L’intérêt de cette analyse est la proposition d’une vision globale des transformations autour des dynamiques entrepreneuriales et de leur accompagnement, même si celles ci se limitent aux création d’entreprises “haut de gamme” et ignore les autres créations bien plus nombreuses, mais modestes.
Les données proposées sont souvent partielles au regard de ce que je connais.
“La France est le champion occidental de la création d’entreprise ! Entre 2007 et 2012, le nombre d’entreprises créées dans l’Hexagone a progressé quatre fois plus vite en moyenne que dans l’ensemble des pays du G7; la France compte plus d’entreprises par habitant qu’aux Etats-Unis, en Allemagne, en Italie ou au Royaume-Uni. C’est oublier l’impossibilité de comparer les pays quant aux régimes mis en place (notamment les autoentrepreneurs en France)?
Deux dynamiques différentes sont à l’œuvre : d’une part celle de la démultiplication des micro-entreprises et des entreprises individuelles, dont le nombre a doublé entre 2007 et 2016, et d’autre part, la croissance des créations de société (+20% sur la même période); parmi ces entreprises, beaucoup sont fragiles et génèrent peu de chiffre d’affaires.
Le profil de l’entrepreneur français se distingue aussi par trois caractéristiques marquantes : la proportion d’entrepreneurs ayant un doctorat (10 fois moindre que dans les autres pays développés en 2013), le pourcentage d’entrepreneurs étrangers (11% à Paris contre 19 en moyenne dans les 40 villes comparables au niveau mondial) et la proportion de jeunes femmes parmi les entrepreneurs (22% en 2013 comparé à 32% pour les USA, près de 30% en Grande-Bretagne).
Le phénomène start-up, né dès les années 90, déterminant pour le développement économique et la compétitivité de la France, reste marginal sur le plan quantitatif (environ 10 000 à 30 000 start-up selon les sources); elles sont fondées par des personnes qui ne représentent pas l’entrepreneur moyen : 90% d’entre eux sont des hommes ayant un niveau de formation supérieure (souvent de niveau Bac+5); rares sont celles qui parviennent à croître fortement et à lever des fonds : en 2014 et 2015 on compte à peine 50 entreprises de moins de 8 ans qui ont levé plus de 15M$ contre près de 1 500 aux Etats-Unis sur la même période.
En 2016 en France, 34% des étudiants veulent devenir entrepreneurs, contre 15% il y a 25 ans. Pour répondre à cette appétence, les formations diplômantes connaissent une croissance spectaculaire. Rien qu’entre 2014 et 2015, le nombre d’élèves suivant des formations en entrepreneuriat en France a augmenté de 20%, passant de 100 000 à 120 000 étudiants, soit près de 5% des étudiants toutes disciplines confondues.
Au sein des 10 meilleures grandes écoles de commerce et d’ingénieur françaises, 100% des élèves suivent au moins un cours en entrepreneuriat; en 1999, si 70% des écoles de commerce et 50% des écoles d’ingénieurs avaient un cours en entrepreneuriat dans l’ensemble de leur établissement, il était bien souvent peu suivi. Quant aux 10 meilleures universités en sciences et en économie-gestion, ces formations touchent désormais près de 65% des élèves.
On compte 2005 enseignants-chercheurs dans le domaine, contre moins d’une cinquantaine il y a 25 ans.
Tous ces programmes permettent non seulement d’augmenter le nombre de projets entrepreneuriaux, mais aussi la probabilité qu’ils soient réellement mis en œuvre : un élève ayant suivi une formation à l’entrepreneuriat a en effet 4 fois plus de chance de créer une entreprise qu’un individu n’en ayant pas suivi; cet effet est nettement plus élevé en France qu’en Angleterre (2,4), Allemagne (2,8), Italie (2,3) ou Espagne (1,1). Ce passage à l’acte entrepreneurial est facilité en France depuis une dizaine d’années par de nouvelles structures d’accompagnement dédiées aux étudiants comme le Moovjee notamment.
Le seul point noir reste l’extrême concentration des établissements qui forment les fondateurs des start-up à forte croissance : les entrepreneurs éligibles au Prix de l’Entrepreneur de l’Année en 2016 sont à 85% issus d’une Grande Ecole.
Une transformation des pédagogies : Les programmes exigent des élèves qu’ils mènent des projets qui produisent de réels impacts durant leur formation: Il s’agit de vivre l’expérience de l’entrepreneuriat et non pas seulement de la comprendre; la multidisciplinarité est devenue la norme dans les formations (au-delà des modules centrés sur les expertises business, 60% proposent un cours de design thinking, 40% de code/développement informatique et 25% d’art/humanités), sans oublier le développement d’une dizaine de formations sans école et sans diplôme (Koudetat, Livementor, Engage University, The Cantillon, Learn Assembly, Le Wagon, Inco…) avec contenus en ligne, conférences en soirée ou week-end, ateliers pratiques.
L’enjeu de ces programmes est désormais de former les étudiants à de nouvelles façons de penser et d’agir et former aux méthodes entrepreneuriales comme l’effectuation, les méthodes agiles, pour répondre à 2 défis majeurs : l’incertitude et la limitation croissante des ressources. Il faut pouvoir expérimenter pour tester et pivoter en fonction des nouvelles contraintes qui émergent au fur et à mesure de l’avancée d’un projet.
