En conclusion de ce rapport de 482 pages, les faits générateurs « stricts » susceptibles de caractériser des pertes d’emploi définitives et involontaires chez les travailleurs indépendants sont peu nombreux, et conduiraient à couvrir une population indemnisable restreinte (de l’ordre de 50 000 à 70 000 entreprises chaque année)
L’évolution de l’emploi indépendant monoactif, issue des estimations d’emploi de l’Insee, est marquée par 3 phases :
-une diminution tendancielle entre 1970 et 2002 : de 4,5 millions travailleurs indépendants en France métropolitaine à 2,2 millions, essentiellement au repli de l’emploi agricole et à la diminution du nombre de petits commerces;
–une stabilité entre 2002 et 2008 mais où la part des non agricoles augmente sur la période, à un rythme supérieur à la croissance du salariat entre 2001 et 2008 (+1,9% par an, contre + 0,5% par an) ;
–une augmentation depuis 2008 du fait des autoentrepreneurs
Fin 2014, le nombre de non-salariés monoactifs s’élève à 2,8 millions selon les estimations emploi de l’Insee. La part de l’emploi indépendant en France s’élève aujourd’hui à 10,4% contre 20,8% en 1970.
Le nombre d’entreprise individuelle a progressé de 42%, celui des sociétés de 31% et des microentreprise de 28%
Les situations de pluriactivité (personnes exerçant plusieurs emplois de nature différente simultanément ou successivement sur une période donnée), passant de 10% en 2007 à 16% en 2014.
Le revenu moyen des travailleurs indépendants (30 120€ pour les non-salariés non agricoles en 2014) est légèrement supérieur à celui des salariés (26 828€ en 2014), mais masque une volatilité plus forte et des inégalités plus marquées. Le même constat peut être formulé pour le patrimoine : il est supérieur en moyenne à celui des autres ménages actifs,du fait de la présence d’un patrimoine professionnel et d’une épargne de précaution plus importante.
La ligne de partage entre salariat et travail indépendant se voit brouillée par certaines évolutions du marché du travail : passages d’un statut à l’autre plus fréquents, cumul de plusieurs statuts, « zones grises » rapprochant les caractéristiques du travail salarié et du travail indépendant (sous-traitance, autoentrepreneuriat,”ubérisation”).
En dépit de ces évolutions, la couverture sociale des travailleurs indépendants demeure fragmentée entre plusieurs régimes, dont relèvent les différents groupes professionnels; d’importants écarts existent entre les régimes tant en termes de cotisations que de prestations.
La plupart des travailleurs indépendants ne disposent pas d’une protection en cas de perte d’emploi autre que les dispositifs de solidarité ouverts à tous les résidents.
Les anciens travailleurs indépendants représentent 4,1% des chômeurs au sens BIT(123 000) et 4,6% au sens “halo du chômage” (209 000); les 3/4 sont issus des professions artisanales, industrielles et commerciales tandis que peu d’entre eux sont des exploitants agricoles (3%). Les professions libérales sont moins présentes (14%).
Un sur 5 déclare avoir connu une faillite ou un dépôt de bilan.
353 263 ont cessé leur activité en 2015; le taux de cessation (7% en 2015) varie selon les secteurs d’activité : il est le plus élevé pour les activités immobilières (8,5%) et dans les secteurs de l’hébergement et restauration et information et communication (8,1%), mais faible dans les services aux personnes (5,3%); mais les motifs de cessation ne sont pas connus pour les sociétés. Sur les 370 000 radiations du RSI en 2015, 21% concernent des événements pouvant s’apparenter à une cessation d’activité involontaire.
Si 73% des travailleurs indépendants sont inquiets face au chômage (vs 85% pour les salariés), ils sont divisés sur l’intérêt d’une assurance chômage.
La couverture du risque de perte d’emploi des travailleurs indépendants existe déjà dans un certain nombre de pays étrangers, de longue date en Allemagne, Danemark et Suède et récemment en Espagne, Portugal, Autriche, mais la couverture y est facultative et est peu utilisée. Celle ci est obligatoire en Belgique, Luxembourg, Italie et Portugal.
De façon schématique, la mission propose de distinguer quatre groupes principaux :
-un premier groupe est constitué par les travailleurs indépendants qui ont une capacité contributive supérieure à la moyenne mais sont peu concernés par le risque chômage : telles les professions libérales réglementées du droit et de la santé;
-un deuxième groupe est constitué d’une partie des travailleurs indépendants dits « classiques », qui ont une activité déjà établie et une capacité contributive réelle et sont susceptibles de connaître des pertes d’activité involontaires et définitives (cessation totale d’activité, défaillance de l’entreprise). Ce groupe est particulièrement composite (commerçants ou artisans employant souvent des salariés, autres catégories de dirigeants d’entreprise ou mandataires sociaux, aux revenus plus élevés. Cette population pourrait se montrer demandeuse d’une protection contre le risque de faillite;
-un troisième groupe comprend les travailleurs indépendants exerçant, parfois à titre accessoire, dans des secteurs caractérisés par de faibles barrières à l’entrée et à la sortie; Ils n’ont le plus souvent aucun salarié et peuvent exercer sous des formes juridiques diverses (micro-entreprise,’entreprise individuelle ou sous forme sociétaire unipersonnelle).Ils sont particulièrement concernés par la problématique de la dépendance économique à l’égard d’un donneur d’ordre majoritaire ou unique. Leur capacité contributive est inégale mais leur besoin en couverture chômage concerne tant la volatilité des revenus que la perte d’emploi.
