Brève histoire de l’accompagnement à la création d’entreprise entre 1970 et 2018 : éléments structurants


Intervention d’André Letowski lors du 7éme congrès des acteurs de la création/transmission d’entreprise, ProCréa juin 2019

L’accompagnement à la création d’entreprises a beaucoup bougé en 50 ans : il s’est professionnalisé dans un contexte de plus en plus concurrentiel.

 

« L’accompagnateur à la papa » est né dans les années 65-70, il y a une cinquantaine d’années.

L’accompagnateur à « la papa » est né avec l’apparition des assistants techniques (ATC, ATH, ATI, ATM…) au sein des compagnies consulaires CCI et CMA ; il est vrai que leurs cousins de l’agriculture nous avaient largement précédé avec les conseillers agricoles. Période bénie, où tant les structures consulaires, et plus encore l’Etat, finançaient largement leurs salaires et leurs actions.

Il est vrai que les agitations d’alors y ont poussé : généralisation de la TVA, révolte conduite par Gérard Nicoud et médiatisée dans le CID-UNATI (dramatisée par le suicide de petits patrons), réforme de l’urbanisme commercial et du régime social des indépendants avec la loi Royer, intérêt porté aux petites entreprises avec une priorité donnée à la productivité et l’émergence de petites zones d’activité après le raz de marée de grandes zones industrielles, sans oublier le courant « small is beautiful »…

 

⇒ 4 évènements ont changé le paysage dans les années 70-8

  • Dans les années 70-75, émerge le souci d’accompagner les créations d’entreprises, au sein des compagnie consulaires Plus que le conseil, il s’agissait plutôt d’information, de vérification brève de la viabilité, et de formation (les stages « obligatoires » de gestion apparaitront un peu plus tard).
  • Un trublion apparait : les boutiques de gestion (1979 Paris, Lille), c’est le début de la concurrence. Pourquoi ? La faible prise en compte par les consulaires d’une part des chômeurs créateurs (image défavorable), et plus encore le fait que ces compagnies consulaires étaient cantonnées au service de leur ressortissants.
  • L’Etat se préoccupe avec Raymond Barre de la création d’entreprise, notamment de l’opportunité du repositionnement de chômeurs par ce biais ; nait aussi l’Agence pour la création d’entreprise en 1979. L’Apce est devenue AFE puis a été absorbée en janvier 2019 par BpiFrance. Elle aussi a connu une histoire plus que mouvementée.
  • 4éme évènement : l’émergence au début des années 80, des pépinières d’entreprises, dans le souci de conjuguer hébergement et conseil, ce que ne proposaient pas les hôtels d’entreprise ; c’est aussi par ce biais l’entrée en scène des collectivités locales; puis suivront les incubateurs Allègre en 1999. Depuis pépinière et incubateur se sont « confondus », pour s’élargir en co-working, accélérateurs, mais aussi couveuses d’entreprises, sous formes associatives ou coopératives…

⇒ Une petite révolution : l’apparition des prêts d’honneur (fin années 80-début des années 90)

Il ne s’agit plus seulement d’un accompagnement généraliste, mais d’un montage de projet financé et de son suivi, via l’apport et le remboursement d’un prêt sur l’honneur. Réponse à un problème crucial (le financement du démarrage) mais aussi ce qui est nouveau, une obligation de résultat vis-à-vis des financeurs, et des porteurs de projet.

La concurrence s’accentue : alors que les consulaires ont une approche, fondée sur l’appui à leurs ressortissants, les autres structures s’inscrivent bien plus dans le cadre d’un ciblage soit de chômeurs, soit au regard de la maturité culturelle du porteur de projet et de son ambition de développement, l’un et l’autre pouvant être conjugué.

En 5 ans apparaissent l’Adie, France Active, France-Initiative, Réseau Entreprendre.

 

La « concurrence » s’organise vers un partage du marché : 3 évolutions changent ainsi le paysage 

  • Le ciblage du bénéficiaire, un public propre à chaque structure ; ce fut aussi l’essaimage développé en grandes entreprises, au profit de leurs salariés,
  • La formulation d’une double problématique: la création pour contribuer à résoudre la réinsertion de chômeurs et de publics défavorisés d’une part, le développement de l’entreprise pour des publics inscrits dans une logique nettement plus entrepreneuriale d’autre part,
  • L’apparition des tuteurs, chefs d’entreprise bénévoles; EGEE avait déjà introduit le bénévolat d’ex-cadres pour informer et conseiller, en appui aux structures d’accompagnement ; Réseau Entreprendre introduit le concept de communauté d’entrepreneur (prise en charge par les entrepreneurs eux-mêmes).