Plusieurs vagues d’acteurs pour l’accompagnement : d’abord des opérateurs publics locaux cherchant à soutenir le développement économique de leur territoire (années 80) ainsi que des réseaux d’accompagnement nationaux (en particulier l’Institut du mentorat et le Réseau Entreprendre), puis des incubateurs académiques et scientifiques (années 90 principalement), et des incubateurs privés ou d’entreprises (fin des années 90 et surtout années 2000). En 2016, on dénombre 2285 incubateurs et de 49 accélérateurs.
Les structures d’accompagnement font face à un double défi : maîtriser des expertises plus nombreuses et complexes d’une part et appréhender les enjeux sociaux du processus entrepreneurial d’autre part. Il faut non seulement comprendre les méthodes et concepts nouveaux, mais aussi réussir à les mettre en place. Si au départ l’ambition était de développer des entreprises viables au niveau local, l’enjeu est de plus en plus d’accompagner des projets à l’ambition mondiale dont les enjeux financiers, techniques et juridiques sont toujours plus complexes. La précarité sociale (faibles ressources, location et emprunt très difficiles) ou psychologique (stress, burn out, solitude) des porteurs de projets ne sauraient être ignorées.
On observe donc un besoin de professionnalisation du secteur de l’accompagnement, afin de délimiter leurs métiers, responsabilités et intérêts, autant que ceux des entrepreneurs qu’ils accompagnent.
Investisseurs : d’une logique bancaire à une approche entrepreneuriale
la France a enregistré une croissance soutenue des investissements en capital-risque entre 2016 et 2017 (+22 %), la hissant à la 2éme place en Europe (2,3Md€ en 2016, 20% des montants levés, juste derrière le Royaume-Uni,36%, à égalité avec l’Allemagne).
Noter que les banques contribuaient à plus de 50% au financement du capital investissement contre moins de 10% aujourd’hui; suite au retrait des investisseurs institutionnels, Bpifrance a comblé le déficit de financement des start-up (en 2012, 95% des entreprises investies par le capital-risque et 99% par le capital amorçage ont été financés directement ou indirectement par Bpifrance).
Le faible rendement relatif du capital-innovation lors des trente dernières années (1,4%) a eu tendance à freiner la venue d’investisseurs privés; ceci étant, la tendance est positive avec un taux de rendement de 5% sur la période 2012 à 2016; l’inadaptation du capital humain est un des principaux facteurs défavorables.
Une étude récente, portant sur les profils des investisseurs français, montre une plus faible diversité de parcours en matière d’éducation et d’expérience avec notamment moins de profils scientifiques, d’anciens entrepreneurs et de diplômés de MBA que les Etats-Unis ; aux Etats-Unis, 60% des investisseurs possèdent un MBA contre seulement 20% en France, alors que ce type d’expérience est déterminant pour dénicher et développer les start-up innovantes à haut potentiel de croissance; et une prédominance de profils d’anciens banquiers ou d’investisseurs financiers (70% vs 60 aux USA). les tickets moyens des capitaux-risqueurs sont près de 2 fois inférieurs de ceux pratiqués en Angleterre et près de 3 fois inférieurs à ceux de l’Allemagne sur le 1er trimestre 2017.
Cette croissance s’est accompagnée de l’arrivée de nouveaux types d’investisseurs :
-les particuliers avec le financement participatif : en 2016, 2,339Md€ de fonds collectés (+40% par rapport à 2015) avec plus d’un million de Français finançant 21 000 projets.
-et les grands groupes avec les Corporate Venture Capitalists (CVC), presque inexistants il y a 5 ans : 590 prises de participation ont été enregistrées pour un montant cumulé de 2,7Md€ en 2016 (plus du double que l’année précédente); Ils investissent dans les start-up de croissance avec un ticket moyen de 500 000€.
Il y a 25 ans, l’innovation des grands groupes était surtout une affaire interne, assez secrète et essentiellement concurrentielle; un basculement s’est opéré : rachat de jeunes entreprises, concours de start-up, programmes d’accompagnement (incubation ou accélération), partenariats commerciaux avec des start-up, soutien business et technique. 100% du CAC 40 a adopté l’une de ces formes partenariales; pour 82% des entreprises, interagir avec des startup est une mission importante, voire urgente.
79 deals ont impliqué des corporate ventures en 2016, contre 55 l’année précédente, pour un montant cumulé de près d’1,4Md€ vs 550M€ en 2015). Le nombre de partenariats entre grands groupes, incubateurs et accélérateurs a été multiplié par 9 en 5 ans, celui des alliances entre start-up et fonds de corporate venture, par 56.
Toutes ces initiatives d’innovations ouvertes ne peuvent fonctionner si les grands groupes n’adoptent pas eux-mêmes une culture et des compétences entrepreneuriales : les grandes entreprises ne multiplient pas seulement les formations aux méthodes agiles et aux approches entrepreneuriales, elles lancent aussi de nombreux programmes d’intrapreneuriat. Souvent en effet, l’écueil réside dans l’incompatibilité des deux cultures d’entreprise, à tous les échelons de la hiérarchie. Toutes ces évolutions transforment le modèle de gestion traditionnel : du management classique caractérisé par une ligne hiérarchique et des processus fiabilisés, au leadership entrepreneurial, horizontal et adaptatif.