Le Comité consultatif du secteur financier (CCSF) a pour mission d’étudier les questions liées aux relations entre les professionnels du secteur financier (établissements de crédit, de paiement, de monnaie électronique, sociétés de financement, entreprises d’assurance, entreprises d’investissement, intermédiaires), et leurs clientèles, et de proposer toutes mesures appropriées dans ce domaine sous forme d’Avis ou de recommandations d’ordre général. Composé paritairement de représentants des établissements financiers et de leurs clientèles ainsi que de parlementaires, de personnalités qualifiées et de représentants des salariés du secteur financier, le CCSF constitue un lieu unique de dialogue et de propositions.
Ce rapport a été préparé à la Banque de France.
Le CCSF a mandaté le cabinet Athling pour conduire plus de 300 entretiens et des sessions de travail avec les représentants des principales administrations, organismes publics et acteurs concernés. Il a mené des investigations selon deux types de méthode d’analyse :
* l’une quantitative : 7 sources de données publiques ont été utilisées pour cartographier les entrepreneurs individuels (notamment fichier des entreprises et enquête Sine de l’Insee, données Urssaf pour le volet économique). Les analyses historiques portent sur la période 2008-2023, avec un zoom sur l’année 2023. 4 groupes d’activité sont différenciés : commerce/artisanat, professions libérales, professions agricoles et professions à faible intensité économique.
L’échantillon répondant est composé de 11 établissements de crédit et de paiement qui représentent quasiment l’intégralité du secteur bancaire en France ; le questionnaire quantitatif a été adressé aux établissements le 30 septembre 2024, et les réponses collectées à partir du 25 octobre 2024. Aucune extrapolation ou redressement de données bancaires n’a été effectué
* Et l’autre qualitative : la méthode d’analyse repose sur 3 approches distinctes afin de donner la parole au plus grand nombre d’acteurs au contact des entrepreneurs individuels, et aux entrepreneurs individuels eux-mêmes.
Ce type d’approche est rare ; au mieux on traite des TPE, mais peu des entreprises individuelles en tant que telles, comme c’est le cas ici.
L’entreprise individuelle.
⇒ La définition de l’entreprise individuelle.
♦ La loi API (n° 2022-172 du 14 février 2022) a créé un statut juridique unique de l’entrepreneur individuel dont la définition est inscrite à l’article L. 526-22 du Code de commerce : « l’entrepreneur individuel est une personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes. » Ce statut juridique unique d’entrepreneur individuel s’applique, quelle que soit la profession exercée (hors exercice en société) : commerçant, agent commercial, artisan, profession libérale réglementée ou non réglementée, exploitant agricole. Le dirigeant et l’entreprise ne forment qu’une seule et même personne (absence de personnalité morale).
♦ La loi API vise à créer un cadre juridique, fiscal et social plus simple et protecteur pour les entrepreneurs individuels (EI), y compris les micro-entrepreneurs. Elle propose un possible séparation des patrimoines personnel et professionnel des entrepreneurs individuels. 2023 est la première année pleine d’application de cette loi.
La loi API a créé un point central d’entrée pour le traitement des difficultés des entrepreneurs individuels. Ce point d’entrée est soit le tribunal de commerce pour les artisans et les commerçants, soit le tribunal judiciaire pour l’ensemble des autres professionnels et entrepreneurs.
Il y aussi la possibilité d’ouvrir une procédure de surendettement si l’entrepreneur individuel est uniquement endetté sur le plan personnel. Lorsque les difficultés touchent les deux patrimoines, une procédure collective dite bi-patrimoniale intégrant les deux patrimoines peut être ouverte.
♦ Depuis l’entrée en vigueur de la loi API, il n’est plus possible de créer de nouvelles EIRL et de transmettre, en cas de décès de l’entrepreneur individuel ayant opté pour le régime de l’EIRL, celles qui existent. Toutefois, le régime de l’EIRL demeure en vigueur pour les actuelles EIRL. Si le nombre d’EIRL était d’environ 97 000 à fin juin 2021, il ne serait plus que d’environ 40 000 à fin janvier 2025.
