Les jeunes des quartiers et l’entrepreneuriat


"L’incitation à l’entrepreneuriat des jeunes dans des quartiers de la politique de la ville (QPV) : étude exploratoire ", INJEP, octobre 2019

“Depuis 2012, l’INJEP s’est lancé dans l’étude de la pratique de l’entrepreneuriat chez les jeunes de moins de 30 ans. Cet objet s’est construit au fil des rencontres avec les jeunes et les acteurs de terrain. La démarche s’inscrit dans la suite d’une recherche sur l’accompagnement socioprofessionnel des jeunes et d’études variées portant sur différents dispositifs d’insertion sociale et/ou professionnelle (l’opération « jobs d’été »).”

Deux régions ont été choisies afin de réaliser une observation (exploratoire) des pratiques les plus courantes : les Hauts-de-France et l’Île-de-France.

L’analyse qui suit s’est appuyée sur plusieurs démarches parallèles, entre janvier 2017 et avril 2018 : entretiens semi-directifs auprès de responsables de structures, professionnels d’accompagnement, intervenants extérieurs, salariés, bénévoles (10) et auprès des jeunes présents dans les différents événements et/ou accompagnés directement par les structures identifiées (10).

Trindade-Chadeau A, L’incitation à l’entrepreneuriat des jeunes dans des quartiers de la politique e la ville (QPV) : étude exploratoire, INJEP Notes & rapports/Rapport d’étude.

 

Quels sont les freins spécifiques pour que ces jeunes accèdent à l’entrepreneuriat, alors qu’ils ont comme les autres jeunes très envie de créer une entreprise, mais passent nettement moins à l’acte.

 

⇒ LES LAURÉATS DU VOLET DÉFI JEUNES-CRÉATEURS D’ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE ENTRE 2000 ET 2006 :

 

2 322 lauréats, dont 1 657 chefs de projets et 665 équipiers; 1 646 créations d’activité accompagnées et financées 6, 9M€ par l’État aux projets primés + 5,9M€ de parrainage (financier et nature) mobilisés par les jeunes auprès d’acteurs privés et publics.

 

75% des entreprises soutenues par Défi jeunes entre 2000 et 2006 sont encore en activité en 2010; 61% des activités soutenues revendiquent des priorités relevant du champ de l’ESS. Au moment de l’obtention du soutien financier, 46% des lauréats sont des femmes, l’âge médian est de 26 ans et 62% d’entre eux étaient demandeurs d’emploi. 67% des lauréats sont diplômés du supérieur et 23 % ont un baccalauréat.

 

⇒ Une classification de l’ensemble des structures d’appui, leur adaptation aux jeunes des quartiers :

 

Groupe 1 : les réseaux nationaux d’aide à la création d’activité (des années 1970 à 2009)

Le modèle d’accompagnement et de formation n’a pas été élaboré pour s’adresser aux moins de 30 ans en particulier (sauf deux ou trois dispositifs spécifiques dans des réseaux différents), en revanche lorsqu’une démarche est lancée pour ce public, on observe l’effort d’adaptation. Or pour ces structures, il n’est pas « rentable » de consacrer du temps à des porteurs potentiels dont on n’est pas sûr de la constance ou de la fiabilité. En même temps, pour qu’il y ait accompagnement des jeunes dans les quartiers de la ville il faut que l’accès aux structures soit aisé.

 

– Groupe 2 : les structures diversifiées de soutien aux projets des jeunes

Les structures de ce profil ont été créées principalement pour toucher le public jeune et/ou pour toucher la population des quartiers. Les organisations misent alors sur l’expression des jeunes, la volonté de leur accorder une place privilégiée, de les soutenir en tant que ressources d’un territoire, en espérant révéler les compétences (cachées); elles misent aussi sur une dynamique de développement local ascendante, qui tente de soutenir les populations les plus en difficulté; les structures sont donc souvent implantées directement dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.

Dans ce cadre, l’entrepreneuriat représente au départ un prétexte pour la mise en action, il est à la fois un objet et un outil d’apprentissage, puisque l’on forme à l’entrepreneuriat et par l’entrepreneuriat. Mais en définitive, ne sachant pas si le public auquel on s’adresse sera en capacité d’aller jusqu’au bout du processus de création, cette dernière devient une finalité parmi d’autres, tant les différentes étapes du processus et les moyens mis en œuvre engagent les individus au-delà de cette « simple création d’activité ». 

 

– Groupe 3 : les programmes d’investissement d’avenir (projets innovants à destination de la jeunesse & culture de l’innovation et de l’entrepreneuriat).

C’est la catégorie la plus hybride puisqu’elle est constituée de nombreuses organisations, issues aussi bien du champ des politiques de jeunesse que de l’éducation populaire, de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur ou encore de la politique d’emploi. Ce qui régit ici le regroupement au sein de « PIA » est la capacité à innover tant dans l’alternative proposée que dans la démarche partenariale promue. Les actions développées ne placent pas (toutes) l’entrepreneuriat au cœur de la démarche.

 

– Groupe 4 : les pôles étudiants pour l’innovation, le transfert et l’entrepreneuriat.

