Deux ensembles de constats de la Cour des Comptes à propos de l’intervention de l’Etat en direction de la création d’entreprises :


"Rapport d’évaluation : les dispositifs de soutien à la création d’entreprises", tome 1, Cour des Comptes, février 2012

Le rapport de la Cour des comptes, demandé par le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) de l’Assemblée Nationale, a eu pour objet de réaliser une « évaluation des dispositifs de l’Etat en faveur de la création d’entreprises » ; ce rapport n’est pas une « évaluation de la politique de création d’entreprises ».

La création d’entreprise, activité relève de l’initiative privée (volonté d’entreprendre des citoyens, goût du risque des apporteurs de capitaux) ; cette dimension « culturelle » conduit à relativiser l’efficacité à court terme de l’action des pouvoirs publics, qui peuvent cependant s’efforcer de faire évoluer à moyen terme la culture entrepreneuriale de la société.

 

Deux ensembles de constats de la Cour des Comptes à propos de l’intervention de l’Etat en direction de la création d’entreprises :

Un pilotage insuffisant et une gouvernance déficiente, un coût global des dispositifs de soutien mal connu mais limité, l’absence d’une stratégie d’ensemble, une action de l’Etat mal coordonnée, notamment sur les territoires

• Une trop forte concentration des dispositifs au profit des chômeurs et des entreprises innovantes, et par ailleurs des aides concentrées sur la création plutôt que sur le développement

 

 Ce rapport s’est appuyé sur :

• des rapports de dix chambres régionales des comptes (CRC) associées à cette enquête, qui ont examiné les conditions de mise en œuvre des dispositifs de soutien à la création d’entreprises sur leurs territoires ;

• des auditions des principaux acteurs nationaux concernés;

• les échanges avec les membres d’un comité consultatif constitué afin de pouvoir entendre les réactions des parties prenantes sur l’organisation des travaux, les constats et les recommandations des rapporteurs ;

• trois tables rondes de créateurs d’entreprises organisées, à la Cour, à la chambre régionale des comptes d’Arras et à celle de Lyon ;

• deux sondages réalisés, l’un, par internet, auprès de 800 jeunes en fin de scolarité dans des IUT, des écoles d’ingénieurs, des écoles de commerce ou des universités, pour mesurer leur « culture entrepreneuriale », l’autre, par téléphone, auprès de 800 personnes ayant créé une entreprise entre 2006 et 2009 et dont l’entreprise a désormais disparu, pour comprendre les conséquences de cette expérience dans leur vie professionnelle ultérieure ;

• une analyse comparative des dispositifs publics d’aide à la création d’entreprises dans huit pays (Allemagne, Belgique, Espagne, Etats-Unis, Italie, Israël, Royaume Uni et Suède), réalisée par la direction générale du Trésor.

 

Je rendrais compte de ces différents travaux dans cette note, en plusieurs analyses (dont celle relative aux pays étrangers dans la prochaine note mensuelle).

 

Avec 549 805 entreprises créées en 2011, la France se place au tout premier rang des pays européens en nombre de créations annuelles du fait des auto-entrepreneurs, mais aussi de la forte hausse de 2003 à 2008, ce qui conduit la Cour à dire que la France ne souffre pas d’une insuffisance de création d’entreprises. En revanche, ces créations ont un taux de pérennité limité (66% des entreprises créées en 2006 étaient toujours en activité en 2009, 52% après 5 ans). Plusieurs facteurs ont une influence sur ce taux tels le montant des capitaux initiaux, la forme juridique, le profil du créateur (les chômeurs notamment longue durée, les moins de 30 ans, les peu ou pas diplômées ont une durée de vie plus faible). Ces créations sont en outre de taille réduite, tant en nombre d’emplois (94,3% des entreprises créées en 2011 n’avaient aucun salarié), qu’en capital (44% des entreprises créées en 2010 ont un financement initial inférieur ou égal à 8000€).

Le régime de l’auto-entrepreneur s’il a sensiblement dynamisé la création d’entreprises, a également renforcé, dans l’ensemble, ces caractéristiques défavorables à leur pérennité et à leur développement.

