Une comparaison France et pays étrangers sur l’intention de créer une entreprise.


"Création d'entreprise : de la volonté au passage à l'acte" France Stratégie, la note d'analyse N°87, avril 2020

Méthodologie : cette note tente de répondre à la question à partir des données individuelles disponibles les plus récentes de l’enquête GEM (2014 lors de la rédaction de cette note), en modélisant la probabilité de devenir entrepreneur et en décomposant la transition vers l’entrepreneuriat en deux étapes : la volonté d’entreprendre et le passage à l’acte. 

 

L’étude de France Stratégie suscite plusieurs questions:

– Celle des sources relatives au nombre de créateurs en France et des concepts utilisés (comprend les autoentrepreneurs, les repreneurs d’entreprise ?); le concept création est-il le même dans les différents pays cités ? Quelle comparaison fiable peut être faite, avec quels biais ?

– Les questions relatives à l’entrepreneuriat sont-elles fondées sur les mêmes représentations de cette réalité dans les différents pays?

– Les écarts observés prennent-ils en compte les différences d’appréciations des répondants (exemple : en France les répondants sont moins pragmatiques que les Allemands: idéalisation de la fonction de chef d’entreprise en terme sociétal, mais plus grande distance avec le fait de passer à l’acte)? Si oui, comment cela est-il corrigé ?

– Pourquoi des décalages importants avec les sondages effectués en France depuis plus de 20 ans ? Paradoxalement, l’étude de France Stratégie ne fait référence à aucun autre travail que celui de GEM. Pourquoi ?

 

L’utilisation des données GEM manifeste des écarts importants avec ce que les sondages et études Françaises nous apprennent.

 

Selon l’enquête internationale Global Entrepreneurship Monitor (GEM), la proportion de nouveaux entrepreneurs se situerait en France en dessous de la moyenne de l’OCDE ; au même niveau qu’en Allemagne mais en retrait par rapport au Royaume-Uni et aux États-Unis. Paradoxalement, la volonté d’entreprendre en France atteindrait un très haut niveau, supérieur même à celui des États-Unis : en 2018, elle animerait 18,6% des personnes âgées de 18 à 64 ans, contre 12,1% outre-Atlantique.

Il y aurait donc une importante réserve latente d’entrepreneurs en France.

⇒ Les Français et l’image de l’entrepreneuriat

♦ L’image que les Français se font de l’entrepreneuriat s’est améliorée au cours des deux dernières décennies, rejoignant la moyenne des pays de l’OCDE : sur la période 2012-2014, 61% des Français âgés de 18 à 64 ans déclarent que l’entrepreneuriat est perçu dans la société comme un choix de carrière désirable, contre 56% en moyenne dans l’OCDE, 54 au Royaume-Uni, 50 en Allemagne et 65 aux États-Unis.

 

♦ Près des 3/4 des Français considèrent que l’entrepreneuriat est associé à un statut social élevé, plus que dans l’OCDE en moyenne mais autant qu’aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Allemagne.

 

♦ L’entrepreneuriat est néanmoins perçu comme moins valorisé par les médias en France, et cette opinion évolue peu depuis 2000. De manière agrégée, c’est en France que la vision de l’entrepreneuriat a le plus progressé entre 2002-2004 et 2012-2014 : la moyenne de réponses positives aux trois questions ci-dessus y a augmenté de 15%, contre 10 aux États-Unis. L’OCDE, le Royaume-Uni et l’Allemagne n’ont pas connu quant à eux de modification significative.

 

♦ Plus d’un Français sur trois connaît un entrepreneur, ce qui constitue un début de capital social : c’est plus que dans les trois autres pays étudiés et qu’en moyenne dans l’OCDE.

 

Les points ci-dessus sont en phase avec ce qui est régulièrement publié en France, même si les résultats, selon les sondages, peuvent quelque peu différer.

 

⇒ L’envie de créer une entreprise

♦ La perception qu’ont les Français de leur potentiel entrepreneurial. À la question « Déclarez-vous avoir le savoir, les compétences et l’expérience nécessaires pour démarrer une affaire ? », seul 1/3 répond positivement, autant qu’en Allemagne mais 10 points de moins qu’au Royaume- Uni et dans l’OCDE en moyenne, et 20 points de moins qu’aux États-Unis.