Est-ce alors la fin des accompagnateurs salariés ou une nouvelle modalité d’appui qui conjugue accompagnateur salarié et chef d’entreprise bénévole ?

Alors, notre accompagnateur traditionnel a dû s’adapter, d’autant qu’entre collègues et avec des partenariats plus ou moins formels, cela s’est fait dans trop de difficulté.

 

⇒ Mais parallèlement, voilà que les pouvoirs publics veulent plus d’efficience en poussant les acteurs à travailler ensemble. C’est la mise en place du réseau des Points Chances, développé par l’APCE, sous l’égide du ministre Madelin fin des années 80. Un souci qui ne quittera pas les décideurs publics, avec le thème hyperprésent de l’interlocuteur unique, et une présence sur tout le territoire.

  • De façon beaucoup plus explicite, ces approches que je viens d’énoncer, s’enracinent dans les années 2000 -2018
  • Le ciblage se poursuit,notamment avec l’apparition des associations de femmes porteurs de projets : Pionnières (en 2 000), Action’elles…, celle du Moovjee pour les jeunes,
  • L’appui par des entrepreneurs bénévoles se développe: Initiative France fait appel à des chefs d’entreprise comme tuteur ; différentes formes de mentorat se mettent en place (Institut du Mentorat Entrepreneurial et Moovjee)
  • La tentative de faire travailler ensemble les acteurs de la création se concrétisent dans un appui public NACRE, mais il faut répondre aux appels d’offres lancés par les pouvoirs publics et par ailleurs pôle emploi, non seulement auprès des acteurs de la création, mais aussi vers tout type d’acteur qui souhaite candidater. La concurrence s’accentue.

De quoi s’arracher les cheveux quand on perd un marché essentiel pour son équilibre budgétaire.

 

Ainsi l’ère de la subvention à vécu : l’Etat s’est retiré financièrement de l’appui aux structures de la création d’entreprise, pour laisser place à d’autres acteurs publics (CDC, Pole emploi, Bpifrance…) et aux régions (un deal qui est loin d’être pleinement concrétisé, la loi Nôtre ayant compliqué les relations avec les différents types de collectivités locales); J’ajoute les réductions de budget répétées et le recentrage de missions voulues par l’Etat, toujours d’actualité, en direction notamment des CCI.

On assiste par nécessité à une montée en puissance de sponsors financiers, de mécénat de compétences, d’appuis bénévoles de chefs d’entreprise, ceux de grands cabinets de consulting, ceux de banques…et la création de fondations comme la fondation Entreprendre, la fondation entrepreneurs-MMA.

⇒ Un trublion apparait : l’autoentrepreneur en 2009

Leur flux important à partir de 2010 a saturé, voire déstabilisé, certains services d’accueil créateurs, au détriment d’une disponibilité pour le suivi. Rappelons qu’ils sont entre 40 et 60% des créations selon les périodes.

 

⇒ S’impose progressivement la nécessité de donner plus d’importance au développement des entreprises, notamment dans le suivi post création : une exigence plutôt nouvelle, souhaitée par les nouveaux créateurs, une manifestation de la professionnalisation des réseaux, une image plus concrète d’une action efficace pour les pouvoirs publics et les sponsors, et la sortie partielle vers le financement des actions par les dirigeants eux-mêmes ; vendre les prestations que l’on propose s’inscrit dans une autre logique que celle de la gratuité ou de la quasi gratuité. Pas évident de savoir s’y prendre !

⇒ Alors malgré tous ces bouleversements, y aurait-il encore de beaux jours pour l’accompagnateur, pourvu qu’il abandonne une approche figée de sa mission originelle ?

Le contexte actuel manifeste des atouts :

♦ On assiste à un fort développement du nombre de créations : avec 737 000 créations pour ces 12 deniers mois, le nombre de création d’entreprise n’avait jamais atteint un tel niveau ; elles étaient 580 200 en 2009 (+27%).

