insèrent le plus rapidement sur le marché du travail affichent un indice de frustration plus élevé que ceux dont l’insertion est plus lente. À l’inverse, les cadres et professions intermédiaires ayant connu une insertion plus lente présentent des exigences beaucoup plus faibles.

 

Ces écarts s’expliquent en grande partie par des différences de niveau de diplôme : les jeunes à insertion lente sont deux fois plus nombreux à n’avoir qu’un baccalauréat, tandis que ceux ayant accédé rapidement à un emploi stable sont beaucoup plus souvent diplômés du supérieur.

 

Mais les attentes des jeunes ne sont pas uniquement déterminées par leur niveau de diplôme.  Elles varient également selon la filière d’étude : les diplômés des filières de service affichent des exigences nettement plus élevées que ceux des filières de production, refusant davantage d’abaisser leurs ambitions. Cette différence s’avère d’autant plus marquée chez les jeunes femmes, surreprésentées dans les métiers du service et qui se montrent globalement plus exigeantes que leurs homologues masculins.

 

Toutefois un grand décalage entre les ambitions des jeunes et les emplois accessibles concerne avant tout les diplômés en lettres, sciences humaines et sociales. Porteurs de fortes aspirations, ils sont limités dans les opportunités qui s’offrent à eux. Le fait que ces jeunes proviennent en moyenne de milieux sociaux plus favorisés que les diplômés des filières professionnelles courtes, pour qui les coûts et les risques liés à leurs choix d’orientation sont perçus comme moindres, accentue ce phénomène.

 

Noter que les salariés des petites et moyennes structures se déclarent plus satisfaits de leur bien-être au travail que ceux des grandes entreprises.

 

Les motifs d’insatisfaction.

 

– La rémunération demeure le 1er motif. Les jeunes en début de carrière perçoivent des salaires relativement bas, alors qu’ils aspirent à l’indépendance financière et à l’autonomie résidentielle. 46% des moins de 30 ans souhaitent gagner plus vs 30 les plus de 30 ans (Institut Montaigne 2023).

– Tous les aspects permettant d’apprécier la qualité d’un travail (le stress, la reconnaissance, l’autonomie, l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle, les perspectives d’évolution) sont aussi concernés.

 

♦ Par ailleurs, les jeunes débutants érigent le stress au travail comme 2éme critère le plus cité dans leur appréciation des conditions de travail, confirmant l’importance croissante des risques psychosociaux face aux risques physiques. Les « contraintes émotionnelles », telles les  tensions avec le public, les collègues ou la hiérarchie ont un impact bien plus fort sur la satisfaction au travail que les contraintes physiques.

Le mal-être psychologique apparaît comme un facteur clé : 50% des jeunes concernés jugent négativement la politique de leur entreprise en matière de bien-être (vs 34 en moyenne). Les jeunes en difficulté financière sont plus enclins à déclarer un mal-être psychologique élevé et une insatisfaction générale vis-à-vis de leur qualité de vie.

  L’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle devient un enjeu central, au même titre que les horaires de travail.

 

Récapitulons les attentes au travail, où selon les 3 sous-échantillons, les différences sont faibles.

En fait la satisfaction au travail ne dépend pas tant de la catégorie socioprofessionnelle de l’emploi, mais plutôt de la manière dont les jeunes vivent le décalage entre leurs aspirations et la réalité du terrain. 

 

♦ Les femmes sont plus demandeuses que les hommes d’abord pour l’équilibre temps de travail et temps libre, puis pour l’intérêt au travail, pour la rémunération, et enfin de façon plus proche pour les possibilités d’évolution. Elles ont des frustrations bien plus prononcées, notamment en raison de conditions de travail plus exigeantes dans les secteurs de services notamment. Toutefois, elles semblent avoir moins de possibilités d’exprimer cette insatisfaction et plus encore de l’exprimer sous forme de revendications.

 

♦ Un autre enseignement majeur : l’impact déterminant de l’orientation scolaire sur la satisfaction au travail.

Le taux d’insatisfaits de leur orientation dans les études y est de 27% (18% des élèves et étudiants, 27% des actifs précoces et 30% des actifs avancés). Le jugement est beaucoup plus sévère encore lorsqu’on pose des questions plus précises sur la qualité de l’information reçue pour s’orienter dans les études d’une part, dans les choix professionnels d’autre part. 

Les jeunes estimant inadéquate leur orientation expriment une insatisfaction professionnelle beaucoup plus forte. Par ailleurs, Les élèves et étudiants des filières professionnelles sont globalement les plus satisfaits.

 

♦ Alors qui aide les jeunes à s’orienter dans leurs études ? 2  sources essentielles : leur mère (71% dont 37 beaucoup), et Internet (69%), puis un trio composé des amis, des professeurs et du père (entre 58 et 56%). Les autres sources possibles d’aide sont plus en retrait (moins de 50%) : les salons, les responsables pédagogiques (conseiller d’orientation, CPE…), les organismes officiels d’information et d’orientation (CIO, CIDJ, Missions Locales), ainsi que les frères et sœurs. Il est frappant de constater que les organismes officiels dont l’orientation est la mission première, viennent en queue de liste ; seuls 14% disent avoir été « beaucoup » aidés par leur entreprise. De plus, l’expérience du marché du travail conduit à quelques désillusions et aiguise donc le regard critique des jeunes sur les conseils qu’ils ont reçus au cours ou à la fin de leur scolarité.

