Le financement participatif : une tentative d’analyse sur les années 2014-2018.


"LA FINANCE PARTICIPATIVE 4 ANS APRÈS " Financement participatif France, janvier 2019

Un point qui concerne tant les dons, les prêts, les investissements en capital et traite à la fois de la réglementation propre, des types de plateformes, des modèles économiques.

 

⇒ Ce qu’est le financement participatif

“On peut définir le financement participatif comme un moyen de solliciter des ressources financières auprès d’un grand nombre d’internautes (la foule) afin de financer un projet identifié quel que soit sa nature (culturel, artistique, entrepreneurial, etc.).

Ce nouveau mode de financement intègre à la fois certains outils de la microfinance par son caractère social et accessible à tous, et aussi les mécanismes du crowdsourcing à travers sa capacité à faire participer la foule dans le processus de développement et/ou de production de l’entreprise.”

 

Il repose sur trois fondements essentiels que les particuliers recherchent sur les plateformes :

• L’accessibilité : à partir de quelques euros ou centaines d’euros, je peux choisir le ou les projets que je veux financer ; que ce soit en don, en préachat, en prêt ou en investissement à risque.

• La transparence : je connais et je décide de la destination finale de mon argent et ce qu’il va financer ; il n’y a pas de « frais cachés » : la transparence est aussi dans les conditions financières proposées par la plateforme.

• La traçabilité : je peux suivre l’évolution des projets financés et, si je le veux, apporter également ma contribution à leur développement. C’est le côté participatif.”

 

⇒ la réglementation

 

Le décret du 16 septembre 2014 a créé les statuts d’intermédiaire en financement participatif (IFP) pour les plateformes de don et de prêt, et de conseiller en investissements participatifs (CIP) pour les plateformes intermédiant des minibons, obligations et actions.

Les plateformes de financement participatif sont réglementées et contrôlés soit par l’ACPR, (autorité de contrôle prudentiel et de résolution), pour les plateformes IFP, soit par l’AMF, l’autorité des marchés financiers, pour les plateformes CIP.

Les plateformes doivent adopter l’un des statuts et être enregistrées auprès de l’Orias, le registre unique des intermédiaires en financement. Elles peuvent également avoir le statut de prestataire de services d’investissement (PSI) et seront dans ce cas contrôlées par les deux régulateurs et répertoriées sur le site du Regafi.

 

La réglementation impose un certain nombre de contraintes aux plateformes, notamment en termes de protection des financeurs avec des obligations de communication sur les risques, sur les taux de défaut, ou la mise en place de seuils. Sur un IFP, un prêteur ne peut pas prêter plus de 2 000€ par projet pour un prêt rémunéré (5 000€ pour un prêt non rémunéré).

 

⇒ L’éthique

 

La transparence est le maître-mot sur les plateformes de financement participatif, que ce soit pour un particulier pour choisir à quel projet affecter son argent, ou dans les pratiques de la plateforme qui, dans un esprit de digitalisation et d’accès facilité à l’information, est elle-même soumise à des risques d’e-réputation. 

La lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme font également partie des obligations des plateformes, qu’elles soient IFP ou CIP. Cette réglementation concerne également les plateformes de dons.

En crowdlending et crowdequity, les critères de sélection sont stricts et très similaires à ceux des acteurs traditionnels.

 

De manière très concrète, les plateformes de prêt, minibons, et obligations doivent afficher sur leur site un tableau « indicateurs de performances et taux de défaut » suivi en temps réel. Ainsi, elles donnent, de façon standardisée et comparable d’une plateforme à l’autre, toutes les informations sur leurs portefeuilles et les prévisions sur les performance et taux de défauts. Ce tableau est une initiative prise par les membres de FPF dès 2016.
Ces plateformes sont les seuls intermédiaires financiers qui publient autant de données en continu sur leurs activités.

 

⇒ Les apports du financement participatif 

 

Pour les entreprises, le développement du financement participatif s’est accompagné de l’émergence d’un nouvel écosystème autour des plateformes, que l’on peut regrouper en 3 grandes catégories :
-Services aux porteurs de projet 
-Services aux épargnants et aux contributeurs : une meilleure visibilité sur les projets, des bloggeurs donnent leurs avis et retours d’expérience sur des forums ouverts à la discussion), le suivi de portefeuilles de prêts par des publications spécialisées 
-Services aux plateformes, ce qui permet à des promoteurs de projets de bénéficier de toute l’infrastructure de collecte en partageant les coûts de maintenance, solutions blockchain pour faciliter le financement de projets ou d’industrialisation des titres non cotés…

 

Dans de nombreux cas, l’intervention d’une plateforme complète les plans de financement que les banques ne parviennent pas à boucler seules. Les coinvestissements sont quasi-systématiques, voire des 2ème ou 3ème tours réalisés auprès des fonds de capital-risque après un 1er tour réalisé par une plateforme.

