5,4 millions de personnes sont concernées directement par la politique en faveur des quartiers défavorisés.


"L’évaluation de l'attractivité des quartiers prioritaires - Une dimension majeure de la politique de la ville", Cour des Comptes, décembre 2020

L’évaluation porte sur la décennie 2008-2018 et sur les quartiers qui ont été considérés comme prioritaires sur la durée totale de cette période…La Cour a concentré son travail sur les trois thématiques du logement, de l’éducation et de l’activité économique, sans négliger celle de la sécurité.

 

Conformément aux normes professionnelles de la Cour applicables aux évaluations de politique publique, un soin particulier a été apporté au recueil de l’avis des parties prenantes :
– le comité d’accompagnement spécialement constitué à cet effet et présidé par le président de la formation commune à la Cour et aux chambres régionales des comptes s’est réuni cinq fois entre le 13 février 2019 et le 2 septembre 2020,
– l’instruction a également conduit à la réalisation d’enquêtes de terrain dans les huit quartiers (disponibles par un lien en fin de texte), à la tenue d’ateliers d’échange avec des habitants et des acteurs locaux, à l’exploitation des 209 réponses à une enquête en ligne auprès des centres sociaux implantés en QPV, des réponses à un questionnaire particulier auprès de 14 Préfets délégués pour l’égalité des chances, à des comparaisons internationales, ainsi qu’à l’exploitation directe des bases statistiques nationales. Les observations définitives du présent rapport de synthèse tiennent compte de l’ensemble des réponses parvenues et des huit auditions organisées les 9, 11 et 14 septembre avec des universitaires et experts de la politique de la ville.

 

Peu aidés par les dispositifs de développement économique qui s’y révèlent inefficaces, ces quartiers ne parviennent pas à attirer de nouvelles activités.

Une brève présentation de ses habitants

Les 5,4 millions de personnes, qui résident dans les 1 514 quartiers désignés comme quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), situés dans 859 communes, en sont les bénéficiaires directs.

La mixité des CSP y est faible : parmi les actifs en emploi les cadres et les professions intermédiaires sont sous-représentés (22%, contre 52% dans leurs agglomérations), alors que les employés et ouvriers sont sur-représentés (73% contre 41%).

74% des ménages habitent dans le parc social (contre seulement 16% des ménages des aires urbaines environnantes hors QPV), et seulement 12% sont propriétaires de leur logement.

⇒ objectif, impact en termes d’attractivité

♦ La politique de la ville dans les quartiers défavorisés a pour finalité, depuis plus de quatre décennies, de réduire les écarts entre ces quartiers et les autres quartiers des mêmes agglomérations en améliorant les conditions de vie de leurs habitants. L’État y consacre environ 10 Md€ chaque année, auxquels s’ajoutent les financements de la rénovation urbaine et les dépenses difficilement mesurables que lui affectent les collectivités territoriales concernées.

Les objectifs sont peu mesurables, les dispositifs nombreux, les impacts imprécis d’où l’impossible évaluation globale de la politique de la ville.

 

♦ La notion d’attractivité irrigue les projets.

Pour autant, la politique de la ville ne prend en compte que de manière partielle les multiples dimensions susceptibles de rendre un quartier attractif pour de nouveaux habitants comme pour ceux qui y résident déjà et souhaitent ou pourraient souhaiter y rester. Elle ne traite qu’à la marge les représentations du quartier par ses habitants, qu’elles soient objectives ou subjectives, comme les effets persistants d’une image dégradée, les enjeux de sécurité au quotidien, le désir de mobilité, etc.

 

♦ En dix ans, l’attractivité résidentielle des quartiers prioritaires appréhendée de façon globale n’a pas réellement progressé. Même si l’on tient compte de la « dé-densification » portée par les opérations de rénovation urbaine, et de l’amélioration du cadre de vie des habitants,  cela ne modifie pas l’image et l’attractivité des quartiers, qui en conséquence n’attirent pas ou peu de ménages socialement plus favorisés.

 

Les flux annuels de population sortants des QPV (420 000 en 2017) sont plus élevés que les flux entrants (318 000), mais 4,682 millions y habitent toujours.

Les nouveaux résidents présentent des profils sociaux, économiques et familiaux plus précaires que ceux qui quittent les quartiers ; les nouveaux arrivants disposent de revenus légèrement inférieurs au revenu de référence du quartier tandis que ceux qui le quittent affichent des revenus supérieurs de 12 à 13% à celui-ci.

L’arrivée de populations plus pauvres et plus précaires est perçue négativement par les habitants des QPV étudiés. 

⇒ Le jugement de leurs habitants

Le jugement porté par les habitants sur leur QPV dépend aussi de leur histoire personnelle et de leur trajectoire résidentielle. L’arrivée dans le quartier et l’accession au parc locatif social sont souvent synonymes d’amélioration de leur situation pour les ménages entrants.

D’après l’enquête menée auprès des centres sociaux dans le cadre de la présente évaluation, 55% des répondants estiment que les habitants ne souhaiteraient pas quitter leur quartier du fait d’une identité forte de leur quartier.

Certains QPV connaissent de surcroît des formes de repli, voire de retrait communautaire, nourries par un sentiment de relégation. Dans plusieurs quartiers, le communautarisme religieux progresse en lien avec le contrôle d’une partie du tissu associatif et culturel local.

⇒ Sécurité, éducation, économie

♦ Autre problème, celui de la délinquance : le sentiment d’insécurité et la persistance d’une délinquance et de trafics de stupéfiants sont mis en avant dans la perception négative du quartier ; 25% des résidents de QPV considèrent que la délinquance est le problème le plus important dans le quartier, contre 9% hors QPV et 12% pour les agglomérations de 100 000 habitants et plus. L’insatisfaction des habitants à l’égard de la police est ainsi plus marquée en QPV qu’ailleurs, et porte tant sur l’insuffisance de la présence locale des forces de l’ordre (32% contre 18 hors QPV), que sur son inefficacité (44% contre 20).

