Après le chômage, l’univers professionnel change pour un demandeur d’emploi sur trois


« Du chômage à l’emploi : une mobilité professionnelle importante et complexe » Eclairage et Synthèse N°2, Pôle Emploi, avril 2014

Cette étude utilise les données issues du fichier historique des demandeurs d’emploi et de deux enquêtes portant sur les mobilités professionnelles de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi fin décembre 2009 en catégorie A, B ou C puis sortis des listes pendant une période de 12 mois consécutifs minimum. 

Une première enquête (5 196 répondants) a été réalisée en décembre 2012 avec pour objectif d’identifier de manière fine les motifs de la mobilité et tester l’atteinte des cibles (en emploi et en mobilité à la sortie) en prévision d’une deuxième enquête concernant un échantillon plus important (14 246 répondants, 5 000 retenus) réalisée en juin-juillet 2013. Plusieurs questions ouvertes ont été posées afin de recueillir des verbatim permettant de dégager les principaux motifs de mobilité exprimés par les demandeurs d’emploi.

 

Plus de deux millions de demandeurs d’emploi sortent tous les ans des listes de Pôle emploi suite à une reprise d’emploi ; plus d’un tiers connaît un changement de domaine professionnel ; cette mobilité est souvent synonyme de réorientation professionnelle, pas toujours choisie.

Les motifs qui président à la mobilité sont multiples, parfois liés à la condition physique ou à des contraintes personnelles et familiales, encore plus souvent à la situation qui prévaut sur le marché du travail ; l’âge, le niveau de formation, le vécu du chômage et, surtout, le métier de provenance influent fortement sur le type de mobilité observé. Seule la mobilité professionnelle externe, impliquant un changement radical de métier est prise ici en considération.

 

Qui change de métiers ?

 

Les jeunes de moins de 35 ans, notamment les moins de 25 ans changent davantage de domaine professionnel que leurs aînés à la reprise d’un emploi ; ce changement de métier peut soit constituer un réajustement entre le métier désiré et la formation initiale, soit correspondre à une simple opportunité d’emploi pour sortir du chômage ;  les sortants de moins de 25 ans ont une probabilité de 41,5% (27% pour la référence des 35-49 ans), toutes choses égales par ailleurs, de changer de domaine professionnel. Le début de la vie active est sans doute une période plus favorable à une réorientation professionnelle, voire à une mobilité géographique dans la mesure où elle est largement moins sujette à certaines contraintes (familiales, présence d’enfants à charge) ; noter que les contraintes familiales pèsent moins sur leur déroulement de carrière que sur celui des femmes.

 

Les ouvriers et employés non qualifiés sont  plus concernés par la mobilité professionnelle, que les cadres, manifestant une plus grande difficulté à se fixer sur un domaine professionnel. Parmi les plus mobiles à la sortie de chômage, se démarquent les demandeurs d’emploi inscrits sur des métiers d’exécution de l’industrie (domaines de l’électricité, électronique, de la mécanique, travail des métaux ou encore des industries de process) ; à l’inverse, les demandeurs d’emploi inscrits sur des domaines professionnels plus qualifiés, comme celui des ingénieurs et cadres de l’industrie, ou plus spécifiques en termes de compétences, comme les domaines de l’informatique et télécommunications, des études et recherche ou encore de l’enseignement-formation, présentent une moindre mobilité ; en revanche, les métiers des services aux particuliers et aux collectivités se distinguent à la fois par de bas niveaux de qualification et par une très faible mobilité toutes choses égales par ailleurs.

 

 

La plus forte propension à la mobilité des chômeurs de longue durée (un an ou plus d’ancienneté au chômage) et plus particulièrement des chômeurs de très longue durée (24 mois ou plus d’ancienneté au chômage) manifeste les difficultés considérables rencontrées par certains à retrouver un emploi ; le changement de métier se présente alors comme la seule issue possible pour sortir du chômage.

À ceci peuvent s’ajouter des considérations d’ordre économique se révélant sans doute déterminantes dans le choix de la mobilité ; ainsi, ne pas être indemnisé ou être allocataire d’une allocation de solidarité augmente de manière importante la mobilité professionnelle.

À l’inverse, les chômeurs exerçant des activités réduites sont moins nombreux à changer de métier que ceux qui n’en exercent aucune ; pour ces anciens chômeurs en activité, le métier exercé à la sortie est, dans de nombreux cas, en lien avec celui exercé pendant la période de chômage.