 

Les enfants d’ouvriers sont bien plus insatisfaits de l’aide à l’orientation, et sont légèrement sous-utilisateurs de l’aide (quelque soit sa nature) sans privilégier l’aide familiale. Les enfants d’employés ont des scores proches de la moyenne sur les trois variables (aide familiale, aide institutionnelle et satisfaction). Quant aux enfants de cadres et de professions intermédiaires, plus satisfaits que les autres jeunes, ils sont sur-utilisateurs des aides familiales et institutionnelles dans des proportions équivalentes.

⇒ Le rapport à l’autorité.

♦ 42% se disent enclins à suivre les instructions sans réserve, tandis que 48% adoptent une obéissance sous condition, alors que 10% les rejettent totalement.

 

Si peu de variables sociodémographiques sont associées au rapport à l’autorité, certaines le sont toutefois : 

Le sentiment de satisfaction vis-à-vis de l’orientation scolaire et professionnelle : parmi les jeunes satisfaits de leur orientation, 46% estiment qu’il faut suivre les instructions en toutes circonstances (vs 35% chez ceux qui se disent insatisfaits) ; des jeunes naturellement en désaccord avec l’autorité seraient à la fois insatisfaits de leur orientation et critiques envers leur management ?

– Les insatisfactions des jeunes qui contestent, à des degrés divers, l’autorité en entreprise se concentrent autour de trois enjeux majeurs : le stress au travail, le niveau de rémunération et la perception d’un manque d’engagement de l’entreprise en matière de RSE.

 

♦ Le choix du manager et l’appréciation du management.

 

– 63% des jeunes interrogés sur leur préférence quant au genre de leur responsable hiérarchique dans un nouvel emploi n’ont pas de préférence ; le genre du manager importe moins que ses compétences et son mode de gestion. 

Noter toutefois que la  préférence pour un management masculin est associée à une plus grande soumission à l’autorité hiérarchique.  

 

– L’appréciation globale du management au sein des entreprises est plutôt positive, mais 1/3 estiment que leur entreprise ne déploie pas les efforts nécessaires pour améliorer leurs conditions de travail et répondre à leurs attentes en matière de qualité de vie professionnelle.

Pour 85% (dont tout à fait 35), l’entreprise leur fait confiance ; pour 78% (dont 29) elle les responsabilise ; pour 69% (dont 24) elle les aident à progresser ; pour 66% (dont 23) elle reconnait leur travail ; pour 66% (dont 23) elle est attentive à leur bien-être ; pour 65% (dont 25) elle leur propose des formations. 

 

– C’est le manque de reconnaissance du travail bien fait par les responsables hiérarchiques qui est le plus associé à l’insatisfaction en matière de bien être au travail. Ce résultat souligne une véritable attente de transformation du management, non pas sur le principe d’autorité lui-même, mais sur les pratiques de reconnaissance, d’écoute et d’accompagnement, des éléments décisifs pour garantir l’épanouissement des jeunes en entreprise.

 

– Le travail reste un pilier fondamental d’intégration et d’accomplissement personnel. Pour qu’il joue pleinement ce rôle, il s’avère impératif que les entreprises et les pouvoirs publics créent les conditions favorables à un épanouissement professionnel. L’enquête montre qu’1/3 des jeunes en situation d’emploi, et plus encore dans les entreprises de grande taille, pensent que leur employeur ne fait pas les efforts nécessaires en matière de bien-être au travail. 

 

♦ 27% des jeunes déclarent avoir subi du harcèlement moral en entreprise et 9% du harcèlement sexuel. Bien que les femmes soient les principales victimes, les hommes ne sont pas épargnés, avec plus d’1/5 ayant subi du harcèlement moral et 7% du harcèlement sexuel. Avoir été victime de harcèlement modifie la perception de l’autorité hiérarchique. Les cas de harcèlement moral et sexuel se concentrent dans le commerce et les HCR, où les taux sont nettement supérieurs à ceux observés dans d’autres secteurs (12% contre 6) ; l’industrie et le BTP apparaissent comme les secteurs les plus préservés.

⇒ Une typologie des attitudes à l’égard du travail :

♦ Les « frustrés démotivés » (18%), et les « fatalistes » (20%),  renonceraient volontiers à travailler (les premiers), soit réduisent drastiquement leurs exigences à l’égard du travail (les seconds).

 

– Les frustrés « démotivés » (18%). Ce sont les plus démotivés vis à-vis du travail : beaucoup déclarent qu’ils cesseraient de travailler s’ils le pouvaient. 29% se déclarent sans profession au moment de l’enquête. Ceux qui ont un emploi souhaitent en général rester salariés. Là encore, ce sont majoritairement des femmes (59%), souvent employées dans des TPE. 

