« Il n’y a pas de définition de l’innovation mais il est possible de faire émerger quelques caractéristiques essentielles :
– l’innovation est un processus long, imprévisible et peu contrôlable,
– l’innovation ne se réduit pas à l’invention et l’innovation n’est pas seulement technologique ; pourtant en France, la culture de l’innovation technologique est tellement forte que seules 23 % des entreprises françaises pratiquent l’innovation non technologique, contre 47 % des entreprises allemandes et 60 % des entreprises japonaises.
– au bout de ce processus, sont créés des produits, des services ou des procédés nouveaux qui font la démonstration qu’ils répondent à des besoins (marchands ou non marchands) et créent de la valeur pour toutes les parties prenantes.
– une innovation ne se décrète pas, ne se planifie pas mais se constate par le succès commercial (ou sociétal) qu’elle rencontre. Ceci explique qu’elle naît souvent aux marges des entreprises existantes et dans des interactions avec des acteurs très différents.
Toute politique de soutien à l’innovation doit donc aider non seulement les « producteurs » d’innovation, ainsi que les early adopters (c’est-à-dire les premiers clients ou usagers qui prennent le risque d’utiliser cette future innovation) et doit contribuer à la diffusion de l’innovation dans l’ensemble des secteurs économiques.
Sur la base d’indicateurs collectés dans des enquêtes nationales normalisées (CIS), synthétisés en un indicateur composite, la Commission Européenne identifie un groupe de pays « leaders » en innovation se démarquant nettement du reste de l’Europe (Suède, Danemark, Allemagne et Finlande), puis un groupe de pays « suiveurs », où la France figure, juste au-dessus de la moyenne européenne ; elles se situe au 11e rang européen.
Toutefois les classements de la France restent stables dans les paysages européen et mondial (16éme rang) de l’innovation. La France se positionne correctement sur les indicateurs de moyens mais moins sur les indicateurs de résultats. Ce n’est donc pas un manque de moyens publics qui sont en cause mais une trop faible efficacité du système. « Il nous faut changer radicalement notre mode de penser : passer d’une vision où la dépense de R&D est la principale préoccupation, à une vision systémique axée sur les résultats en termes de croissance et de compétitivité. »
L’enjeu : le rôle des start-ups dans la création d’emplois (exemple des USA)
Une étude récente (The importance of startups in job creation and job destruction, 2010, Kauffman Foundation) documente l’impact des startups sur l’économie américaine sur une longue période (1992-2005). Elle conclut à une création nette de près de 3 millions d’emplois par an sur cette période, ce qui permet de compenser les pertes nettes d’emploi des entreprises existantes.
Dans ce contexte, l’Administration Obama a engagé une politique très volontariste en faveur de la création d’entreprise, notamment avec l’initiative Startup America qui couvre un large spectre d’actions : renforcement de l’enseignement scientifique dans le secondaire et les universités, facilitation de l’accès au capital pour les jeunes entrepreneurs, mesures fiscales, Green Card pour les entrepreneurs étrangers, formation à l’entrepreneuriat des ingénieurs (Science Talent Expansion Program conjoint entre la NSF et Stanford), accompagnement des entrepreneurs (création d’un programme Innovation corps de type mentorat), etc.
Une autre caractéristique notable de cette initiative est l’engagement des entreprises dans le cadre d’un partenariat public-privé, par exemple avec la création de fonds d’investissement.
L’innovation résulte de plusieurs facteurs :
– une bonne culture de l’innovation et de l’entrepreneuriat,
– un transfert efficace vers le monde socio-économique des résultats d’une R&D performante,
– des financements publics et privés (en particulier le capital-risque) pour la croissance des entreprises innovantes,
– l’existence de réseaux d’acteurs ancrés sur les territoires, les « écosystèmes », qui catalysent les trois éléments précédents.
C’est l’ensemble de ces quatre dimensions qui déterminent tout système régional et national d’innovation.
Selon les rapporteurs de l’étude, les forces et faiblesses de la France, en ce domaine, sont les suivantes :
– Ressources humaines : la France peut s’appuyer sur de bons taux de diplômés du secondaire et du supérieur (supérieurs à l’Allemagne), mais elle est loin derrière les pays leaders en innovation en matière de nombre de doctorants, le diplôme reconnu internationalement.
– Qualité et attractivité des systèmes de recherche, un atout français à renforcer : la France est au 5e rang européen et 11éme rang mondial en nombre de publications.