Enfin, dans les DOM et en Île de France, la propension à changer de métier à la reprise d’un emploi est moins importante que dans le reste de la métropole mais pour des raisons bien différentes : en Ile-de-France, région maillée par un réseau de transport très important, au marché du travail très dense et dynamique, les opportunités d’emploi plus nombreuses et plus variées, alors que dans les DOM, l’absence de variété et de grandes entreprises ne favorise pas la mobilité professionnelle.

 

Les raisons évoquées par les personnes en mobilité pour expliquer leur réorientation professionnelle sont peu liées au positionnement métier (28% seulement en multi-réponse), contre un choix contraint mais raisonné (57% une mobilité non choisie, 16% un choix imposé par « l’extérieur ») :

Motif

1ere réponse comme

motif principal

Multi-réponses

Urgence ou obligation de travailler, assortie d’une absence d’alternative

58

51

Opportunité, le hasard

7

6

Sous-total  « mobilité de fait »

65

57

Intérêt pour le métier lui-même

12

16

Possibilité d’améliore ses conditions d’emploi, de travail, de rémunération

7

10

Volonté de retourner à son ancien métier

1

2

Sous-total positionnement métier

20

28

Contraintes personnelles (santé, famille…)

8

9

Volonté de fuir le dernier métier exercé

6

7

Sous-total choix  « extérieur » à un positionnement dynamique métier

14

16

 Quand la mobilité professionnelle est mue par la volonté d’améliorer ses conditions d’emploi ou de travail, on constate que, pour la plupart, cet objectif a été atteint. Ainsi :

– 58% des personnes ont obtenu un CDI [plus que l’ensemble des personnes en mobilité, 47%) ;

– 53% des personnes ont obtenu un salaire plus élevé ;

– 67% des personnes ont trouvé des horaires moins contraignants ;

– 74% des personnes ont amélioré leurs relations de travail ;

– 66% des personnes ont amélioré leur possibilité d’évoluer professionnellement ;

– 61% des personnes ont obtenu une diminution du temps de trajet entre le domicile et le travail.

En revanche, moins de la moitié (47%) de ces personnes a réussi à trouver un métier moins pénible.

 

La mobilité diffère selon les profils

*

Besoin urgent de

Travailler, d’argent

Hasard

opportunité

Choix du

métier

Améliorer les

conditions de travail

Retour à l’ancien

métier

Contraintes

Personnelles

familiales

Rejet

du métier

Moins de 25 ans

22

18

21

23

17

9

19

25-34 ans

35

39

40

40

34

23

29

35-49 ans

30

37

32

35

38

55

40

50 ans et plus

12

7

7

2

10

13

12

Total

100

100

100

100

100

100

100

Pas de formation

13

12

7

8

7

15

11

CAP, BEP

37

37

35

39

24

45

48

Bac

23

25

28

24

21

21

18

Bac+2

13

13

13

19

17

12

18

Bac +3 et au-delà

13

13

17

10

31

6

6

Total

100

100

100

100

100

100

100

Ouvriers

21

26

18

21

20

22

20

 

Employés

61

60

62

68

55

68

72

Techniciens, agents de maitrise

12

8

12

10

10

7

6

Cadres, ingénieurs

6

6

7

2

14

3

3

Total

100

100

100

100

100

100

100

Moins un an au chômage

37

34

42

41

38

32

32

De 1 à 2 ans au chômage

42

38

37

48

45

41

38

Plus de 2 ans au chômage

21

28

31

20

17

27

30

Total

100

100

100

100

100

100

100

*Ne sont repris ici que les items présentant de nettes différenciations

 

– Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à évoquer des contraintes personnelles (71% avaient des enfants à charge, contre 45% des hommes) ou l’urgence de retrouver un emploi (55%) pour expliquer leur mobilité ; elles souhaitent également davantage reprendre leur ancien métier.

 

– Les jeunes, déclarent moins de contraintes personnelles (9%) pour expliquer leur mobilité professionnelle, tandis que les adultes âgés de 25 à 34 ans évoquent principalement des motifs tels que la volonté d’exercer un métier précis (40%), le besoin d’améliorer leurs type de contrat, salaire ou conditions de travail (40%), moins la nécessité de fuir l’ancien métier (29%), ou la contrainte de trouver un emploi qui soit en adéquation avec leurs situations familiale, médicale ou personnelle (23%). Les 35-49 ans sont bien plus contraints par les situations familiales (55%) ; les plus de 50 ans ne s’inscrivent plus dans l’amélioration de leurs conditions de travail.

 

– Les demandeurs d’emploi ayant un niveau de formation équivalent à Bac+3 ou plus sont plus intéressés par leur ancien métier (31%) ou dans le choix du métier (17%), peu dans le repositionnement contraint.

