Méthodologie : les données du GEM reposent sur deux grandes enquêtes annuelles :
-Une enquête auprès de la population adulte (enquête annuelle auprès d’un échantillon aléatoire d’au moins 3 832 personnes, dite enquête APS), représentatif de sa population adulte et une autre auprès d’un échantillon d’experts ; celle-ci s’est déroulée en partie par téléphone (60%) et en partie via un panel de répondants en ligne (40%). Une pondération a été appliquée sur les répondants obtenus pour tenir compte de la répartition de l’âge, du genre et de la situation géographique,
– Une autre auprès d’un échantillon d’experts (NES), auprès de 40 experts Français.
46 équipes nationales ont participé à l’étude APS en 2023. Trois autres équipes nationales ont participé à l’étude NES, mais pas à l’étude APS.
Situation de l’activité entrepreneuriale en France : Rapport 2023/2024 du Global Entrepreneurship Monitor, LabEx Entreprendre, Montpellier. Messeghem K., Lasch F., Valette J., Casanova S., Courrent J-M., Nakara W., Sammut S., Thurik R., Torrès O. (2024).
Quelques interrogations à propos de cette étude :
Les données proposées ne se traduisent pas par une analyse qui permette d’appréhender le positionnement de la France au regard des autres pays, de formuler des explications aux écarts observés. Cette analyse est rendue difficile parce que :
-On ne sait pas les définitions de l’entrepreneuriat (intègre-t-elle par exemple les autoentrepreneurs, les self-employed ?), qui plus est au regard des différences de culture, non seulement entre les pays mais aussi au sein d’un même pays, alors que ces définitions souvent intuitives, servent de socles pour formuler leur réponse,
-On ne connait pas l’origine des données : experts, population interrogée, cumul des 2 groupes, les réponses des uns et des autres pouvant nettement différer,
On ne sait pas grand-chose de la qualité des études des différents pays : montage des enquêtes de population et choix des questions posées, choix des experts (pour la France, peu sont au fait de la diversité des TPE, pourtant le socle du flux d’entreprises). On sait seulement que l’exigence de règles communes uniformisent bien trop les données pour en tirer une analyse pertinente ? Que penser par exemple de la comparaison avec l’Arabie Saoudite et le Qatar ?
Ceci étant, l’étude nous permet une appréhension très globale du positionnement de la France, ce que je formule brièvement en conclusion.
L’écosystème entrepreneurial Français : la France se situe au 6éme rang devant les 15 pays les plus riches, avec une moyenne de 5,06 sur 10. Devant la France, citons nombre de pays a-typiques comme l’Arabie saoudite (6,3), le Qatar (5,9), mais aussi des pays plus habituels tels les Pays-Bas (5,9), la Corée du Sud (5,8), la Suisse (5,5) ; et derrière la France des pays connus pour leur dynamisme économique, et pourtant en retrait tels l’Allemagne et les USA (4,8), la Suède (4,7) et le Royaume-Uni (4,6).
♦ Qu’en est-il du positionnement de la France selon les thèmes observés ?
Au côté du positionnement, il me semblait important de faire figurer la moyenne obtenue, plus explicite. Je clase les 5 thèmes par ordre décroissant.
– Finance : Accès aux financements (une moyenne de 5,4 et un positionnement de 4éme sur 16), existence de financements (une moyenne de 5,4 et 5éme/16), montrant un bon positionnement sur cette question,
– Politique et Accompagnement : programmes publics en faveur de l’entrepreneuriat (une moyenne de 5,9 et 8éme sur 16), promotion et support de l’entrepreneuriat par le gouvernement (5,3 et 5e/16), et moins favorable, lourdeur administrative et fiscale (4,9 et 10e/16),
-Marchés et infrastructures : infrastructures physiques (6,7 et 10e/16), infrastructures commerciales et professionnelles (5,8 et 8e/16), et moins favorable les barrières à l’entrée (4,7 et 10e/16), et le dynamisme des marchés (3,9 et14e/16),
-Culture : Normes culturelles et sociales (4,4 et 14e/16) sont en situation moins favorable.