 

La Caisse des dépôts ambitionne de « fédérer et renforcer la visibilité des acteurs et des dispositifs d’aide aux créatrices et créateurs d’entreprise ». Elle s’appuie dès lors sur les réseaux « classiques » de la création d’activité, mais aussi sur les CitésLab et Positive Planet, Action’elles, Force Femmes, les Pionnières, pour l’effort sur l’entrepreneuriat dans les quartiers ou encore l’entrepreneuriat féminin. Parmi les principaux objectifs de l’initiative, on observe la volonté de promouvoir l’idée d’un « parcours de création » en insistant sur les deux volets, accompagnement et financement.

 

⇒ Jeunes issus de QPV : de qui parle-t-on ?

 

L’observatoire national de la politique de la ville (ONPV) relève ainsi que 64,9% des élèves fréquentant un collège du réseau d’éducation prioritaire renforcé résident dans un quartier prioritaire; les collégiens des QPV ont plus grandi au sein de familles dites « défavorisées ». En ce qui concerne la réussite au brevet, ils ont des résultats médiocres. Ceux scolarisés dans un collège public sont bien plus présent dans les filières professionnelles. Dans la population globale des lycéens, les sorties du système scolaire à la fin de la scolarité obligatoire y sont nettement plus nombreuses.

 

⇒ Le rapport à l’entrepreneuriat est difficile à estimer

 

Les inégalités sociales jouent plus fortement en défaveur des jeunes habitant les quartiers prioritaires, non seulement en termes de « performances scolaires », mais également des choix, des aspirations, étroitement liés à l’autocensure aussi bien individuelle que familiale. Ces jeunes Français ont plus de mal à identifier chez eux des compétences entrepreneuriales et à déceler des « opportunités » (comprises comme des « opportunités d’affaires »).

 

L’auto-entrepreneuriat permet de créer son activité quand on ne trouve pas d’autres opportunités d’emploi salarié, sans avoir une incidence sur la posture entrepreneuriale en tant que telle, mais bien pour générer des revenus rapidement. Parmi ces « créateurs solos », les jeunes sont 37% en 2017. 

Dans une étude commandée par Uber, le profil type du chauffeur de la société est décrit : début 2016, sur les 15 000 chauffeurs, 34% ont moins de 30 ans, 68% ont au moins le niveau bac; beaucoup résident dans les banlieues des grandes villes et percevraient Uber comme un moyen d’éviter le chômage.

 

⇒ Les freins

*Les professionnels qui les côtoient au quotidien ne sont pas forcément familiarisées avec l’accompagnement spécifique des jeunes ou avec celui des publics originaires des quartiers prioritaires de la politique de la ville.

 

*Toucher le jeune là où il est, géographiquement parlant mais également en termes d’étape de parcours.

 

*La problématique des représentations : pour certains, les jeunes des quartiers cumulent déjà des difficultés qui les empêcheraient de se lancer dans la création : « Ils ne sont pas capables d’être à l’heure aux rendez-vous, comment pourraient-ils créer une activité ? » Cette censure naturelle que s’imposent certains intervenants finit par trouver un écho chez les jeunes qui intériorisent, très souvent, même lorsque le désir existe, que « ce n’est pas pour eux ».
Le problème peut aussi être le positionnement idéologique vis-à-vis du monde de l’entreprise.

 

*Un autre point saillant a trait aux aspects méthodologiques, voire pédagogiques. :

-exemple du niveau du vocabulaire utilisé; les réseaux bien implantés dans les quartiers affirment « vulgariser » le jargon de l’entrepreneuriat afin de le rendre accessible.

-la posture entrepreneuriale et le parallèle avec la construction de son insertion professionnelle (le fait d’être capable de formuler un projet).

-La pédagogie de l’entrepreneuriat est une pédagogie active, une pédagogie du projet; cette démarche est difficile pour un public peu qualifié peu habitué à formuler un projet et à travailler en collectif; cela requiert un niveau d’autonomie de la part des stagiaires/apprenants; or l’autonomie se réfère à la fois à la disposition de la personne, à des comportements, à un processus, à un résultat (être autonome); l’autonomie laissée aux jeunes en atelier peut effrayer ceux qui ont grandi dans des cadres extrêmement circonscrits.

 

 

* le rapport à l’expérience scolaire et les traces laissées sur l’estime de soi; le fait aussi qu’ils soient coupés de tout contact avec les institutions après avoir abandonné leurs études (un jeune qui franchit la porte d’une structure d’accompagnement et qui se voit remettre des formulaires peut facilement être effrayé).

 

Interrogée sur ce qui serait « son accompagnement idéal », une jeune entrepreneure explique :
« Il doit être vraiment individuel, un référent, individuel, qui suit depuis le début, mais pas labellisés “jeunes des quartiers”, sinon ils ne sortent pas de leur environnement et ne croisent pas d’autres professionnels, d’autres milieux…Il faut aider dans les quartiers certes, mais il ne faut pas passer le message que les jeunes des quartiers ont des problématiques différentes… même si il y a bien sûr des choses, les considérer autant que les autres. »

 

*Mais aussi pour les jeunes qui ne sont pas encore « acquis » à l’entrepreneuriat, et qui seront sensibilisés, initiés, formés par la pédagogie entrepreneuriale, l’éducation nationale demeure le canal le plus apte, potentiellement, à générer de la mixité sociale dans les QPV comme ailleurs. Encore faut-il que les enseignants soient eux-mêmes convaincus de l’intérêt de le faire, avec des objectifs pédagogiques précis.

 

Pour en savoir davantage : https://injep.fr/wp-content/uploads/2019/10/rapport-2019-10-entrepreneuriat.pdf