Méthodologie : l’enquête TraCov vise principalement à décrire les conséquences concrètes de la crise sanitaire sur les conditions de travail et les risques psychosociaux des actifs. Elle couvre l’ensemble des personnes de 20 à 62 ans ayant travaillé au moins une semaine entre mars 2020 et janvier 2021.
Ne sont retenus ici que les répondants qui utilisent au moins 3 heures par jour des outils informatiques dans le cadre de leur travail et ont recours à la visio-conférence. Ils représentent 5 220 salariés soit 37% de ceux ayant travaillé au moins une semaine hors activité partielle totale ou fermeture administrative. Ainsi 63% n’ont jamais eu recours au télétravail.
Le télétravail, même apprécié, s’est traduit par des problèmes physiques et mentaux ; ces problèmes ont largement touchés la population des “vulnérables”, plus nombreux dans la fonction publique que dans le privé.
Alors que 4% des salariés le pratiquent de manière rérégulière en 2019, en janvier 2021, ils sont 27%.
⇒ 5 groupes de télétravailleurs ont été identifiés (classement du plus intensif au plus faible) :
2 groupes très au fait du télétravail (55% des télétravailleurs) :
♦ Les exclusifs (25% des télétravailleurs et 9% de l’ensemble des salariés) : 5 jours de travail en janvier, plus de 3 mois de télétravail exclusif en 2020, expérience antérieure du télétravail ; Ils sont surtout présents dans les entreprises de plus de 500 salariés.
Ce sont plus souvent des hommes (56%), des cadres, mais qui exercent plus rarement que les autres cadres des tâches de supervision d’autres personnes. Ils sont plus diplômés. Ils vivent davantage en Île-de-France ou en territoire urbain, mais dans des logements plus exigus. Leur conjoint est plus souvent en télétravail.
Les professions le plus souvent rencontrées dans ce groupe sont celles de l’informatique (ingénieurs, techniciens, employés), celles de l’électricité et de l’électronique, ainsi que celles des banques et des assurances.
♦ Les intensifs (30% et 11% des salariés) : 1 à 4 jours de télétravail en janvier, 1 à 3 mois de travail exclusif, combiné avec du présentiel.
Le profil de ce groupe est assez proche du précédent ; ils occupent par exemple des fonctions de cadres dirigeants, de cadres et techniciens commerciaux ou du bâtiment, et sont aussi des personnels des études et de la recherche, des ingénieurs de l’industrie ou des professionnels de la communication.
♦ Le groupe le plus en difficulté, les vulnérables (17% et 6) : 1 à 4 jours de télétravail en janvier, pas de période de télétravail exclusif, avec une période de moins d’un mois en télétravail combiné avec du présentiel, pas d’expérience antérieure du télétravail.
Près de la moitié de ces salariés travaillent au sein de l’administration publique, en particulier en qualité de cadres et de professions intermédiaires. Ils disposent d’une ancienneté plus longue et sont moins souvent des encadrants. 63% sont des femmes.
Les professions les plus représentées sont « formateurs, enseignants ou professionnels de l’action sociale et de l’orientation » et certains métiers du soin comme les médecins.
2 groupes peu utilisateurs du télétravail
♦ Les occasionnels (15% et 6) : pas ou peu de télétravail en janvier, pas ou peu de travail exclusif, mais une courte période de télétravail en 2020, et pas d’expérience antérieure.
Ce groupe compte plus d’employés et de salariés de TPE/PME, des secteurs du commerce et de l’industrie, davantage d’hommes et de personnes peu diplômées.
Ces individus sont salariés de l’agriculture, agents d’exploitation des transports, techniciens et agents de maitrise dans l’industrie ou le bâtiment, employés administratifs d’entreprises ou des services comptables ou financiers, techniciens commerciaux ou administratifs, mais aussi dirigeants de TPE/PME.
♦ Les exceptionnels (13% et 5) : pas de télétravail en janvier, en période de télétravail exclusif de 1 à 3 mois, quelques jours par mois.
Ils sont employés ou professions intermédiaires de TPE/PME ainsi que cadres et professions intermédiaires de l’administration publique.
Leur niveau de diplôme est en moyenne inférieur à celui de l’ensemble des télétravailleurs ; ils sont plus souvent en CDD.
⇒ Souhait de poursuivre ?
Parmi les télétravailleurs, 7 sur 10 souhaiteraient poursuivre cette pratique au moins une fois par semaine, et moins de 1 sur 10 tous les jours de la semaine ; la fréquence privilégiée est d’un ou 2 jours par semaine ; 13% pourraient continuer mais ne le souhaitent pas, et 7% ne souhaitent pas télétravailler, jugeant leurs tâches incompatibles avec le télétravail. Globalement, plus ils ont une pratique intensive du télétravail, plus les salariés souhaitent la poursuivre, avec une intensité toutefois moindre.
93% des exclusifs souhaitent poursuivre cette pratique au moins entre 1 et 5 jours par semaine (dont 57% au moins 3 jours), tandis que 81% des intensifs préfèrent passer de un à 4 jours (dont 57% un ou 2 jours). 42% des vulnérables souhaitent y passer 1 ou 2 jours par semaine, alors que 25% ne souhaitent pas télétravailler.
57% des salariés en télétravail occasionnel souhaitent y passer de 2 jours à quelques jours par mois, alors que 32% ne le souhaitent pas : 48% des exceptionnels ne l’envisagent pas et 57% au plus 1 ou 2 jours par semaine.