– Efficacité en matière de transfert : une situation à améliorer.
– Investissements, financement et aides : une situation mitigée ; la dépense intérieure de R&D française est à 2,26 % du PIB, un indicateur de faiblesse de notre capacité d’innovation. En termes de financement en fonds propres de l’innovation, la France a l’avantage par rapport à l’Allemagne d’avoir un capital-innovation (capital-risque et capital-développement) actif ; mais elle est largement dépassée par les pays d’Europe du Nord, le Royaume-Uni, les États-Unis ou d’Israël (ces derniers en sont les champions).
– Actifs de propriété intellectuelle : en nombre de dépôt de brevets, de marques communautaires ou de design communautaires, la France se situe dans une faible moyenne européenne, largement devancée par les pays leaders que sont l’Allemagne, la Suède ou le Danemark ; le vrai problème est que ces actifs de propriété intellectuelle sont sous-exploités.
– Entreprises innovantes : quelle que soit la catégorie d’innovation (produit, procédé, commerciale ou organisationnelle), la part de PME ayant innové en France se situe dans la moyenne européenne, loin derrière l’Allemagne ; en matière d’exportations, corrélées avec l’innovation, les produits de moyenne ou haute technologie représentent près de 60 % des exportations françaises de produits (une performance encourageante), à relativiser du fait de la faiblesse de nos exportations (notamment la faiblesse des exportations de services à forte intensité de connaissance).
Toute innovation a une dimension entrepreneuriale, même au sein d’une entreprise existante. L’innovation n’est pas un processus naturel pour une organisation humaine. Elle relève de la volonté et de la détermination d’un ou plusieurs individus et suppose esprit visionnaire, prise de risque, capacité d’initiative très forte, culture du projet et volonté d’aboutissement. Elle nécessite d’être à l’aise avec les incertitudes et les ambiguïtés, d’être capable d’identifier des opportunités que d’autres ne verront jamais, de se focaliser dessus, d’être tenace, persistant, courageux, tout en étant perméable aux idées et aux conseils.
La création d’entreprises innovantes à forte croissance est un fort déterminant de l’émergence ultra-rapide de leaders mondiaux ; alors que l’économie américaine représente 6,5 fois l’économie française en taille, elle a fait émerger 20 fois plus de nouveaux leaders industriels mondiaux depuis 1970. Or l’un des atouts majeurs de l’économie française tient au nombre de grandes entreprises dont elle dispose, mais peu en création d’entreprise.
Il y a lieu de booster la culture entrepreneuriale dans l’enseignement à tous les niveaux.
Les français sont ceux qui pensent le moins qu’être créatif peut apporter de la valeur à notre société (53% y croient contre 76% des américains) ; les enseignants français en doutent également : la France est avant-dernière parmi les 27 pays de UE lorsqu’on leur demande s’ils pensent que «le développement de la créativité des élèves joue un rôle important dans les programmes scolaires» (30% le pensent) ; elle est la dernière aussi pour l’item « la créativité fait partie de leur formation de formateur » (14% des enseignants français répondent oui, là où la moyenne européenne est à 41%).
Toutefois des actions sont menées telle la création de mini-entreprises à l’école (« Entreprendre pour Apprendre ») ; développée par le mouvement Junior Achievement (JA), Entreprendre Pour Apprendre a concerné plus de 12 000 jeunes impliqués dans 700 mini-entreprises en 2010-2011, un résultat modeste au regard de la Russie (1,1 million de jeunes), de la Pologne (700 000 jeunes), de la Grande-Bretagne (270 000) ; au total, 3,1 millions de jeunes ont suivi ce programme en Europe en 2009-2010, et 10 millions dans le monde, avec un impact prouvé sur l’entrepreneuriat.
Le « dilemme de L’innovateur » : l’innovation est une dissidence parce qu’elle s’exprime « aux marges », par une prise de risque et dans un contexte de rupture ; dans son ouvrage de référence (1997) The innovator’s dilemma. Why new technologies cause great firms to fail, Clayton M. Christensen a montré, par une analyse historique, que les principaux vecteurs d’innovation sont les jeunes entreprises innovantes (pour environ trois quarts des innovations technologiques majeures), non pas parce que « small is beautiful », mais parce qu’elles peuvent/doivent prendre des risques. Les start-ups agissent comme des virus qui propagent l’innovation vers les grands groupes établis (qui se l’inoculent par acquisition).