 

En 2018, la finance participative a collecté 324,4 millions d’euros à destination des TPE/PME/ETI et Startups, soit 80% des volumes de la collecte globale.

 

♦ Les impacts du don sur des secteurs d’activités peu ou mal financés : ce modèle est souvent associé au financement des projets culturels, artistiques ou portés par des structures à but non lucratif et relevant des domaines de la solidarité, de la santé ou de l’environnement. Mais le don s’ouvre de plus en plus au secteur économique. En 2015, 79% des montants collectés sous forme de don avec récompense étaient destinés uniquement aux projets culturels, audiovisuels et humanitaires alors que les autres projets du secteur social, culturel et économique se partageaient le reste.

 

Quels types de plateforme, pour financer qui ?

 

-Fin 2018, 194 plateformes étaient immatriculées auprès de l’ORIAS (registre unique des intermédiaires en assurance, banque et finance) ou du Regafi (registre des agents financiers) dont 70, les plus importantes, sont membres de FPF.

154 sont sous le statut d’IFP, intermédiaire en financement participatif dont 84 proposant uniquement de faire des dons ; les autres proposent de faire des prêts. 

57 sous le statut de de CIP, conseillers en investissements participatifs pour le financement en capital, obligations ou minibons.

19 cumulent à la fois le statut d’IFP et de CIP.

2 plateformes ont adopté le statut de PSI, prestataire de services d’investissement (PSI), plus contraignant mais élargissant les possibilités d’offres de services financiers.

 

Noter que 2 IFP en difficulté ont été repris par d’autres plateformes et 3 plateformes se sont adossées à de grandes institutions (notamment KissKissBankBank, et Lendopolis rachetées par la Banque Postale en juin 2017).  Unilend, qui avait été l’un des pionniers dans le métier du prêt, est liquidée, mais reprise par PretUp.

 

– Les structures financées sur la plateforme sont constituées de manière quasi-égale par des associations (32%), des entreprises (31%) et des particuliers (34%). Les plateformes ont mis en place ces dernières années des processus d’accompagnement des porteurs de projet notamment en termes de communication (vidéos, photos, descriptions) mais aussi des moyens d’échanges et de partage d’informations (FAQ, fil d’actualités, forum de discussion) entre les différents acteurs. Ainsi, les donateurs peuvent être intégrés dans le processus de création du produit et/ou du service proposé par l’initiateur du projet.

 

Le cas particulier du financement de projets immobiliers, le secteur le plus dynamique avec 101M€ collectés en 2018 (343 projets financés), gérés par les 32 plateformes principales du secteur; 55M€ ont été remboursés en 2018 (correspondant à 148 projets); des montants en hausse de 83% par rapport à 2017. Un taux de défaut faible (0,67% depuis 2012, mais un taux de retards beaucoup plus élevé). Le nombre de projets remboursés augmente en passant de 83 (en 2017) à 146 en 2018, car les engagements sont plus courts que pour les prêts aux PME. 

 

 

Le financement de la promotion immobilière est un processus qui peut s’étaler sur plusieurs années en fonction de la nature du programme. Le promoteur immobilier doit disposer de fonds propres importants (souvent issus de la pré-commercialisation) pour obtenir un crédit bancaire, alors que les contraintes réglementaires et les règles de gestion des risques rendent le crédit bancaire souvent difficile à obtenir. Grâce au financement participatif immobilier, les promoteurs peuvent lever jusqu’à 2,5M€ par projet via les plateformes. Les investisseurs quant à eux peuvent financer à partir de quelques centaines d’euros, pour des engagements de 12 à 24 mois, parfois plus. Les promoteurs peuvent proposer des rentabilités élevées, de 8% à 12%, car leur propre rentabilité sur fonds propres est élevée. Il peut s’agir d’opération de construction, d’aménagement foncier ou encore de marchand de bien.  