♦ L’entrepreneuriat est de plus en plus pris en compte

*Dans l’opinion publique : cf les sondages d’opinion fort favorable aux créateurs d’entreprise et plutôt en hausse,

*au sein du système éducatif : très très peu fréquent dans les années 80 (EM Lyon, ESCP,  Paris Dauphine…), avec une montée en puissance accompagnée par l’OPPE(créée en 2001) ; sa prise en compte s’installe dans l’appareil d’éducation, notamment via les Pépites, le statut d’étudiant Entrepreneur, mais aussi des associations à l’œuvre dans le secondaire,

* dans la poursuite accentuée des salons à destination des porteurs de projet, des nouveaux dirigeants, et des accompagnateurs, tout comme dans les concours locaux et nationaux à la création d’entreprises, 

* de nouveaux outils, de nouveaux partenaires apparaissent avec le web, de nouvelles pratiques pédagogiques se font jour, avec des publics nouveaux, dans un contexte de priorité médiatique et publique aux nouvelles start-ups,

* Les réseaux d’acteurs se professionnalisent (congrès, formation des agents, organisation renforcée en réseaux, en interne et de façon transversale comme Procréa ou Transentreprise, parti du terrain Auvergnat pour s’étendre bien plus largement…).

Procréa, 7éme édition, chapeau aux initiateurs pour cette rare manifestation transversale dans la durée, après la tentative abandonnée du salon des Entrepreneurs ; faisons-en sorte que de telles initiatives se poursuivent.

 

⇒ Malgré ces atouts, prometteurs pour l’avenir, il faut passer 2 types de cap, celui des accompagnateurs s’adaptant à ces nouvelles contraintes et celui de la structure d’appui sur un marché consolidé et en équilibre financier.

Alors, la « faillite » ou la cessation peut ne pas être loin, qu’il s’agisse de celle de la structure qui accompagne, ou de celle de l’accompagnateur traditionnel.

 

⇒ Un axe qu’il ne faudrait pas oublier : la recherche (connaitre pour mieux agir). Voilà bien un parent pauvre ; il en est de même pour les TPE, les PME et les ETI. Si dans le passé, nombre de travaux ont été conduits, ils deviennent actuellement rares. Qu’en a-t-il été ?

  • Un partenariat APCE/Insee: en 1990, on ne dispose pratiquement pas de données Insee sur le nombre de créations d’entreprise, et encore moins de reprises. Pas de données non plus sur qui sont les chefs d’entreprise et quelles sont les caractéristiques de leur entreprise. Un partenariat a permis de répondre à ces 2 manques, en mettant à disposition à mi-temps à l’Insee un collaborateur de l’APCE, notamment pour l’enquête Sine (renouvelée depuis tous les 4 ans) ; face aux mutations de personnel au sein de l’Insee, l’APCE était pour partie la mémoire des analyses, qui ont ensuite été largement été diffusées auprès des acteurs de la création. L’enquête Insee se poursuit mais son exploitation demeure minimale.
  • Un partenariat APCE/ministère des PME avec son service études au début des années 2000 et un partenariat avec BdPME (l’Observatoire des PME, 2 000-2 005) a permis de produire des études et analyses sur les TPE et les PME, un partenariat qui a disparu avec la transformation de BdPME en OSEO,
  • Des Etats Généraux sur l’accompagnement, sur la reprise, sur le financement (mise en place de la médiation du Crédit) initiés par le ministère des PME (2 000, M Lebranchu, puis par F Pellerin 2014), et par ailleurs, des rapports du Commissariat au Plan (évaluation des aides aux TPE, à la création d’entreprises 1995-2000) et de la Cour des Comptes (2012).

Se poursuivent :

  • Des rapports annuels et quelques études des différents réseaux d’appui (dont le plus récent la collaboration Cereq/ réseau Boutiques de Gestion, le seul actuel en collaboration avec une structure académique),
  • Les travaux de l’Académie de l’Entrepreneuriat, réseau d’enseignants autour de l’entrepreneuriat, créé en 1998 ; et des travaux de chercheurs comme l’ex équipe de Michel Marchenay à Montpellier ; la difficulté est de provoquer une fertilisation croisée entre académiques et accompagnateurs,
  • Les études de l’observatoire de la BPCE sur la reprise des PME et accessoirement des TPE,
  • Pour pallier cet éparpillement et faciliter un regroupement des analyses en cours, André Letowski a créé un blog, en accès gratuit, qu’il alimente chaque mois (archives et mots clés à disposition) depuis juin 2011.