Par ailleurs, les laboratoires de R&D des grands groupes mettent au point nombre d’innovations potentielles ; celles ci sont tuées en interne pour des raisons d’allocation des ressources, de marché potentiel marginal par rapport à l’activité du groupe, ou tout simplement de non-alignement avec la stratégie du groupe. Un gaspillage que l’essaimage devrait éviter au profit de tous en installant ces « inventeurs » dans une démarche entrepreneuriale, un nouvelle politique fondée sur une ambition (la création d’activités et d’emplois) et non la gestion des restructurations industrielles.
Le recours à la matière grise immigrée ; le pays utilisant le plus cette arme est sans conteste les États-Unis, où de nombreuses études ont démontré l’importance de ce recours dans le dynamisme économique américain : dans la Silicon Valley, la proportion des start-ups créées par des migrants s’élève à 52%, dans le cluster de New-York (44%), celui de Chicago (36%), San Diego (32%), Boston (31%) ; ces créateurs d’entreprises sont très diplômés (74% ont un Master ou plus et 75% de ces diplômes sont dans les matières Science, Technology Engineering, Maths) ; dans 25% des sociétés technologiques créées entre 1995 et 2005 aux États-Unis, le PDG ou le « lead technologist » étaient nés hors des États-Unis (en 2005, ces sociétés représentaient 450 000 emplois). 40% des sociétés américaines du « Fortune 500 » ont été fondées par des migrants (18%) ou leurs enfants (22%).
26% des demandes de brevets aux USA sont le fait d’étrangers résidants aux USA.
Parmi les migrants fondateurs de start-ups aux USA, seul 1,6 % avaient immigré pour créer une entreprise, par rapport aux 52% qui étaient venus initialement pour étudier et aux 40% pour travailler.
Les moyens dédiés au transfert par la création d’entreprise en France
Un Concours a été créé en 1999 et a récompensé plus de 2 500 lauréats pour près de 1 300 entreprises créées: 88% restant en activité après 5 ans. Son budget a subi une érosion constante : 28M€ en 2000, 31M€ en 2003, 25M€ en 2006, 21M€ en 2008, moins de 15M€ en 2012.
Les incubateurs de la recherche publique, au nombre d’une trentaine, sont issus de la loi de 1999. Depuis leur création en 2000, ils ont accompagné plus de 3 100 projets qui ont débouché sur 2 200 entreprises, à 95% issues de ou liées à la recherche publique. Leur financement est assuré par le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, les régions et des fonds européens. Depuis quelques années, le financement du MESR est en forte décroissance : la dotation triennale était ainsi de 17,6M€ sur la période 2010-2012 contre 21M€ sur 2007-2009.
Le financement des entreprises innovantes
Pour une entreprise dont les produits ou services rencontrent un succès commercial, les financements auxquels elle a accès, déterminent sa rapidité de déploiement. Emprunter est donc essentiel, mais là est une question difficile. Selon les rapporteurs, Il manque 2Md€ par an pour financer la croissance des entreprises innovantes (5,5Md€ si nous voilions être au plus haut niveau).
Or les rentabilités pour les investisseurs sont faibles : en 2010, les segments amorçage et capital-risque avaient une rentabilité de -2,7% en France (-1,9% en Europe) et le segment capital développement avait une rentabilité de 6,6% en France (3,9% en Europe).
Si le développement du capital-innovation en France (3,5Md€ investis par les sociétés de gestion françaises en 2011) est un atout par rapport à d’autres pays européens (notamment l’Allemagne), la France reste en retard par rapport aux pays les plus innovants au monde. Les business angels sont encore en nombre très insuffisant (8 000 contre 50 000 en Grande-Bretagne et 265 400 aux USA) et le nombre d’entreprises bénéficiaires faible (280 contre 61 900 aux USA).
S’agissant du capital-développement, les montants maximaux investis en France sont de 20 à 25M€, alors qu’ils sont de 100 à 300M€ aux États-Unis.
Qui plus est, le capital-investissement français en général est dans une impasse de collecte : un déficit structurel s’est creusé entre la collecte et les investissements depuis quelques années (déficit de 3,3Md€ en 2011) ; la collecte auprès d’investisseurs étrangers est pourtant bonne (multipliée par 3 en 2011, 52% de la collecte totale), alors que la collecte nationale est en baisse de 20%. Cette impasse de collecte générale du capital-investissement touche encore plus durement le sous-ensemble capital-innovation où les prévisions d’allocation sont en baisse de 30% en 2011.