 

l’investissement immobilier se présente sous deux formes :  l’emprunt obligataire (très majoritaire) et l’investissement direct au capital d’un promoteur via un « club deal » (un syndicat qui regroupe un nombre limité d’investisseurs autour d’une société ad hoc chargée d’investir dans plusieurs projets du promoteur immobilier, permettant aux actionnaires du club deal de diversifier leur portefeuille grâce à la diversité géographique des projets).

 

 

⇒Les modèles économiques des plateformes

 

 

– Les commissions demandées :
Les plateformes de financement participatif se rémunèrent essentiellement auprès des porteurs de projet :

*en don, généralement 8% de commission sont prélevés sur le montant de la collecte en cas de succès, incluant la commission du prestataire de monnaie électronique. 

*En prêt : environ 3 à 5% de la somme collectée en contrepartie, notamment, de la gestion des remboursements mensuels par la plateforme. Les taux d’intérêt versés aux prêteurs particuliers vont de 4 à 10% selon le niveau de risque évalué par la plateforme.

* En investissement en capital : l’entreprise cède entre 5 et 25% du capital aux nouveaux actionnaires. La plateforme prélèvera une commission pour la gestion et le suivi de la levée de fonds (négociation du pacte d’actionnaires, valorisation de l’entreprise, gestion de la holding intermédiaire regroupant la foule des nouveaux actionnaires…) de 5 à 8% des montants levés. Souvent des frais fixes de 2 500€ en moyenne sont également demandés pour la due diligence effectuée, que la collecte soit un succès ou non. Enfin, la plupart des plateformes prélèvent également une commission sur la plus-value à la sortie de 12% en moyenne. Peu de plateformes facturent le souscripteur ; le cas échéant, la commission est de 5% actuellement.

 

-3  modèles de développement :

 

*Le financement des projets sur la plateforme est majoritairement effectué par des investisseurs institutionnels ou professionnels (type fonds d’investissement), jusqu’à 80% de la collecte totale. l’investisseur confie à la plateforme (directement ou via une société de gestion) l’allocation « automatique » des fonds sur les projets financés. Les personnes physiques complètent le financement et sont, en général, rassurées par le partage du risque avec des professionnels reconnus.

 

*Le financement des projets sur la plateforme est majoritairement effectué par des particuliers, en général à plus de 80%. Le co-financement par d’autres acteurs s’opère en dehors de la plateforme. Par exemple, le porteur d’un projet en création va collecter une petite part de ses besoins en prévente auprès de particuliers afin de tester son produit ou service et obtenir plus facilement l’approbation d’autres financeurs. C’est également souvent le cas pour l’investissement en capital dans de jeunes entreprises innovantes qui réalisent des tours de table en mobilisant différents types d’investisseurs (crowdfunding, business angels, fonds d’investissement, fonds corporate…).

 

*Le financement des projets est structurellement articulé entre financement par des particuliers (et d’autres acteurs) et dette bancaire. C’est notamment le cas dans le financement de projets d’énergie renouvelable ou immobilier : le porteur du projet apporte 20 à 30% du montant global en fonds propres ou quasi-fonds propres (dont les fonds collectés en crowdfunding) et les 70 à 80% sont financés par de la dette bancaire ou ce qu’on appelle des « fonds mezzanine ». 

 

⇒ Des résultats à partir de 2 études

 

Ulule et KissKissBankBank, leaders « généralistes » du don et du préachat, se sont engagées dans une démarche d’évaluation et de mesures d’impact:  avec des méthodes différentes.

 

*KissKissBankBank a publié en 2016 un document de synthèse ou elle constatait que l’argent levé a contribué à créer des emplois dans 1/3 des projets  (15 000 emplois, dont 13 000 temporaires) et des richesses : 300 M€ de chiffre d’affaires en 2015 dans 5 000 structures, associations ou entreprises commerciales. L’argent collecté grâce aux plateformes a généré un effet de levier dans la moitié des cas. Les financements complémentaires sont des subventions, du mécénat, du sponsoring et, moins souvent, des prêts bancaires.

 

*Ulule met en avant une démarche globale de sa part, afin de mesurer les impacts de son action, qui ne se résume pas à de l’intermédiation financière; à ce titre elle a obtenu la certification B Corp en 2015, un label qui distingue l’effort de responsabilité économique et sociale des entreprises.