 

– Les fatalistes (20 %) se caractérisent par des attentes très basses à l’égard du travail et un très faible niveau de frustration malgré une certaine insatisfaction au travail. Leur niveau d’aisance financière est correct (à peine plus bas que la moyenne). Malgré leur fatalisme, ils sont assez critiques du management. Ils appartiennent plus souvent au groupe des jeunes débutants, sont plus souvent d’origine étrangère et ont davantage suivi des filières professionnelles courtes dans la production. Ils sont aussi plus souvent que la moyenne sans profession au moment de l’enquête (25%).

 

♦ Une autre partie affiche des attentes plus élevées mais insatisfaites ou mal satisfaites en termes de reconnaissance et de bien-être au travail. Ils manifestent alors le désir soit de quitter leur entreprise, soit d’échapper au salariat (les « contestataires », 10%, et les « rebelles », 20%). Ils sont très critiques à l’égard du management et de son action en termes de bien-être au travail qui représente une de leurs exigences fondamentales.

 

– Les frustrés « contestataires » (10%) sont les plus revendicatifs ; leurs attentes envers le travail sont élevées, sans que le poste qu’ils occupent y répond pour autant. Ces jeunes actifs se montrent très critiques vis-à-vis du management, en profond mal-être psychologique. Ils rejettent l’autorité hiérarchique, souhaitent quitter leur entreprise et envisagent souvent l’indépendance professionnelle. Il s’agit le plus souvent de femmes (64%), employées (71%), travaillant dans le commerce ou les HCR. Ils sont aussi fortement exposés au harcèlement moral (42%). 

 

– Les rebelles (20 %) sont plutôt satisfaits de leur emploi, ressentent assez peu de frustrations, et sont en général à l’aise financièrement ; mais ils ont un très haut niveau de réticence à l’égard de l’autorité hiérarchique. C’est ce qui explique leur très fort désir de quitter leur entreprise et de devenir indépendants. Ils sont plus souvent cadres.

 

♦ Les satisfaits (32 %), 2 sous-groupes :

 

– Les satisfaits « stables » (16%) sont les plus ancrés. Ils ne rencontrent aucune frustration dans leur vie professionnelle : leur orientation, leur emploi et leur situation globale leur conviennent. Sans difficultés psychologiques ni financières, ils ne sont pas critiques à l’égard du management, ni de l’autorité hiérarchique. 93% ne souhaitent pas quitter leur entreprise et peu envisagent de devenir indépendants. Ce groupe est composé d’hommes (60%), plus âgés (25-30 ans), souvent d’origine française, occupant des postes d’employés ou de
professions intermédiaires. 

 

♦ Les satisfaits « mobiles » (16%) partagent ce faible niveau de frustration, mais avec des attentes plus élevées. Ils sont les seuls à accorder une importance particulière au fait de travailler dans une entreprise socialement responsable et engagée pour l’environnement. Très investis dans leur activité, ils manifestent une forte appétence pour le travail, mais aussi une volonté de changer d’entreprise. S’ils ne remettent pas en cause l’autorité ou le management, ils sont en quête de meilleures perspectives. Ce groupe est majoritairement masculin (60%), plus souvent cadre, profession intermédiaire ou indépendant, et travaille moins fréquemment dans de petites structures.

⇒ Le rêve d’être entrepreneur.

♦ 44% disent vouloir privilégier la voie de l’indépendance professionnelle. 40% se déclarent prêts à se mettre à leur compte dans les 5 prochaines années, tandis que 34% envisageraient de créer une nouvelle activité ou une entreprise avec l’objectif d’embaucher du personnel. 

Les hommes manifestent une aspiration légèrement plus marquée à l’indépendance que les femmes (46% contre 41) ; Parmi les 7% de jeunes rencontrant les plus grandes difficultés financières, 60% envisagent de devenir indépendants vs 40% les autres catégories.

 

♦ Mais le facteur le plus lié au désir d’indépendance est l’écart ressenti entre les attentes et la réalité du travail occupé et le besoin de liberté pour échapper aux contraintes hiérarchiques et à la structure parfois rigide du salariat traditionnel.

Ils expriment également un sentiment de frustration lié à un manque de mobilité interne au sein de leur entreprise, ressentant un frein à leur progression professionnelle.

 

♦ 2 autres motivations suivent ce besoin d’autonomie : la réussite financière pour 28%, et la réalisation d’un projet personnel pour 25%, un projet qui ne peut être mené à bien qu’en exerçant une activité indépendante. 
Enfin 10% sont motivés par l’envie de créer une start-up, parce qu’attirés par l’innovation et la création de nouvelles solutions ou services. Il s’agit plus souvent d’hommes (11% vs 8 les femmes).

 

Mon avis : une étude fort intéressante, conclusive en ce qui concerne les typologies et montrant que si seulement 32% sont satisfaits, 62% sont plutôt motivés au travail. L’analyse permet d’observer de façon fine les types d’insatisfaction. Dommage qu’il n’y ait pas de comparaison avec les plus de 30 ans pour situer plus globalement le positionnement des jeunes dans le travail.

 

Pour en savoir davantage : https://www.institutmontaigne.org/publications/les-jeunes-et-le-travail-aspirations-et-desillusions-des-16-30-ans