Par ailleurs, pendant la réalisation du projet, la PME doit avancer les financements pour réaliser ses travaux de R&D ; des avances sont souvent versées mais les règles sont fluctuantes en fonction des financeurs ; l’échelle de temps est bien la principale difficulté pour les PME alors que pour un grand groupe, décaler un projet de 6 à 24 mois est monnaie courante.
La protection industrielle issue de la recherche publique en France est de bonne qualité, et comparable aux meilleurs pays, mais son exploitation économique est largement insuffisante et ne contribue pas à une accélération de la croissance des entreprises, principalement en raison de problèmes organisationnels.
Selon les chiffres 2012 de l’Observatoire de l’Institut National de la Propriété Industrielle, la France reste en retard en matière de sensibilisation à la propriété Industrielle ; la France est 4e en matière de dépôt de brevets européens et 6e pour les dépôts par voie internationale (PCT), derrière les États-Unis, le Japon, l’Allemagne et désormais la Chine et la Corée ; cette place est à comparer à celle de la France pour la dépense de R&D (4e).
La comparaison avec l’Allemagne est éclairante : en 2010, la France représente 16.4% de l’effort de R&D européen (l’Allemagne 28.3 %) mais 14 % des brevets européens (l’Allemagne 39.9 %).
Ses grandes entreprises sont une opportunité et leur mobilisation dans le soutien à l’émergence et à la croissance d’entreprises innovantes un enjeu majeur. Cependant pour des raisons culturelles, les liens entre PME innovantes et grandes entreprises ne sont pas aussi forts que chez nos voisins allemands, italiens ou encore américains ; Il est très difficile de développer l’état d’esprit du « chasser en meute » en France et il sera très long de changer les mentalités.
Le turnover au sein des grands groupes est une réelle difficulté et risque de compromettre l’aboutissement de nombreux projets, ceci est d’autant plus grave que le temps d’accès aux décideurs (métiers, achats, production) est long et donc coûteux pour une PME et qu’au moment où le climat de confiance s’instaure la personne poursuit sa carrière ailleurs et le travail de réseau est entièrement à reprendre par la PME.
Trop souvent, le grand groupe ne passe pas de commande en raison de la faiblesse des fonds propres de la PME ; le service achats considère qu’il n’a pas assez de visibilité sur le moyen terme et aucun mécanisme de pérennité de la disponibilité de la solution n’existe en cas de défaillance de la PME.
Enfin le grand groupe considère qu’une PME peut apporter des idées innovantes, mais n’a pas la taille critique suffisante pour assurer l’industrialisation du produit et encore moins son déploiement et son suivi d’exploitation en particulier pour tous les sites du groupe à l’International. Seules les ETI ou pré-ETI ont une chance de les convaincre.
Le véritable enjeu est bien de concevoir un nouveau cadre stratégique pour l’innovation et ceci justifie que la politique publique de l’innovation se dote enfin des instruments de son ambition. Quelques axes peuvent structurer cette politique globale :
– la vitalité des écosystèmes est au coeur de la dynamique d’innovation : la priorité est donc de la soutenir, en évitant la difficulté de rentrer pour cela dans une démarche administrée.
– le foisonnement des dispositifs et des structures est inhérent à l’innovation : leur organisation légère, évitant toute approche normative et statique, est un préalable à une meilleure efficacité de l’action publique.
– la consolidation d’une politique de l’innovation passe par un opérateur de gestion unique, bras armé de l’État, à même de capitaliser les informations sur les entreprises innovantes et d’harmoniser les pratiques.
– l’évaluation dans la durée et en fonction de son impact économique du système d’innovation est le fondement de toute politique publique de l’innovation : cette évaluation doit être indépendante, s’inscrire dans le seul objectif de développement économique et fournir le pilier d’une stratégie de l’innovation
-Il est indispensable de reconnaître le rôle des écosystèmes locaux, en particulier au niveau des métropoles, comme points d’appui des stratégies régionales et de la stratégie nationale d’innovation : l’organisation, la structuration et l’animation des écosystèmes d’innovation, par nature locaux (entreprises innovantes, enseignement supérieur, laboratoires de recherche, outils nés du PIA, capital-risque…), doivent se faire au plus proche des bassins économiques et académiques