♦ A côté du terme « entrepreneur individuel », tel qu’il a été défini par la loi API, d’autres appellations (professionnels, travailleurs indépendants, micro-entrepreneurs, etc.) peuvent également être utilisées. Un entrepreneur individuel (EI classique, microentrepreneur, EIRL) est toujours un travailleur indépendant, mais un travailleur indépendant peut-être un entrepreneur individuel, ou en société.
⇒ Le poids économique des entrepreneurs individuels n’est pas négligeable.
♦ Les entrepreneurs individuels immatriculés sont au nombre de 7,1 millions à fin 2024. Entre 2008 et 2023, ce nombre a fortement augmenté, passant de près de 2 millions à 6,4 millions, du fait des autoentrepreneurs puis des microentrepreneurs. Les créations et les fermetures sont relativement stables sur la période 2008-2023.
Si 53% des immatriculations ont au plus 10 ans d’ancienneté (dont 37% moins de 5 ans), les cessations sont 76,4% à avoir au plus 10 ans d’ancienneté (dont 63,6% moins de 5 ans.
Les activités les plus fréquentes (top 5) en entreprises immatriculées en 2023, en créations d’entreprise cette même année et en cessations sont 3 activités qui connaissent des turn over importants : la location de logements (une obligation d’immatriculation, alors que ce ne sont pas des entrepreneurs à proprement parler), la livraison à domicile et le conseil pour les affaires, ces 2 dernières activités sont essentiellement des autoentreprises (qui sont nombreuses à ne pas avoir fait de recettes).
♦ Les données transmises par l’Urssaf et la MSA indiquent un peu plus de 3 millions d’entrepreneurs individuels sont cotisants en 2022 ; plus de la moitié d’entre eux ont un revenu annuel inférieur à 10 000€, dont 1,83 million de micro-entrepreneurs avec un revenu
médian de 3 376€.
Environ 50% des entrepreneurs individuels immatriculés ne cotisent donc pas. Une partie d’entre eux n’ont pas généré de chiffre d’affaires, mais n’ont pas atteint la limite de 2 exercices sans chiffre d’affaires, pour conduire à leur radiation automatique ou encore ne le déclare pas pour échapper au prélèvement de cotisations sociales.
Par ailleurs, certaines activités gonflent l’effectif telles les loueurs en meublé (en 2023, 8% des EI enregistrées).
♦ En effet, d’après les données de l’Insee, leur valeur ajoutée brute s’élève à 36,4Md€ (5,6% du total de la valeur ajoutée des entreprises), et l’excédent brut d’exploitation (EBE) 32,9Md€ (12,7% de l’EBE de l’ensemble des entreprises non financières).
Les entrepreneurs individuels et les banques.
⇒ Leurs relations avec les banques.
♦ La loi n’impose pas, pour l’entrepreneur individuel, d’obligation d’ouverture d’un compte bancaire exclusivement dédié à son activité professionnelle. Rien n’empêche donc a priori l’entrepreneur individuel de continuer à utiliser son compte personnel dans une finalité mixte, à la fois personnelle et professionnelle.
Les 2/3 des entrepreneurs individuels (1,9 million au premier semestre 2024 sur un total de 2,9 millions d’entrepreneurs individuels clients) ont ouvert un compte bancaire « professionnel », c’est-à-dire non qualifié de compte bancaire « particulier ».
♦ L’enquête de l’U2P et de l’ISM montre que les entrepreneurs individuels sont plutôt satisfaits de leurs banques, une appréciation corroborée par le faible nombre de réclamations au sein des établissement répondants de l’échantillon.
La plupart des établissements de crédit indiquent disposer d’un médiateur conventionnel qui peut être saisi ; il ne semble connu que de 24% des entrepreneurs individuels classiques, et 20% des micro-entrepreneurs.