-Education et recherche : promotion de l’entrepreneuriat dans les études supérieures (5,1 et 8e/16), et moins favorable le transfert R&D (4,5 et 9e/16), et la promotion de l’entrepreneuriat au primaire et secondaire (2,4 et 16e/16),
Enfin, la santé des entrepreneurs émergents et établis, en s’appuyant sur le « self rated health », l’échelle de mesure de santé perçue la plus couramment usitée en santé publique. En 2022, 25% de la population s’estimait en mauvaise santé vs 18% en 2023 ; elle est de 15% pour les entrepreneurs émergents et de 19% pour les entrepreneurs établis.
Selon l’enquête de la Fondation MMA des Entrepreneurs du futur et Bpifrance Le Lab d’avril 2024, 17% des dirigeants enquêtés se disent en mauvaise santé.
♦Plusieurs déterminants de l’acte d’entreprendre.
-L’entrepreneuriat est-il un choix de carrière souhaitable ? Plutôt oui en France.
65% (moyenne G7 67%) répondent favorablement ; les enquêtés situe la France en 6éme position du groupe A : devant la France, des pays atypiques comme l’Arabie Saoudite (96%), le Qatar (82%), mais aussi des pays plus habituels comme les USA (79%), le Canada (70%), l’Italie et le Royaume-Uni (67%), et derrière la France, 2 pays plutôt au nord de l’Europe, la Suède (65%), la Norvège (57%), et par ailleurs l’Allemagne (51%) et la Suisse (38%).
Selon l’enquête “La création d’entreprise en 2023 : quels regards portent les Français, les jeunes et les dirigeants ?”, Go Entrepreneurs, Opinion Way, mars 2023 : créer une entreprise en France aujourd’hui est une bonne idée pour 64% des répondants.
-L’entrepreneuriat confère-t-il un choix social élevé ? Nettement moins en France que pour les autres pays.
La France se situe la dernière avec 52% (moyenne G7 73%), loin les pays du Golfe (90-95%), l’Amérique du Nord (79-80%), les pays de l’UE (64-85%).
–Pourtant les médias y sont plutôt favorables (75% vs 71 en moyenne G7).
Les pays du Golfe la devancent (78-94%), tout comme ceux de l’Amérique du Nord (77-81%), et tout juste la Suède (79%) et le Royaume-Uni (78%) ; par contre les autres pays d’Europe sont en retrait comme l’Allemagne (54%), l’Italie (58%), et la Suisse (62%).
♦ Quelle relation personnelle avec le fait d’entreprendre ?
-61% en France (49 pour ceux du G7) connaissent des entrepreneurs, bien plus que dans les autres pays, (sujet d’étonnement),
Y compris comparé avec ceux des pays de l’Europe du Nord (46-60) dont le Royaume-Uni (53), voire avec l’Allemagne (37), plus aussi qu’aux USA et Canada (44-52).
-51% disent percevoir des opportunités (proche des pays du G7 48),
Mais moins souvent que pour les pays du nord (60-69) et ceux d’Amérique du Nord (54-63), avec une Allemagne (41) et une Italie (34) à la traine, réputé pour être des pays d’entrepreneurs.
–50,5% estiment qu’il est facile de démarrer une entreprise (48 les pays du G7),
Là encore les pays du Golfe sont plus confiants (62-92) comme le sont les pays de l’Europe du Nord (60-80) ou ceux de l’Amérique du Nord (56-64).
-50% le sentiment d’être compétent (50 les pays du G7), en proximité avec les autres pays d’Europe (42-55), voire avec l’Amérique du Nord (49-57), vs 91 pour l’Arabie saoudite (là encore sujet d’étonnement).
-Paradoxalement la peur de l’échec, souvent grandement mise en avant, n’est située qu’à 40% (47 les pays du G7),
Proche des pays du nord de l’Europe (40-47), de l’Allemagne (39), des USA (45) mais cette peur serait plus présente au Royaume-Uni (53), et au Canada (56) et en Arabie Saoudite (61).