Enfin, la moitié des entreprises créées le font sans aides publiques et plus de 70% sans accompagnement par une structure spécialisée alors que ce dernier élément a un impact sensible sur le taux de pérennisation.

 

Le coût global des dispositifs de soutien est mal connu.

Les formes de soutien sont diverses, directes au profit du créateur (subventions, exonérations, prêts, garanties) ou indirectes (sensibilisation et information, accompagnement, hébergement, développement du capital risque, valorisation de la recherche) ; les sources de financement sont multiples, tant du côté de l’Etat, de ses opérateurs (OSEO, pôle emploi, sécurité sociale et assurance chômage), de la Caisse des Dépôts et Consignations, que du côté des collectivités locales qui interviennent à tous les niveaux territoriaux. Aucun recensement des interventions de ces dernières n’étant réalisé, les calculs ne peuvent pas être exhaustifs. Le coût et les bénéficiaires des aides dont les montants sont les plus importants sont souvent les plus mal connus ; c’est le cas de l’aide à la reprise ou à la création d’entreprise (ARCE) et celui de certaines exonérations fiscales.

 

Dans ce contexte, les travaux de la Cour et des chambres régionales des comptes permettent de chiffrer à environ 2,7Md€ en 2011 le coût, en crédits publics, des dispositifs de soutien nationaux examinés ; sur ce total, environ 240M€ correspondent à des financements (prêts, prises de participations…) ayant vocation à être récupérés par les financeurs.

L’essentiel de ces dépenses (80%, soit 2,1 Md€) prend la forme d’aides directes aux créateurs, principalement à travers l’activation des dépenses chômage.

Quant aux aides indirectes (0,6 Md€), elles sont constituées essentiellement des incitations fiscales à l’investissement, en capital risque (0,3 Md€, hors exonérations de l’impôt de solidarité sur la fortune).

 

Au final, les financements apportés par l’assurance chômage et la sécurité sociale représentent environ 1,5Md€ tandis que ceux de l’Etat, de la Caisse des Dépôts et Consignations, d’OSEO s’élèvent environ à 1,1Md€ ; les collectivités locales participent à hauteur d’une centaine de millions (111 M€), essentiellement en matière d’accompagnement (62 M€) et d’hébergement (15 M€), et leurs participations aux fonds de prêts d’honneur (25 M€) ou de garantie (4 M€).

Par ailleurs, les collectivités locales affectent environ 150M€ par an à leurs propres dispositifs de soutien à la création d’entreprises, sans tenir compte du financement des pépinières qu’il n’a pas été possible de chiffrer.

Couts des dispositifs nationaux en 2011

Assurance

chômage

Etat

Sécurité

Sociale

CDC

Collectivités

locales

OSEO

UE

Total

%

Aides directes aux entreprises

 

Indemnités chômage et subvention

1 204

51

     

6

 

1 261

47,5

Exonérations sociales et fiscales

 

359

245

       

604

22,8

Prêts, garanties, participation au capital

 

30

 

123

29

32

4

218

8,2

Sous-total

1 204

440

245

123

29

38

4

2 083

78,5

Aides indirectes

Incitation capital risque

 

304

         

304

11,5

Accompagnement

8

27

 

14

61

 

19

129

4,9

Valorisation recherche

 

99

   

4

   

103

3,9

Hébergement

 

7

 

1

15

 

4

27

1,0

Culture entrepreneuriale, information, APCE

 

5

   

1

   

6

0,2

Sous-total

8

442

0

15

81

 

23

569

21,5

Total

1 212

882

245

138

110

38

27

2 652

100

En %

45,7

33,3

9,2

5,2

4,1

1,4

1,0

100

 

La cour constate l’absence d’une stratégie d’ensemble (pas de diagnostic des faiblesses à corriger, ni de choix des actions cibles), alors que l’objectif de la politique publique de soutien à la création d’entreprises devrait viser prioritairement à corriger les caractéristiques des entreprises nouvellement créées qui ont un impact négatif sur leur pérennité et à leur permettre de se développer pour devenir des petites et moyennes entreprises performantes.