Ces constats influent fortement sur l’attractivité des QPV,  56% des Français évoquant l’idée d’insécurité caractérisée par la criminalité, la délinquance, le trafic de drogues, la violence, le danger, voire qu’il s’agit de « zones de non droit ».

 

♦ Les écoles

L’image des établissements scolaires évolue en parallèle de celle de leur quartier et des caractéristiques socioéconomiques des familles. Les élèves accueillis dans ces établissements, généralement dans les dispositifs d’éducation prioritaire, connaissent encore des résultats scolaires inférieurs à ceux de leur académie de rattachement, malgré une amélioration constatée en dix ans.

Les dispositifs mis en œuvre dans le cadre de l’éducation prioritaire ont permis d’augmenter le nombre d’enseignants et de stabiliser les équipes enseignantes. Dans certains quartiers les enseignants sont perçus comme des interlocuteurs essentiels, se positionnant comme des « ensembliers » entre les habitants, les services de l’Éducation nationale, la ville et les associations.

 

♦ Par ailleurs, les services périscolaires et hors temps scolaire constituent l’un des leviers importants d’ouverture pour les enfants des quartiers et leurs parents. Une vaste palette d’offres de loisirs, d’activités culturelles et sportives y compris pendant les vacances scolaires, dans le quartier ou en-dehors, ainsi que d’actions de soutien à la parentalité sont proposés. Cependant, certains freins en limitent l’efficacité (faible coordination, faible capacité d’accueil, mais aussi défiance des habitants, interdits alimentaires).

Toutefois, les actions déployées dans le cadre de l’éducation prioritaire n’influent pas sur l’attractivité des QPV.

 

♦ L’économie

Par ailleurs, un phénomène de déprise économique et commerciale ininterrompue a caractérisé la dernière décennie dans les quartiers ; une étude conduite entre 2009 et 2011 sur 448 quartiers faisait état d’une proportion plus faible d’hypermarchés ou de supermarchés que dans les autres quartiers et une plus forte de commerces alimentaires discount ou exploités par des indépendants ; de surcroît, près du quart des commerces étaient considérés comme mal situés au sein de leur quartier ; 37% présentaient des problèmes de structure ou d’entretien ; la moitié des centres commerciaux proposait une offre peu diversifiée, 53% ne possédaient pas de « locomotive alimentaire », et 1/3 étaient fermés. De plus, la majorité déclare faire leurs « grosses courses alimentaires » hors du quartier, tandis que les « petites courses ” sont faites sur place dans des commerces communautaires.

Cette dévitalisation économique s’explique par le faible pouvoir d’achat des habitants.

 

Peu aidés par les dispositifs de développement économique qui s’y révèlent inefficaces, ces quartiers ne parviennent pas à attirer de nouvelles activités alors que les activités illicites, par nature mal mesurées mais bien réelles pour les habitants, s’y développent.

Les allègements d’impôts directs, les mesures d’allègements et d’exonérations de charges sociales ou fiscales, celles d’exonération de CFE ne semblent pas inciter les entrepreneurs à s’installer dans les QPV.

⇒ En conclusion

“La politique de la ville souffre d’un pilotage national instable et dispersé entre différents ministères auquel la création nouvelle de l’ANCT pourra apporter partiellement remède si elle permet de fédérer les acteurs nationaux autour d’objectifs ciblés et d’indicateurs fiables permettant une approche à la fois précise et différenciée de chaque quartier… la légitimité de la politique de la ville dépend étroitement de sa capacité à traiter les quartiers dans leurs spécificités, et non des moyens additionnels qu’elle peut apporter aux budgets communaux ou intercommunal”

 

“Si l’amélioration du bâti et de l’organisation spatiale permise par la rénovation urbaine sont réelles, l’insuffisance de l’accompagnement social et de son articulation avec les politiques de droit commun empêche d’atteindre l’objectif de lutte contre les concentrations de pauvreté et les fractures économiques et sociales qui caractérisent ces quartiers. La politique d’attribution des logements ne permet pas d’atteindre les objectifs de mixité de la composition sociale des quartiers prévue par la loi. Les stratégies métropolitaines d’attribution des logements, même si elles se heurtent aux difficultés du bâti existant, devraient être beaucoup plus formalisées et volontaires pour envisager l’atteinte de cet objectif.”

 

“L’articulation entre politique de la ville et politiques de droit commun demeure cependant peu probante, du fait notamment de la quasi-absence de quantification de ce que serait le juste niveau de mobilisation des services publics « de droit commun », de la faiblesse du pilotage public et des mécanismes susceptibles d’assurer la coordination des différents dispositifs. Au surplus, les moyens déployés dans les QPV au titre du droit commun n’apparaissent pas en adéquation avec les besoins qui y sont constatés, et les tentatives d’adaptation du droit commun demeurent minoritaires et encore peu efficaces.”

 

“Ces constats conduisent à s’interroger sur la politique de la ville et sa mise en œuvre, dont les dispositifs spécifiques sont jugés par les habitants des QPV moins pertinents et moins efficaces que ne le serait un véritable renforcement des politiques de droit commun, conformément du reste à l’orientation dessinée par le Président de la République.”

 

Pour en savoir davantage : L’évaluation de l’attractivité des quartiers prioritaires | Vie publique.fr (vie-publique.fr)

RPT : L’évaluation de l’attractivité des quartiers prioritaires – Cahiers territoriaux (vie-publique.fr)