 

♦ En ce qui concerne leur perception des opportunités entrepreneuriales, 1/3 répond positivement à la question « Jugez-vous qu’il y aura de bonnes opportunités pour démarrer une affaire là où vous vivez dans les six prochains mois ? », contre près d’un sur deux aux États-Unis.

 

♦ L’écart est moindre pour l’aversion au risque : à la question « La peur de l’échec vous empêche-t-elle de créer une entreprise ? », 46% des Français répondent par l’affirmative, soit autant qu’en moyenne dans les pays de l’OCDE et 10 points de plus qu’aux États-Unis.

 

♦ 18,6% des Français souhaitaient devenir entrepreneur; c’est mieux qu’aux États-Unis (12,1%), trois fois plus qu’en Allemagne et deux fois et demie plus qu’au Royaume-Uni. La France est de fait le pays où cette volonté d’entreprendre a le plus progressé depuis 2000.

Les résultats des sondages conduits en France depuis plus de 20 ans sont fort différents : une moyenne de 27% ont l’intention de créer; 7% ont envie de créer dans les 2 ans et ont déjà réfléchi à leur projet.

 

♦ Toutefois, les Français entreprennent moins. Entre 2012 et 2014, seulement 1,6% des Français en âge de travailler avaient créé une entreprise dans les trois années précédentes, contre 4% environ aux États-Unis et au Royaume-Uni, 3,4% dans l’OCDE et 2,1% en Allemagne. Les chiffres ne sont guère meilleurs si on élargit aux entrepreneurs établis depuis plus de trois ans (quelle différence avec le concept précédent, soit entre nouveau créateur et nouvel entrepreneur établi ?): ils ne sont que 3,3% en France, contre 7,8 % aux États-Unis, 7,1% dans l’OCDE, 6,6% au Royaume-Uni et 5% en Allemagne.

Si je calcule le rapport nombre de créations (hors reprise et autoentrepreneurs compris), soit 1,639 millions sur les années 2012 à 2014, sur la population active (de l’ordre de 30 millions) le ratio est de 5,5% et de 2,6% si je ne prends pas en compte les autoentrepreneurs au lieu de 1,6% comme mentionné dans l’étude GEM.

 

De fait, les Français concrétisent moins qu’ailleurs leur volonté en acte. Entre 2012 et 2014, moins d’un individu sur dix ayant l’envie d’entreprendre a finalement créé son entreprise, contre un sur quatre en moyenne dans les pays de l’OCDE et près d’un sur deux au Royaume-Uni.… Et le fait n’a rien de nouveau : en 2012-2014, le nombre de nouveaux entrepreneurs rapporté à celui des personnes ayant la volonté d’entreprendre était de 9,4% en France contre 24,5% dans l’OCDE ; dix ans plus tôt, ces chiffres étaient de 13,3% et 28,6% (cette baisse est paradoxale alors que le flux des créations a été multiplié par 2,3 en 10 ans) .

Tout dépend si celui qui est interrogé s’exprime aussi sur le fait qu’il a crée (le mode de recueil selon GEM) ou si l’on observe le flux effectif des créations, ce qui laisserait penser que le taux de sondage de GEM a été insuffisant pour être représentatif.

⇒ Pourquoi les écarts entre la France et les autres pays ?

Les différences de résultats entre la France et la moyenne des pays de l’OCDE ne peuvent s’expliquer que par deux éléments : ou bien la population française est atypique en termes de variables observables individuelles corrélées avec les différentes phases de l’entrepreneuriat, ou bien la France, en tant que modèle économique, social, réglementaire, fiscal et financier, apparaît globalement comme un handicap en matière de création d’entreprise.

Pour créer une entreprise, il faut en avoir la volonté puis passer à l’acte. On considère ici qu’un individu est passé à l’acte lorsqu’il réussit à créer son entreprise sous les deux ans qui suivent la volonté d’entreprendre.

À l’aide de trois modèles logistiques estimés pour l’OCDE, il est possible d’identifier les caractéristiques individuelles — âge, sexe, niveau d’éducation, etc. — qui influent en moyenne sur la volonté d’entreprendre, sur le passage à l’acte et sur la probabilité d’être un nouvel entrepreneur.