⇒ Les modalités de travail
♦ Entre mars 2020 et janvier 2021, par rapport à l’avant crise, les télétravailleurs, notamment exclusifs, travaillent plus longtemps, plus souvent en horaires décalés, et ce, davantage que l’ensemble des salariés ; ils connaissent une hausse des objectifs chiffrés non adaptés. Cette situation est facilitée par une hausse de l’autonomie (capacité à organiser soi-même son travail).
Les salariés qui rencontrent des difficultés matérielles dans le télétravail (vulnérables) subissent un fort allongement de la durée du travail et de son intensité, notamment du fait de devoir « travailler sous pression » ou « penser à trop de choses à la fois ».
Les deux autres groupes (les occasionnels et les exceptionnels), travaillent principalement sur site ; l’évolution de leurs horaires de travail est plus proche de la moyenne du salariat que des télétravailleurs réguliers. Les salariés qui ne pratiquent plus le télétravail (les exceptionnels), se démarquent des autres, par un moindre gain d’autonomie mais avec une amélioration du sens du travail.
♦ À l’exception des salariés qui rencontrent des difficultés matérielles dans le travail à distance (les vulnérables ), les télétravailleurs ne ressentent pas d’affaiblissement particulier du collectif de travail: ils peuvent autant qu’auparavant compter sur le soutien des supérieurs ou des collègues en cas de difficulté dans le travail. Néanmoins, l’insécurité de l’emploi, la peur de perdre son emploi, s’accentuent fortement, y compris pour les télétravailleurs réguliers, pourtant plus souvent dotés de qualifications élevées.
♦ Les exigences émotionnelles, globalement en forte hausse pendant la crise, sont moins dégradées pour les télétravailleurs les plus réguliers (les intensifs et les exclusifs), éprouvant moins de tension avec le public dont la relation se fait plus via internet, ou le téléphone.
♦ De même, si la conciliation entre travail et vie personnelle tend dans l’ensemble à se dégrader pour tous les salariés, c’est moins le cas pour les salariés qui sont le plus en télétravail : certes leurs proches se plaignent plus qu’avant de leur manque de disponibilité à cause du travail, mais ils peuvent aussi mieux gérer la temporalité de leurs engagements personnels et familiaux, en particulier pour les hommes.
♦ Le sens du travail (défini par le sentiment d’utilité sociale et la fierté du travail bien fait) se renforce pour les télétravailleurs occasionnels et exceptionnels, mais pas pour les télétravailleurs plus réguliers.
♦ Les salariés qui rencontrent des dysfonctionnements dans la mise en place du télétravail (les vulnérables) cumulent des dégradations de tous les facteurs de risque, même s’ils gagnent en autonomie. Ce groupe est spécifiquement touché par des hausses marquées des exigences émotionnelles et des conflits de valeur, ainsi que des difficultés de conciliation entre vie professionnelle et vie privée: ils font face à davantage de reproches de l’entourage et éprouvent plus de difficultés à concilier des engagements personnels et familiaux.
⇒ Souffrances physiques et mentales
♦ Entre mars 2020 et janvier 2021, les télétravailleurs éprouvent plus souvent de nouvelles douleurs que l’ensemble des salariés ; elles sont à la fois plus fréquentes et plus fortes. En parallèle, ils sont aussi confrontés à une hausse des troubles du sommeil ; l’apparition de nouvelles douleurs augmente avec le nombre hebdomadaire de jours de télétravail.
Les salariés vulnérables sont les plus touchés par le développement des douleurs physiques et des troubles du sommeil. Ils sont aussi 37% à présenter des symptômes dépressifs (vs 23% pour l’ensemble des salariés) ; cette dégradation est associée aux mauvaises conditions d’organisation du télétravail qu’ils subissent et qui accroissent les risques psychosociaux, sans doute aussi du fait de la baisse de l’activité physique globale.
♦ Une intensité du travail, des exigences émotionnelles et une conciliation plus dégradées pour les femmes. Par rapport à l’avant crise, elles sont plus nombreuses à subir une augmentation de la pression au travail, devoir penser à trop de choses à la fois, ou encore, recevoir des ordres contradictoires.
Elles ressentent davantage une hausse des tensions au travail et sont plus souvent bouleversées dans leur travail. Par rapport à l’avant crise, elles sont plus nombreuses à se voir reprocher par l’entourage, leur manque de disponibilité. L’écart entre genre persiste au sein du groupe qui télétravaille toute la semaine (les exclusifs) ; la conciliation vie professionnelle et vie personnelle est plus difficile pour les femmes.
♦ Comparativement au secteur privé, le télétravail dans le public s’accompagne d’une plus forte dégradation des conditions de travail selon plusieurs dimensions : les conflits de valeur, les difficultés de conciliation entre vie privée et professionnelle, les exigences émotionnelles, la durée et l’intensité du travail. En revanche, ils sont relativement préservés du sentiment d’insécurité de l’emploi : ce dernier a augmenté avec la crise chez tous les télétravailleurs mais de manière bien plus marquée dans le privé (+30 points, contre +11 points dans le public). Un peu plus que ceux du privé, les télétravailleurs réguliers du secteur public ont gagné en autonomie et retrouvé plus de sens à leur travail.
Pour résumer :
Pour en savoir davantage : Télétravail durant la crise sanitaire | DARES (travail-emploi.gouv.fr)