L’étude 2018 s’appuie sur 2 000 projets financés. Pour 9 créateurs sur 10, Ulule « a eu un impact déterminant dans la réalisation de leur projet ». Alors que la majorité de projets sont jeunes, modestes et fragiles au départ, ce sont « plus de 1600 emplois durables et 1000 entreprises créées directement grâce aux campagnes », avec une proportion importante de femmes et de jeunes.

Quant aux contributeurs, « ils estiment à 88% que grâce à Ulule ils ont pu soutenir des projets qui ne sont pas suffisamment représentés ailleurs ».
Il s’agit bien de dons en majorité ; mais aussi de préfinancement de projets sous forme de préachats. Ceci est confirmé par la première recherche de grande ampleur, par Bureau, Gautier et al., soulignant, à partir de l’analyse de 3 000 projets financés sur Ulule, que « les projets de crowdfunding hybrides, ni purement commerciaux ni purement altruistes, sont les plus performants; plus un projet reçoit des contributions qui excèdent la valeur des contreparties proposées, plus il a de chances d’atteindre et même de dépasser son objectif de collecte ».

 

⇒ Les particuliers : leurs motivations, les performances recherchées, la perception des risques.

 

♦ Quelques éléments de profil

 

Les épargnants ne constituent pas un groupe homogène : d’un côté, 93% des sondés disent « gérer eux-mêmes leur patrimoine financier », en « se débrouillant seuls » (59%), et estiment à 44% connaitre « bien ou assez bien » les « produits d’épargne ou de placements »; de l’autre côté, on sait que l’immense majorité des épargnants ont un comportement très sécuritaire.

L’ignorance relative des personnes interrogées dans le cadre d’études approfondies montre que « les placements » restent un thème fantasmé. Les comportements ne sont pas en ligne avec les projets.

Enfin, en majorité les citoyens épargnent pour « faire face à un coup dur », et préparer leur future retraite (et « transmettre aux enfants » pour les + de 45 ans). Globalement, leur horizon est court : 5 ans dit l’enquête AMF. Seuls 10% des sondés envisageraient de bloquer une partie de leur épargne 10 ans et plus. Ce sont plutôt des CSP+, donc des personnes qui gèrent plusieurs types d’épargnes.

 

♦ Les motivations

 

Selon une enquête menée en mai 2018 par GVM Conseil pour FPF, la Banque Postale et le Crédit Municipal de Paris, 1 Français sur 7 a déjà contribué à un projet sur une plateforme de financement participatif, mais parmi ceux-ci, 82% l’ont fait en don, contre seulement 15% en prêt et 12% en investissement.

Il ressort de cette étude à proximité de motivation les items : implication locale, aide au développement d’un projet, choix des causes qui tiennent à cœur, savoir à quoi sert l’argent investi, financement de l’économie réelle, diversification de placements, rendement intéressant. Les épargnants sont souvent motivés autant par le soutien qu’ils peuvent apporter à une jeune entreprise que par la plus-value de sortie.

Ces motivations sont freinées le manque d’épargne, l’aversion à la perte, l’insuffisance d’incitations fiscales.

 

♦ Les performances sont peu évaluées du fait de la nouveauté de ce type de financement

-Les performances du don : pas de données précises en France sur l’échec des projets de dons. En revanche quoique les retards dans la remise de la contrepartie soient relativement nombreux, ils seraient assez bien acceptés quand le porteur de projet s’explique.
On remarque un intérêt grandissant du public pour des projets relevant des biens communs. notamment de projets lancés par ou avec le soutien de collectivités territoriales.

-Les performances de prêts :  les taux d’intérêts peuvent évoluer de 4 à 10%, en fonction du risque perçu par l’analyse du dossier de prêt et du secteur d’activité.
La performance actuelle ne peut être mesurée parce que la majorité des prêts sont encore en cours.
 

-Les performances de l’investissement en capital : Il s’agit de cycles longs. Si certains actionnaires ont déjà connu des sorties positives de leur investissement, avec parfois des plus-values importantes, il faudra attendre encore quelques années pour avoir une vision plus globale.

 

Quels sont les risques ?

Le financement d’entreprises est risqué ; c’est pourquoi les plateformes mentionnent les risques de façon claire sur la page d’accueil de leur site, mais également sur les pages Projets et dans le parcours de l’utilisateur.

3 types de risques sont mis en avant : le non-remboursement, le retard de remboursement ou le recouvrement après cessation de paiements de l’entreprise.

Mais le risque est, en partie, compensé par le fait que les taux d’intérêt offerts sont élevés et  que le plafond des prêts est bas (2 000€ maximum).