 

Les caractéristiques de le personne

 

  La volonté d’entreprendre diminue avec l’âge; elle est plus marquée en France où les seniors sont moins enclins que les américains à vouloir entreprendre (notamment du fait des faibles retraites), mais autant que les seniors britanniques et allemands.
Une personne ayant entre 55 et 64 ans a une probabilité de vouloir créer une entreprise trois fois inférieure à celle d’une personne entre 18 et 24 ans, et plus de deux fois inférieure à celle d’une personne âgée de 35 à 44 ans. Quant à la probabilité de passer à l’acte, elle atteint son niveau maximal à 45 ans, avant de décroître.

 

♦ Les motivations des créateurs d’entreprise : un entrepreneur par opportunité crée son entreprise parce que l’occasion commerciale s’en présente; un entrepreneur par nécessité n’a lui pas d’autre option pour trouver du travail. Cette motivation a un impact attesté sur le succès à terme (probabilité de survie, chiffre d’affaires de l’entreprise). On constate que les jeunes créent plus souvent des entreprises par opportunité et moins par nécessité (peu de jeunes sont chômeurs; ils deviennent plus nombreux chez les plus âgés, notamment pour se réinsérer sur le marché du travail).
Au final, la France présente une structure de population plus jeune et donc plus favorable à l’entrepreneuriat, notamment d’opportunité, que celle de l’Allemagne, mais moins favorable que celle des États-Unis, et du Royaume- Uni dans une moindre mesure.

Et pourtant les plus jeunes sont peu créateurs, voire par nécessité comme une bonne part des étudiants, largement sous forme d’auto-entrepreneur.

 

♦ Être une femme : sur la période 2012-2014, les femmes représentent dans la population Française 50% des 18-64 ans mais 42% des personnes ayant la volonté de créer une entreprise et 38 % des nouveaux entrepreneurs. Ces constats sont affinés par l’estimation des modèles qui indiquent que les femmes ont une probabilité de créer une entreprise inférieure d’environ 20% à celle des hommes. 

Dans les sondages conduits sur l’intention de créer ou reprendre une entreprise, en moyenne les femmes sont désormais proches des hommes (30% vs 27 en 2020); elles sont 30% des créateurs non autoentrepreneurs et 40% au sein des autoentrepreneurs (en moyenne globale 34%)

 

Selon les données de la base GEM, l’année 2018 marque une nette rupture à la hausse de l’entrepreneuriat féminin, qui rejoint les niveaux américains : il s’agira de vérifier cette tendance dans le temps pour conclure à un changement structurel. Enfin, l’âge accroît l’écart entre hommes et femmes puisqu’une femme entre 55 et 64 ans a 34% de chances en moins de créer une entreprise qu’un homme du même âge.

En fait, les jeunes femmes diplômées de l’enseignement supérieur ont accéléré leur présence notamment dans le champ des professions libérales.

 

♦ Le niveau d’éducation joue positivement sur la création d’entreprise La probabilité de créer son entreprise augmente avec le niveau d’éducation. À niveau bac + 5, une personne à deux fois plus de chances d’entreprendre qu’une personne non diplômée. Cet écart provient de la volonté de créer qui est croissante avec le niveau d’éducation et non du passage à l’acte qui n’est pas influencé par cette variable.

Selon l’OCDE, en France en 2018, 47% environ des 25-34 ans sont diplômés de l’enseignement supérieur, soit un peu plus que la moyenne des pays de l’OCDE. Mais la France se distingue surtout par un écart de niveau d’éducation très élevé entre générations : moins d’un quart des 55-64 ans sont diplômés du supérieur. Cela rend compte d’un phénomène de massification de l’enseignement qui pourrait se révéler globalement favorable à un rattrapage en matière de dynamisme entrepreneurial dans les années à venir.

 

♦ Les demandeurs d’emploi sont enclins à créer leur entreprise

En ce qui concerne la volonté d’entreprendre, 12% des personnes travaillant à temps plein ont la volonté d’entreprendre, contre 9% de ceux à temps partiel, 8% des inactifs, 14% des étudiants et 19% des chômeurs.