♦ Les Motivations pour entreprendre.
Le bonheur d’entreprendre, la forte motivation de l’indépendance n’est pas évoquée alors que c’est l’un principal motif de création ! D’autres le sont ici mais ils sont plutôt modestes en termes de mesure.
-Pour s’enrichir (44 vs 60 pour les pays du G7),
Voilà qui est clair pour les pays du Golfe (77-91), la Corée du sud (83), et l’Amérique du Nord (67-69), voire l’Allemagne et l’Italie (56) mais bien moins les pays d’Europe du Nord (34-54).
-Parce que les emplois sont rares (43 vs 60 les pays du G7),
Paradoxalement c’est une des raisons importantes pour les pays du Golfe (63-91), de l’Amérique du Nord (62-67), bien moins citées par les pays d’Europe du Nord (34-54) et davantage par l’Allemagne et l’Italie (47-58), voire le Royaume-Uni (61).
–Pas pour générer un impact sur la société (20 vs 48 les pays du G7), la mesure la plus faible, comparée avec les autres pays,
Même avec les pays d’Europe du Nord (37-48), encore moins avec ceux d’Amérique du Nord (62-64), voire l’Allemagne ou le Royaume-Uni (50-59). La France serait-elle un pays ou l’individualisme est particulièrement vigoureux en ce qui concerne l’entrepreneuriat ?
-Ni pour perpétuer une tradition familiale (17 vs 30 les pays du G7),
Pourtant plus présente en Amérique du Nord (35-42), voire en Allemagne et Italie (31-32) et moins dans les pays du nord de l’Europe (21-26).
Selon l’étude “INDICE ENTREPRENEURIAL FRANÇAIS 2023, volet national”, Bpifrance, novembre 2023 : les chefs d’entreprise créent surtout pour être leur propre patron (21%), réaliser un rêve (20%) ou être conforme à leurs valeurs (20%). Mais aussi pour affronter de nouveaux défis (17%), pour créer son propre emploi ou celui d’un de ses proches (15%), pour augmenter ses revenus (15%), pour saisir une opportunité de création ou de reprise d’entreprise (12%), pour changer de métier (12%), pour faire autre chose (12%), “c’était la seule possibilité pour exercer leur profession” (11%), pour construire/reprendre un projet collectif ou familial (9%), pour mettre en œuvre une idée nouvelle de produit, de service (9%),parce que sans emploi, faute d’autre solution (8%).
-Noter que l’intention entrepreneuriale intéresse 17% des répondants en 2023. La moyenne des pays du G7 en ce qui concerne l’intention est de16%, avec des taux plus faibles en Italie (14%), au Royaume-Uni (13,9%) et en Allemagne (11,7%), vs aux Etats-Unis (17,9%) et au Canada (24,1%) et dans les pays du Golfe (42-47).
Selon l’étude “INDICE ENTREPRENEURIAL FRANÇAIS 2023, volet national”, Bpifrance, novembre 2023 : 32% des Français envisagent de créer/reprendre (intégrant les chefs d’entreprise en activité). Ce chiffre de 32% bouge peu au fil des années (32% en 2016 et 30% en 2018 et 2021). Il est de 34-38% dont 37 en 2023 pour les hommes, de 23 à 28%, dont 28 en 2023 pour les femmes, et de 58% pour les jeunes en 2023 (54 en 2021 et 30-36% en 2016 ou 2018 !).
-Le taux de concrétisation est de 59% de ces intentions pour la France soit 10,8% (12,2 pour les pays du G7) et en Amérique du Nord (15-20) et en Europe (7-14), avec un taux de 14% aux Pays-Bas, de 12% au Royaume-Uni vs 7-10 dans les autres pays d’Europe.