Ceux de niveau CAP ou BEP aspirent surtout à fuir le dernier métier qu’ils ont exercé (48%) ou ont des contraintes personnelles (santé…) ou familiales (45%)

 

– Les cadres souhaitent retourner à une ancienne profession (ou un domaine pour lequel ils ont été formés), 14% bien plus que les autres ; à contrario les employés sont surtout dans une logique de rejet du dernier métier exercé (72%).

 

– Les personnes ayant eu une inscription à Pôle emploi d’une durée inférieure à un an sont surreprésentées dans l’évocation des motifs tels que le choix d’un métier précis (42%) ou l’amélioration de leur contrat, salaire ou conditions de travail (41%), tandis que celles dont la durée d’inscription dépasse deux ans évoquent principalement, soit le rejet du dernier métier exercé (30%), soit le hasard (28%) ou les contrainte familiales et personnelles (27%) comme motifs de leur réorientation professionnelle.

 

Les demandeurs d’emploi ayant exercé un métier dans les industries manufacturières (hormis les industries de process), du transport et de la construction ont de fortes probabilités toutes choses égales par ailleurs d’être contraints à une mobilité motivée par l’urgence de trouver un emploi, à défaut d’en trouver un dans le métier désiré, et cela y compris pour les plus qualifiés comme les ingénieurs et cadres de l’industrie (62%, soit +20,6 points d’écart à la référence du commerce). Les secteurs industriels ayant été particulièrement affectés par la crise économique et financière de 2008, les demandeurs d’emploi inscrits sur les métiers de l’électricité, électronique et de la mécanique, travail des métaux font à la fois partie des plus « mobiles » et de ceux qui sont dans l’obligation de changer car ils ne trouvent pas d’emploi dans leur domaine. Le secteur de la construction n’a pas non plus été épargné.

 

En revanche, les demandeurs d’emploi quittant les domaines de l’hôtellerie, restauration, alimentation, des services aux particuliers et aux collectivités et des industries de process ont une moindre probabilité d’exercer un autre métier à défaut de trouver un emploi dans leur domaine. En l’occurrence, les motifs d’exercer un métier qui leur plaît ou encore d’améliorer leur contrat, salaire, conditions de travail sont plus prégnants pour ces métiers souvent difficiles et peu rémunérés ou encore davantage soumis à horaires décalés.

 

La mobilité est-elle garante d’une meilleure insertion professionnelle ?

Au moment de l’enquête, tous motifs de mobilité confondus, une personne sur six n’est déjà plus en emploi.

Si l’âge, la qualification, le niveau de diplôme, l’exercice d’une activité réduite sont des atouts pour une plus grande stabilité de l’emploi,  la variable essentielle en ce domaine semble être le motif même de la mobilité professionnelle ; au-delà de la distinction entre mobilité « raisonnée » et mobilité « de fait », certains motifs de mobilité semblent garantir davantage le maintien dans l’emploi retrouvé ; tel est  le cas des personnes ayant changé de métier afin d’améliorer leurs conditions de travail ou d’emploi (88% en emploi au moment de l’enquête), ou celui des personnes ayant souhaité revenir vers un métier qu’elles avaient déjà pratiqué ou pour lequel elles avaient été formée (89%).

Au contraire, une mobilité professionnelle mue par la volonté de fuir un métier (77%) ou la nécessité de concilier le métier avec son état de santé ou sa situation familiale (81%), se traduit plus souvent par une relative fragilité du lien avec l’emploi.

 

Enfin, la stabilité de l’emploi dépend également du métier trouvé à la sortie du chômage : certains domaines professionnels proposent des emplois durables, alors que d’autres se caractérisent par des emplois moins « résistants » dans le temps.

Ainsi, trouver un emploi dans le domaine de l’artisanat est plutôt synonyme d’instabilité (57% des personnes dont l’emploi se situait dans ce domaine ne l’exerçaient plus au moment de l’enquête), alors qu’un emploi dans le domaine de l’informatique parait très stable (95% des personnes qui ont trouvé un emploi dans ce domaine étaient toujours en emploi au moment de l’enquête) ; les domaines dont les emplois s’avèrent relativement stables sont les domaines industriels, surtout celui de la maintenance et des ingénieurs et cadres de l’industrie, l’administration des entreprises, les banques et assurances, la santé. Inversement, ceux dont l’emploi est instable sont l’agriculture, le bâtiment, le transport et la logistique, l’hôtellerie et la restauration, la communication et le spectacle, l’enseignement et la formation