Une étude qualitative portant sur 8 écoles de la 2éme chance (E2C)
Les écoles de la 2e chance (E2C) s’adressent aux jeunes de moins de 26 ans sortis du système éducatif sans diplôme ni qualification professionnelle. Elles ont pour objectif l’insertion sociale et professionnelle des jeunes, en privilégiant les sorties vers la formation qualifiante. Fondées sur une pédagogie innovante, ces écoles proposent un parcours d’accompagnement individualisé sur plusieurs mois, organisé autour de l’alternance.
En 2013, les écoles de la 2e chance ont accueilli 14 150 jeunes sur une centaine de sites, avec un doublement des sites et des effectifs accueillis depuis 2009.
Les jeunes entrés en E2C en 2013 ont 20 ans en moyenne, avec une proportion équilibrée de femmes (51%) et d’hommes (49%) ; 9 jeunes sur 10 n’ont pas de diplôme de niveau V ou au-delà ; 32% habitent dans des territoires de la politique de la Ville.
Les jeunes rencontrés pour l’étude présentent une grande diversité de parcours, tous marqués par des ruptures scolaires (l’école est largement remise en cause dans sa capacité à accompagner un apprentissage et à orienter) et souvent personnelles avec cumul dans plusieurs domaines tels financier (notamment endettement lié à des abonnements téléphoniques et internet), de santé (addictions, malnutrition, santé dentaire, difficultés psychologiques), de logement, de mobilité (notamment en zone rurale), de délinquance, et chez les jeunes femmes, la rupture suite à l’arrivée d’un enfant (elles ont dû quitter l’école ou leur formation pendant leur grossesse, puis font face à des problèmes de garde d’enfants). Le manque de soutien familial vient souvent s’ajouter aux difficultés rencontrées. Autre public, celui des jeunes migrants, maîtrisant mal le français.
La plupart des jeunes rencontrés décrivent un processus de recherche qu’ils jugent après coup erratique. Certains ont enchaîné des petits boulots, des formations courtes, d’autres ont suivi des programmes d’insertion ; les expériences en entreprise ou en formation sont peu valorisées, parce qu’ils n’en voient pas l’utilité. Cette période de transition semble davantage soumise aux aléas et au hasard qu’à une maîtrise d’un parcours personnel en vue d’accéder à une situation durable.
Le déclic déterminant pour l’inscription à l’E2C provient soit d’un conseil extérieur (de la mission locale ou d’un ami), soit d’une pression des parents pour « trouver quelque chose », ou bien d’une décision individuelle pour « sortir de chez soi » et « faire quelque chose »
Les modalités pédagogiques :
– La sélection des jeunes se fait sur la motivation ; certains jeunes abandonnent entre l’orientation et l’entrée réelle en E2C ; dans les E2C visitées, cet abandon concerne environ 2 jeunes sur 10.
– La validation du recrutement se fait au terme d’une période d’essai ; dans les écoles visitées, la durée de cette période est de 2 à 7 semaines ; cette période d’essai permet de mesurer la motivation du jeune et l’état de ses acquis sur les savoirs de base ; elle permet d’observer le respect du règlement intérieur de l’école (horaire, assiduité, tenue vestimentaire, …) par le jeune ; cette période inclut habituellement un stage de découverte de l’entreprise, où le jeune peut montrer qu’il est prêt à respecter les contraintes inhérentes au monde du travail (être à l’heure, être assidu) ; dans les écoles visitées, entre 10 % et 25% des jeunes n’arrivent pas au terme de leur période d’essai.
– Si la période d’essai est validée, le jeune signe son contrat d’engagement en formation et devient alors stagiaire de la formation professionnelle ; il reçoit à ce titre une rémunération mensuelle, versée par la région ; ceux qui n’ont jamais travaillé auparavant touchent entre 130 et 400€ par mois, en fonction de leur âge, ceux qui ont déjà travaillé (ou une situation personnelle telle handicap, parent isolé), 650€. Dans les écoles étudiées, le parcours moyen dure de 6 à 8 mois, à plein temps (35 heures par semaine), et se fait en petit groupe (12 à 18 jeunes par promotion) .
– Le cadre est très structuré, face à un public en manque de repères, mais le parcours cherche à offrir aussi de la souplesse, laissant la place au tâtonnement et valorisant les essais ; il peut être interrompu à tout moment, si le jeune a l’occasion de saisir une opportunité d’emploi ou de formation.
– En premier lieu, il s’agit de stabiliser les jeunes dans le parcours de formation en établissant une relation de confiance ; en deuxième temps, l’objectif est de consolider la motivation du jeune et de l’inscrire dans une dynamique de projet professionnel, puis de consolider son autonomie ; l’ultime étape du parcours est l’orientation vers une formation qualifiante, un contrat en alternance ou un emploi. Si les écoles privilégient les sorties vers la formation qualifiante, dans l’optique d’assurer une insertion durable des jeunes, les stagiaires aspirent le plus souvent à travailler le plus rapidement possible pour gagner leur vie.