Selon l’étude “La création d’entreprise en 2023 : quels regards portent les Français, les jeunes et les dirigeants ?”, Go Entrepreneurs, Opinion Way, mars 2023 : 8% des Français disent vouloir créer/reprendre une entreprise avec certitude.
-Par contre, le taux d’entrepreneurs établi est de 4,6% en France (6,2 pour les pays du G7), vs davantage en Amérique du Nord (6,7 à 7,6) et les autres pays d’Europe (5,5-7,6), sauf l’Allemagne avec 4,1.
Et en cohérence avec le taux de cessation d’activité de 3,5% pour la France (G7, 4,8), davantage dans les pays Européens (3,2-6,3), mais moins en Allemagne et Italie (2,7) et Royaume-Uni (3,1).
♦ Les raisons de ces cessations se regroupent en 4 catégories :
– Une activité non rentable (18%),
– Une opportunité de sortie à saisir : opportunité d’emploi ou d’investissement extérieure à l’entreprise (17%), opportunité de vente (10), retraite (7),
– Des raisons personnelles : familiales (13%), pandémie de coronavirus (10%),
– Des difficultés internes à l’entreprise : mesures fiscales, gouvernementales ou bureaucratiques (8), difficulté de financement (8), problème d’approvisionnement (3).
♦ 3 sujets manifestent de grands décalages entre les pays, reflets semble-t-il d’un grand décalage de la connaissance des experts sur l’appréhension globale de l’entrepreneuriat:
-L’investissement moyen : 13 378€ en France vs 23 120€ pour les pays du G7.
Les montants investis en 2023 différent grandement, ce qui semblent indiquer de grandes différences quant aux entreprises qui auraient servi de bases aux observations.
Peu de pays proposent en effet des montants proches de ceux de la France : paradoxalement pour les pays du Golfe : l’Arabie Saoudite (10 106€) très loin du Qatar (59 085€), et pour les pays de l’Europe du nord : la suède (13 015€) très loin de la Norvège (36 251€) et plus encore des Pays-Bas (54 919€), ou pour l’Amérique du Nord, le Canada (13 336€), loin des USA (28 422€) , sans oublier l’Allemagne (20 610€), éloignée du Royaume-Uni (30 348€) et de l’Italie (32 626€).
-Serait-ce le fait d’écarts notoires observés quant à l’importance des « investisseurs informels » (famille, amis, Business Angels) ? Ce ne semble pas.
Ils sont chiffrés 7,1% en France (7,9 dans les pays du G7), mais ne présentent pas de grands écarts, par exemple avec les pays d’Europe du Nord (entre 6 et 11,5%). De plus le % est encore plus faible en ce qui concerne le Royaume-Uni (3%), l’Italie (5,4) et l’Allemagne (5,7). Ces écarts sont plus importants avec les pays de l’Amérique du Nord (12,5 et 13,7).
-Le fait d’une clientèle internationale : 33% des entreprises Françaises émergentes auraient des clients à l’étranger. Vs 45 en Allemagne (ce qui serait crédible, du fait d’une Allemagne connue bien plus exportatrice que la France) ; mais la France serait proche des USA ou du Canada (33 et 30), tout comme du Royaume-Uni et de l’Italie (36 et 29).
Pour les entreprises « établies », 45% auraient des clients étrangers.
Selon l’étude “BILAN EXPORT DES PME ET ETI FRANÇAISES 2022”, Business France pour Team Export, janvier 2023 : 145 700 entreprises sont exportatrices en 2022 (sur 2,8 millions hors autoentrepreneurs soit 5,2% des entreprises.
♦ En conclusion, regroupons les principales données issues dans cette étude :
Le décalage entre la France et l’Amérique du Nord est très lisible ; celui avec les pays de l’Europe du Nord est plus mesuré, alors qu’il est manifeste avec l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni.
Pour en savoir davantage : https://www.umontpellier.fr/articles/situation-de-lactivite-entrepreneuriale-en-france-le-labex-entreprendre-publie-le-rapport-national-du-global-entrepreneurship-monitor