 

En fait, les actions menées participent à trois politiques différentes, qui se recouvrent en partie et pour lesquelles la création d’entreprises est souvent plus un moyen qu’un objectif :

-le soutien au dynamisme du tissu économique et des territoires à travers les très petites entreprises (TPE) et petites et moyennes entreprises (PME) « classiques » ;

la réduction du nombre de chômeurs en les encourageant à créer leur propre emploi,

– le développement des entreprises innovantes, qui sont censées créer les emplois de demain.

De plus l’action de l’Etat est éclatée entre une dizaine de programmes LOLF ; elle est portée par trois ministères et de nombreux opérateurs publics (pôle emploi, la CDC, OSEO, l’APCE). Si cette situation n’estpas critiquable par principe, elle nécessite une réflexion stratégique transversale approfondie et la mise en œuvre de système de pilotage et de coordination systématique qui n’existent pas aujourd’hui. Dans ce contexte, l’APCE qui joue un rôle notable en matière d’information sur la création d’entreprises, n’est pas en situation de mener à bien ses missions de coordination des acteurs ni d’étude et d’analyse du système actuel.

 

La coordination est aussi souvent inexistante sur les territoires ; l’insuffisante coordination entre les services de l’Etat et ses opérateurs est aggravée par l’absence de collaboration (voire la concurrence) entre l’Etat et les collectivités locales ; en outre, malgré leur compétence en matière économique, la plupart des régions ne réussissent pas à coordonner l’action de l’ensemble des collectivités sur ce thème.

 

Ces défauts de gouvernance ont trois conséquences :

• pour les financeurs, un risque de mauvaise allocation des moyens, entre les différents publics ou entre les territoires,

• pour les créateurs, un millefeuille illisible, qui ne bénéficie finalement qu’à une minorité d’entre eux et le risque d’effectuer des démarches inutiles

• pour les nombreux acteurs impliqués dans l’accompagnement des créateurs, un surcoût de gestion du fait d’un financement parcellisé et de la complexité des systèmes de gestion et de suivi de chaque financeur.

 

Toutefois certains territoires ont su mettre en place des stratégies d’ensemble, en associant la plupart des acteurs, en définissant le rôle de chacun et en mettant en place des systèmes de pilotage et de coordination qui permettent aux créateurs d’être facilement orientés et bien accompagnés. Les résultats de ces démarches, montrent leur efficacité mais elles demandent du temps et nécessitent une forte volonté de tous les acteurs. L’Etat a du mal à y être associé, notamment parce que la mise en œuvre de dispositifs très centralisés, comme NACRE, rend plus difficile leur adaptation aux besoins des territoires et leur coordination avec ceux des collectivités territoriales.

 

Les publics bénéficiaires

Les moyens déployés, nationaux ou locaux, ne sont pas répartis de manière équilibrée entre les trois types de créateurs et d’entreprises actuellement visés par les dispositifs de soutien à la création d’entreprises. Un rééquilibrage des moyens pour corriger les faiblesses actuelles paraît donc nécessaire : 

-L’essentiel des moyens est concentré sur les aides aux chômeurs (1,6 Md€), qui créent, en règle générale, des TPE sans grande capacité de développement ; Il s’agit très majoritairement d’aides « guichet » (exonérations fiscales et sociales et subventions à travers l’ARCE ou le cumul de l’allocation chômage avec les revenus de l’entreprise créée) ; l’efficacité de ces aides est mal connue.

-L’autre grande catégorie de bénéficiaires sont les entreprises innovantes avec un montant unitaire nettement supérieur aux précédentes, mais dont le coût total est moindre parce que les entreprises aidées restent peu nombreuses ; Il semble que l’accent mis sur l’innovation technologique ne laisse pas assez de place aux autres formes d’innovation et que les moyens soient trop systématiquement concentrés sur la valorisation de la recherche.