-un 4éme groupe peu exposé au risque chômage, mais susceptibles de connaître de fortes variations de revenus (aléas climatiques, variation des cours agricoles…); leur besoin se situe dans des mécanismes de soutien au revenu.
À l’issue de ces analyses, la mission a précisé le champ des travailleurs indépendants susceptibles d’être retenus dans le futur régime d’assurance chômage :
– les travailleurs indépendants affiliés aux régimes des exploitants agricoles (MSA), des artisans et commerçants (RSI) et des professions libérales (CNAVPL et CNBF). Elle exclut en revanche les travailleurs affiliés au RSI (selon des modalités spécifiques) mais dont la nature de l’activité repose sur l’exploitation d’un patrimoine (loueurs professionnels de chambres d’hôtes, meublés pour de courtes durées, etc.) ;
– les travailleurs indépendants assujettis au régime général mais non affiliés au régime général d’assurance chômage. La mission exclut les micro-entrepreneurs administrativement actifs mais économiquement inactifs. Elle exclut de même les conjoints collaborateurs et les aides familiaux, qui ne sont pas rémunérés dans le cadre de leur participation à l’activité indépendante de leur conjoint;
Au total 3,3 millions de chefs d’entreprise dont 1,7 million de travailleurs indépendants classiques, 700 000 microentrepreneurs actifs, 460 000 exploitants agricoles, 180 000 dirigeants assimilés salariés et 250 000 autres; un périmètre plus large pourrait retenir 4,1 millions.
Sur la base de ces analyses, la création d’une assurance chômage est susceptible de répondre à trois grands objectifs, qui concernent des catégories différentes de travailleurs indépendants
1. protéger les travailleurs indépendants contre le risque de défaillance de leur entreprise ;
2. répondre aux défis de la dépendance économique à l’égard d’un donneur d’ordre ;
3. rapprocher les protections des salariés et des non-salariés et sécuriser les transitions professionnelles, voire universaliser la protection contre le chômage à tous les actifs.
Trois types de financements peuvent être distingués :
-des cotisations sociales portant sur les travailleurs indépendants, dans une logique contributive reposant sur la solidarité entre eux (des travailleurs indépendants aisés ou à faible risque vers ceux à faible revenu ou à risque élevé). Le principe d’une telle cotisation fait débat chez les travailleurs indépendants (risque de pression forte sur les bas revenus, opposition des travailleurs peu ou pas exposés au risque de perte d’emploi). Il présente toutefois l’avantage de maintenir un lien étroit entre le revenu perdu et le montant des allocations, ce qui constitue une incitation à la déclaration par les travailleurs indépendants de l’intégralité de leurs revenus (moindre aléa moral). À titre indicatif, une hausse d’un point du taux de cotisations sociales pour l’ensemble des travailleurs indépendants représenterait entre 800 et 900 M€ ;
– des transferts financiers depuis le régime d’assurance chômage des salariés, dans un principe de solidarité entre salariés et travailleurs indépendants (des salariés, employeurs et/ou demandeurs d’emploi vers les travailleurs indépendants). Les partenaires sociaux rencontrés par la mission ont fait part de leur opposition à un tel transfert, a fortiori s’il doit se traduire – dans le contexte du déficit de l’Unédic – par un durcissement des conditions d’indemnisation des salariés ;
– dans une logique de solidarité nationale, des recettes fiscales (la CSG ayant une vocation spécifique à financer la protection sociale) ou des concours du budget de l’État.
Plusieurs scénarios sont ensuite proposés.
“En conclusion, la mission estime que, compte tenu de la large population potentiellement couverte, des risques élevés d’aléa moral qui la caractérisent ainsi que de la méconnaissance des comportements de la population à assurer et des taux de sinistralité, il est nécessaire, lors de la mise en place du dispositif, de définir le risque à couvrir, et les faits générateurs associés, avec prudence – quitte à faire évoluer le dispositif au cours du temps, une fois qu’un régime aura été créé et que davantage de données auront été collectées. Les faits générateurs « stricts » susceptibles de caractériser des pertes d’emploi définitives et involontaires sont toutefois peu nombreux, et conduiraient à couvrir une population indemnisable restreinte (de l’ordre de 50 000 à 70 000 entreprises chaque année). C’est la raison pour laquelle, afin d’alimenter la concertation à venir, la mission a analysé d’autres situations correspondant soit à des faits générateurs plus « ouverts » – pour lesquels la distinction entre perte volontaire et perte involontaire ne peut plus être strictement établie – soit à des faits générateurs dits « ciblés », pour lesquels l’activité économique ne disparaît pas définitivement. S’ils étaient retenus, de tels faits générateurs permettraient de couvrir une population aux profils plus divers, mais seraient susceptibles d’entraîner des comportements frauduleux et des abus.”