À quoi ressemblera le travail demain ? Serons-nous tous entrepreneurs nomades ?
« Depuis les années 1980, la mondialisation, la fragmentation des chaînes de valeur, l’externalisation, le changement technologique et la montée du taux d’activité des femmes ont profondément transformé l’emploi et le travail. L’économie s’est tertiarisée ; les qualifications se sont polarisées, le salariat s’est précarisé, la polyactivité s’est développée, le travail indépendant a cessé de reculer, le morcellement des parcours s’est accentué (changements de statut, passages plus fréquents par le chômage). Les frontières ont eu tendance à se brouiller : la distinction entre salariés et indépendants est devenue floue, l’entreprise « étendue », les lieux et le temps de travail flexibles. Les nouvelles vagues de technologie, notamment numériques, et les nouveaux modèles d’affaires nés des plateformes, sont susceptibles d’amplifier des phénomènes déjà anciens, voire d’en modifier plus radicalement la nature. »
Les contrats courts et la précarisation de l’emploi sont ainsi très concentrés sur certaines catégories de travailleurs (jeunes, femmes, peu qualifiés), sur certaines activités particulièrement saisonnières (hôtellerie restauration) ou à fort turn over (services d’aide et de soin, distribution)… ; plus largement, la transformation en cours de l’économie va-t-elle emporter une domination du droit commercial sur le droit du travail et une extension de l’intermittence des parcours ? «
Pour tenter de réduire les incertitudes sur l’ampleur des transformations passées et à venir, il est nécessaire d’adopter une approche différenciée par secteur et par métier plutôt que d’essayer d’envisager une projection globale…notamment les métiers et les secteurs où se concentrent à la fois le travail indépendant et les formes atypiques d’emploi. »
Le développement de l’économie numérique et notamment des plateformes brouille les frontières mêmes du travail et pose la question de la délimitation entre activité professionnelle et non-professionnelle ; le développement du travail « à distance » remet lui aussi en cause des éléments structurels de la définition du salariat. »
Historiquement, le développement du salariat correspond au recul de l’agriculture et des petits commerçants, mais le salariat se précarise depuis les années 1980 : entre 2000 et 2012, le nombre de contrats à durée limitée (CDD et intérim) dans les intentions d’embauches a quasi doublé, alors que la durée moyenne de ces contrats s’est réduite. Les enquêtes Conditions de travail manifestent un sentiment grandissant d’insécurité économique : 17% des salariés interrogés en 2013 craignaient de perdre leur emploi dans l’année à venir, alors qu’ils n’étaient que 11% en 2005.
Le renouveau du travail indépendant au début des années 2000 :
Leur nombre a même augmenté plus vite que celui des salariés entre 2001 et 2008 (+ 0,8% par an, contre+ 0,5%), avant la crise économique et avant la mise en place du statut d’autoentrepreneur, alors que près de 2,2 millions d’emploi non-salariés avaient été détruits entre 1970 et 2000 (dont 1,8 million uniquement dans l’agriculture), tandis que l’emploi salarié augmentait de 6,4 millions.
Cette hausse des indépendants est particulièrement forte dans les services aux entreprises et dans les services aux particuliers, certains secteurs bénéficiant surtout du succès du statut d’autoentrepreneurs. « On peut se demander si on n’assiste pas également dans le même temps à une certaine précarisation de cette population », notamment du côté autoentrepreneurs ; la distribution des revenus annualisés est plus inégalitaire chez les indépendants.
Malgré cette croissance de l’emploi indépendant, le travail salarié demeure majoritaire puisque sur dix personnes actuellement en emploi, près de neuf travaillent principalement comme salariée d’une entreprise.
Ce renouveau du travail indépendant est par ailleurs partagé par trois autres pays européens, l’Allemagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni.
Parallèlement à la précarisation du salariat et au renouveau du travail indépendant, se développent, en effet, depuis de nombreuses années, des relations de travail triangulaires (relation tripartite entre un salarié, un employeur de droit et une entreprise utilisatrice chez qui le salarié réalise le travail pour lequel il est rémunéré), à travers notamment l’essor de l’intérim.
Au-delà du développement des formes précaires du salariat et des relations triangulaires d’emploi, s’ajoutent, à la frontière du salariat et du travail indépendant, de « nouvelles » formes d’emploi qui questionnent la pertinence de cette frontière, et son critère de délimitation qu’est le lien de subordination juridique. Dans un contexte d’autonomisation d’une partie des salariés (en particulier les cadres), de la fixation d’obligations de résultats plutôt que de moyens, de fonctionnement en réseau et de travail nomade, de dépendance économique accrue d’une partie des travailleurs indépendants, certaines activités salariées peuvent être régies par des logiques de prestation de services et, inversement, certaines tâches peuvent être externalisées à des personnes non salariées avec néanmoins le maintien de liens de subordination entre les deux parties.
La législation prévoit également des statuts hybrides de non-salariés mais auxquels s’appliquent certaines dispositions du code du travail : par exemple les gérants non-salariés de succursales de commerce de détail alimentaire ; dans d’autres cas a contrario, certaines formes de travail sont considérées comme indépendantes bien qu’en pratique l’activité s’exerce de façon relativement encadrée par le donneur d’ordres. Cette question de la délimitation entre salariat et travail indépendant se pose de façon renouvelée avec le développement de l’auto entreprenariat (par exemple dans des cas d’anciens salariés à qui il a été demandé de changer de statut tout en restant sous l’autorité du même employeur) et le développement des plateformes numériques.