Un projet stratégique se définit à travers plusieurs éléments, dont une ambition. Chez l’entrepreneur, elle est la traduction d’un rêve, d’une situation à faire advenir. Lorsque l’entreprise a grandi, l’ambition est l’expression d’une vision collective de l’avenir.
Le terme ambition porte en lui l’idée d’une certaine démesure, qui crée la mise en tension entre la situation projetée et la réalité d’aujourd’hui et provoque la mise en mouvement.
Par ailleurs, travailler sur l’ambition est un exercice tout à fait distinct de l’élaboration d’un business-plan. Travailler un business-plan à 3–5 ans, sans avoir travaillé l’ambition, se concrétise par la prolongation des courbes passées.
Michel Leclercq, fondateur de Décathlon rappelait que – paradoxalement – les visions les plus ambitieuses sont aussi les plus réalistes, car plus l’écart est grand entre la situation projetée et la réalité d’aujourd’hui, plus l’entreprise est amenée à développer des stratégies différenciantes. Elle aura ainsi plus de chances d’être imaginative et intelligente (David contre Goliath). Il considère que la seule ambition valable et enthousiasmante est de devenir un leader.
La liberté créatrice d’un exercice de vision suppose de s’affranchir de la réalité d’aujourd’hui et de la question des moyens. On y arrive mieux en se projetant à 10 ans.
Définir une ambition est nécessaire mais pas suffisant. D’abord car un projet stratégique ne se résume pas à un but. Le but ne peut être le sens, car quand il sera atteint, le sens disparaîtra (ce que vivent parfois les sportifs de haut niveau après avoir atteint le sommet). Le sens est décrit par la mission de l’entreprise, c’est-à-dire sa raison d’être (Pourquoi ? ou plus simplement Pour qui ? Quoi ?).
L’ambition doit aussi être assortie d’objectifs intermédiaires (on passe de la vision aux prévisions) et des chantiers prioritaires à conduire dès aujourd’hui.
Et c’est à cette étape, que les dirigeants et leurs équipes ressentent souvent un malaise. Car, alors que pour décrire la vision on faisait fi des moyens, en travaillant sur les chantiers, on entre dans la réalité économique, financière et humaine. Et les choses ne s’alignent pas d’emblée !
Le numéro de février-mars 2018 de la revue Harvard Business Review France, apporte dans un article intitulé « le paradoxe de l’objectif démesuré » des éclairages intéressants pour définir le juste niveau d’ambition. L’objectif démesuré est celui qui est à la fois d’une extrême difficulté et d’une extrême nouveauté, c’est-à-dire qu’il suppose des approches radicalement nouvelles. Ces objectifs démesurés peuvent être envisagés seulement si l’entreprise répond à deux critères : elle vient de connaître des succès et ses ressources sont abondantes.
Si l’entreprise dispose de peu de ressources, quelle que soit la situation de succès ou d’échec dans laquelle elle se trouve, elle devra adopter une stratégie de succès incrémentaux et de petites victoires, plutôt que de se donner des objectifs démesurés.
Si l’entreprise sort d’une période d’échec, quel que soit le niveau de ressources disponibles ou accessibles, elle doit se garder aussi d’objectifs démesurés qui risquent d’engendrer le doute et la peur. La stratégie à choisir vise d’abord le retour à la confiance. Là encore, en recherchant les petites victoires rapides et, si elle dispose de ressources, en menant des expérimentations moyennement risquées.
Dans tous les cas, une grande ambition peut être comme l’étoile qui guide le voyageur. Les objectifs démesurés sont la meilleure voie dans certaines conditions de succès et de ressources. Si ces conditions ne sont pas remplies, la sagesse peut être d’engager une étape intermédiaire de petites victoires.