– L’accompagnement individualisé dans la durée se réalise par des temps réguliers de bilans dès qu’une action est terminée ; le recours systématique à l’écrit ou à la saisie informatique facilitent cette appropriation. Les évaluations ont d’abord un but de formation et constituent un levier d’apprentissage supplémentaire.
– Toutes les E2C ont mis en place un pôle social pour répondre au besoin d’appui social des jeunes ; Il s’agit de trouver des solutions aux problèmes liés au logement, à la santé, aux gardes d’enfant, à la mobilité et au surendettement
Cependant, des ruptures en cours de parcours restent possibles ; dans les écoles visitées, entre 15% et 35% des stagiaires sortent prématurément de leur parcours (abandons, démissions ou exclusions) ; les périodes d’absence sont relativement fréquentes et suscitent une vigilance particulière de la part des écoles. En plus de ces sorties prématurées, de 4% à 10% des jeunes accueillis sortent pour des motifs dits «non maîtrisables» (maternité, déménagement, incarcération, maladie, décès).
3 volets de l’accompagnement
– La remise à niveau s’effectue sur les savoirs de base : lire, écrire, compter ; pour favoriser l’intérêt des jeunes, les formateurs créent directement des exercices adaptés aux projets professionnels ou aux situations de vie que pourraient rencontrer les stagiaires.
– Le temps passé en entreprise représente entre 40 et 55% du parcours, sachant que près des deux tiers des jeunes accueillis n’ont aucune expérience professionnelle ; il s’agit donc de les familiariser avec le monde de l’entreprise ; le stage est d’abord positionné comme une rampe de lancement professionnel pour acquérir de l’expérience et connaître le métier, son langage et ses codes, pour initier un réseau professionnel et se faire remarquer. Les premiers stages, réalisés la plupart du temps pendant la période d’essai, sont régulièrement utilisés comme des stages de « savoir-être » en entreprise et visent à découvrir des métiers et sont trouvés par l’E2C. Progressivement, le stagiaire est invité à faire lui-même ses recherches de stage ; pour développer leur autonomie, les jeunes apprennent progressivement des méthodes de recherche d’emploi.
Les stages donnent lieu à un suivi en interne par des chargés de relations ou de mission entreprises de l’E2C et en externe par un tuteur de l’entreprise.
– Le troisième volet de l’accompagnement réalisé concerne l’ouverture à l’environnement extérieur et la connaissance de soi, l’intention étant de réduire l’écart culturel et social entre les jeunes stagiaires et les acteurs économiques ou leurs futurs collègues ; Les écoles proposent donc des activités socioculturelles et sportives très diversifiées : visites groupées en entreprise ou en centre de formation, la pratique régulière d’un sport collectif, des visites culturelles (musée, visite d’une ville, court séjour à l’étranger) ou des activités autour de la citoyenneté. La perception des jeunes à l’égard de ces activités oppose deux aspects : certains expriment leur enthousiasme de découvrir des activités nouvelles, d’autres leur scepticisme sur le lien entre ces activités et la recherche d’insertion professionnelle.
– En fin de formation, le stagiaire reçoit une attestation de compétences acquises (Aca), précisant le nombre d’heures de formation effectuées, les savoirs de base acquis et les compétences professionnelles validées en entreprise.
Après la sortie du parcours au sein de l’E2C, le référentiel de labellisation prévoit un suivi du jeune pendant un an ; sur le terrain, ce suivi est encore une pratique très hétérogène et encore insuffisamment travaillé par les écoles
À chacun des trois volets de l’accompagnement correspond un profil de permanents d’E2C : on distingue les formateurs de remise à niveau (ou formateurs référents), les chargés de relation entreprises et les animateurs de la vie sociale et collective ; souvent, les formateurs référents jouent aussi le rôle d’animateurs de la vie sociale et collective ; la majorité des salariés dispose d’un diplôme de bac+4 ou 5 et la quasi-totalité sont en contrat à durée indéterminée.
La proximité des E2C avec leur territoire d’implantation est un autre axe fort qui ressort de l’étude.
Chaque E2C se construit comme une réponse aux besoins des acteurs économiques du territoire (liens étroits avec les branches professionnelles présentes sur le territoire et avec les chambres consulaires), certaines écoles se positionnent en partie sur des métiers en tension.
Les entreprises partenaires des écoles sont toutes volontaires et reconnaissent une très bonne « expertise métier » et un professionnalisme des permanents ; elles valorisent la relation personnalisée nouée avec le chargé de relation entrepris ; les entreprises qui cherchent à recruter y voient un moyen intéressant pour trouver un « personnel non qualifié mais sans problèmes comportementaux ».
En 2012, le budget de fonctionnement de l’ensemble des E2C s’élève à 65M€, hors investissement et rémunération des stagiaires : à l’origine d’un tiers des financements, les régions sont les principaux financeurs des E2C, en tant qu’acteurs pivots de la formation professionnelle et comme financeurs de la rémunération des stagiaires en formation professionnelle ; l’État et le Fonds social européen (FSE) assurent respectivement 21% et 20% du financement des écoles ; les écoles bénéficient aussi d’apports de fonds privés via la collecte de la taxe d’apprentissage et le mécénat (12%) ; les collectivités territoriales et l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé) participent respectivement à hauteur de 11% et 3%.