-Quant aux entrepreneurs « classiques », les plus nombreux, ils ne sont pratiquement pas visés par des dispositifs de soutien. Ils peuvent toutefois bénéficier comme tous les créateurs  des prêts d’honneur et des garanties des prêts bancaires et d’accompagnement. Notons que les aides sont concentrées sur la phase de création (montage et besoin initial de financement du projet), alors que les difficultés de la phase de post-création et de développement sont insuffisamment intégrées dans les dispositifs actuels. L’action à conduire suppose également de mieux détecter les entreprises à potentiel pour leur offrir un accompagnement spécifique.

 

Les défauts de gouvernance conduisent à la mise en place d’un système de soutien à la création d’entreprises complexe et très peu lisible pour les porteurs de projets. Pour améliorer cette situation, deux pistes devraient être approfondies :

 

1) La réduction du nombre de formes d’aides différentes proposées par chaque financeur, notamment pour l’Etat, non seulement pour rendre l’offre plus compréhensible mais aussi maximiser l’efficacité et limiter les coûts de gestion. Le cofinancement de dispositifs partagés comme les fonds de prêts d’honneur, les fonds de garantie ou les fonds d’amorçage peut être un élément fort de cette simplification.

En ce qui concerne les dispositifs nationaux, plusieurs réflexions devraient être menées sur les aides proposées par l’Etat :

• les conditions fiscales et sociales de la première année d’existence d’une entreprise sont aujourd’hui très différentes selon le type de créateur ; Il faudrait notamment examiner la possibilité d’une exonération généralisée pour la première année d’existence, au-dessous d’un plafond de chiffres d’affaires à fixer, ce qui constituerait une mesure incitative et une simplification notable des dispositifs actuels.

• malgré les efforts, pour améliorer l’efficacité ainsi que les conditions de gestion et de suivi du dispositif NACRE, les coûts de gestion et de complexification pour les acteurs et les créateurs de ce dispositif ne sont pas justifiés. En tant que prêt, il fait aujourd’hui en grande partie double emploi avec les prêts d’honneur et n’est pas vraiment accessible aux publics les plus en difficulté ciblés initialement; les moyens qui y sont consacrés pourraient venir alimenter les fonds de prêts d’honneur, notamment ceux de l’ADIE. En matière de soutien à l’accompagnement, sa gestion (18 M€ de crédits en 2011) est lourde et trop centralisée ; elle accapare les DIRECCTE sur des tâches de gestion au détriment de tâches d’animation et de coordination qu’elles n’assurent pas suffisamment aujourd’hui.

• la pertinence du prêt pour la création d’entreprises (PCE) d’OSEO, dont les montants sont en diminution, n’est pas évidente sous sa forme actuelle, compte tenu de son caractère non discriminant, de ses conditions de prêts bancaires complémentaires rigoureuses et de la limitation à 45 000 € du plan de financement.

les conséquences réelles des conditions d’obtention de prêt bancaire pour obtenir certains prêts « publics » (NACRE, PCE) ne sont pas évidentes dans un contexte de financement bancaire plus limité et leur utilité discutable, si on compare les résultats de ces dispositifs à ceux des prêts d’honneur qui ne sont pas subordonnés à ce type de conditions.

 

2) L’orientation des porteurs de projet à travers ce paysage nécessairement complexe d’acteurs et d’outils qui doivent s’adapter ; l’objectif est de mieux orienter chaque créateur en fonction de ses besoins spécifiques, ce qui suppose que ces derniers et le rôle de chaque acteur soient bien définis.

Cela nécessite un travail collectif de l’Etat, de ses opérateurs et des collectivités locales, intégrant tous les acteurs de l’accompagnement, dont les rôles doivent être bien précisés, ainsi que les dispositifs de pilotage pour définir les parcours types et vérifier le bon fonctionnement du système. Cela devrait permettre également un financement plus efficace de l’ensemble du système.

Dans ce cadre, le rôle des chambres consulaires peut être central à condition de mieux définir leur action, ainsi que les conditions financières dans lesquelles elles doivent assurer cette mission.

 

3) Le développement de la culture entrepreneuriale dans toutes les catégories de la population est une condition indispensable à la création d’entreprises nombreuses et à leur développement. Il doit être intégré à la formation des jeunes mais aussi à la formation continue.