Ceci étant selon les enquêtes Sine, les chômeurs ne sont que de l’ordre de 30% des nouveaux créateurs.

 

Les aspects comportementaux

 

Lorsqu’un individu se perçoit comme « compétent », cette probabilité se trouve multipliée par cinq. À l’inverse, la peur de l’échec réduit de 40% la probabilité de créer une entreprise.

 

♦ Penser que l’environnement offre des opportunités commerciales à saisir accroît la probabilité de créer une entreprise de 40% environ, toutes choses égales par ailleurs.

 

L’environnement

 

♦ Ajouter à cela le fait de penser que la société considère l’entrepreneuriat comme un choix de carrière désirable accroît de 21% la probabilité qu’une personne souhaite devenir entrepreneur. Considérer que les médias renvoient une image positive de l’entrepreneuriat accroît cette probabilité de 9 %.

 

Sur ces différents thèmes, les tendances observées ici sont du même ordre que celles repérées dans différentes études Françaises, notamment les exploitations Sine de l’Insee.

 

L’écart entre pays est en fait expliqué par le fait que la France offre un environnement moins adapté à l’entrepreneuriat.

En ce qui concerne la formation à l’entrepreneuriat en primaire et secondaire, la France reçoit une note médiocre. Il semblerait que les Français souhaitent fortement entreprendre mais ne savent pas comment s’y prendre, ignorent les procédures ou n’aient pas les bases nécessaires en gestion d’entreprise.

Le rapport Eurydice de la Commission européenne sur l’éducation entrepreneuriale publié en 2014 tend à confirmer ces résultats. Une comparaison internationale, du primaire au lycée, montre que la France est un des pays les moins bien classés, sans cours de sensibilisation ou de découverte de l’entrepreneuriat. Plus globalement, la Fondation européenne pour la recherche entrepreneuriale18 soulignait en 2008 le retard pris sur les États-Unis, en relevant l’absence en Europe de diplôme, de formation ou de statut étudiant spécifique à l’entrepreneuriat. En France, par exemple, le statut d’« étudiant entrepreneur » a été créé seulement en 2014, quand l’équivalent américain existait avant les années 1990. Il y aurait quatre fois moins de chaires entrepreneuriales dans les universités européennes qu’aux États-Unis.

Cette situation a bien changé depuis quelques années.

 

Les bases de données PMR (Product Market Regulation) de l’OCDE et Doing Business de la Banque mondiale apportent un éclairage complémentaire. Si on en croit l’indicateur de charges administratives pour les entreprises en phase de démarrage de la base PMR, il serait plus compliqué de créer une nouvelle entreprise en France qu’en moyenne dans les pays de l’OCDE.

La base Doing Business de la Banque mondiale fournit quant à elle des informations sur la facilité d’accès au crédit, sur le taux d’imposition des entreprises et sur la charge administrative liée aux paiements. Sur ces deux indicateurs, la France est encore une fois mal placée parmi les pays de l’OCDE à hauts revenus : 104e sur 190 pour l’accès au crédit, 61e sur 190 pour le taux d’imposition des nouvelles entreprises et la facilité à payer les impôts. Au total, le niveau de réglementation, d’imposition et la difficulté d’accès au crédit sont autant d’éléments qui s’ajoutent au reste pour expliquer le relatif faible pourcentage de nouveaux entrepreneurs en France.

 

L’édition 2017 de doing business classe la France au 29ème rang, d’une manière globale, et au 27ème pour la création d’entreprise, soulignant que le délai nécessaire pour démarrer une activité y a été raccourci de 4 à 3,5 jours. En revanche, la France présente des faiblesses dans le paiement des impôts (63ème), l’accès au crédit (82ème) et le transfert de propriété (100ème). Dans l’édition 2018, la France recule de deux places, au 31ème rang, derrière le Royaume-Uni (7ème), l’Allemagne (20ème), l’Espagne (28ème) ou le Portugal (29ème). Elle reste 27ème pour la création d’entreprise.

 

Pour en savoir davantage : https://www.strategie.gouv.fr/publications/creation-dentreprise-de-volonte-passage-lacte