♦ Une analyse des taux d’équipement en matière de services bancaires des entrepreneurs individuels montre la prééminence de la gestion de compte et des services en ligne (79% en disposent) . Viennent ensuite les moyens de paiement (41) et les facilités de trésorerie (24) et le recours aux prêts (17) ; les solutions d’encaissement (terminal de paiement) sont les moins utilisées (14).
81% ont un conseiller bancaire professionnel dédié, etc. Le conseil financier paraît un service peu utilisé (63% des entrepreneurs déclarent en disposer, 37% en expriment le besoin).
la Fédération bancaire française (FBF) a proposé de revenir vers le CCSF d’ici fin 2025 après avoir établi un constat avec l’ensemble de la profession bancaire au sujet de la lisibilité des principaux services bancaires utilisés par les professionnels, dont les entrepreneurs individuels. Ce constat lui permettra d’apprécier si un effort particulier est à mener.
⇒ L’accès au crédit
♦ A fin 2023, l’encours de crédits s’élevait à 28,9Md€. les crédits moyen et long terme pesaient pour 83% de l’ensemble, les découverts et les lignes de trésorerie 8%, les PGE 5,6% et les offres locatives (crédit bail et location) 3,1%. Les 2/3 auraient un dossier de crédit en cours de remboursement (93% pour les EI titulaires de comptes professionnels).
310 000 nouveaux financements ont été octroyés en 2023 (11,6% des clients EI) ; 130 000 financements concernaient des crédits moyen et long terme, ou une offre locative.
♦ Le financement de l’équipement (véhicule, matériel, etc.) arrive en 1ére position des objets de financement ; viennent ensuite les besoins de trésorerie, l’achat immobilier puis les travaux.
♦ Les taux moyens pratiqués sont compris entre 3,91% et 4,73%. Ceux du premier trimestre 2024 ont augmenté de 20 à 35 points de base. Les taux pratiqués ne différencient pas les EI des autres professionnels.
♦ L’enquête récente de l’U2P et de l’ISM montre que les EI restent « culturellement frileux » vis-à-vis de l’emprunt bancaire : 31% déclarent ne pas avoir besoin d’emprunt et 15% autofinancent leurs projets (42 et 19% pour les micro-entrepreneurs).
Par ailleurs, en ce qui concerne le financement des besoins de trésorerie, au cours des 12 derniers mois, si 64% déclarent ne pas avoir eu besoin de recourir à l’emprunt, les 36% restant ont financé leurs besoins de trésorerie : par le découvert autorisé (21%), un apport personnel (13%), un prêt court terme (6%), un prêt familial ou d’un proche (5%), une facilité de caisse (4%), un crédit commercial fournisseur (1%).
La mise en concurrence des banques n’a concerné que 18% des demandes de prêt.
Le taux d’acceptation des crédits de trésorerie est très élevé (obtenus en totalité dans 78% des cas, partiellement pour 18% des cas, et pour 4% un refus)
♦ Enfin, en ce qui concerne le financement des besoins moyen-long terme, si 72% déclarent ne pas avoir eu besoin de recourir à l’emprunt, 28% l’ont utilisé via le leasing ou crédit-bail (13%), les prêts bancaires d’investissement (11%) ; par ailleurs, 3% ont freçu des subventions publiques.
Les projets financés sont, par ordre décroissant, l’acquisition de véhicule (53%), l’investissement dans l’outil de production (33%)), le renforcement des fonds propres (7%), le financement du développement commercial (7%), le développement externe (5%) ; l’innovation (5%) et le recrutement (2%).
Le taux d’acceptation en totalité des prêts moyen-long terme est de 82%.
♦ Les encours de microcrédit professionnel s’élèvent à 81,9M€ à fin 2023 et à 110,9M€ fin 2024, où les entrepreneurs individuels pèsent 77,3% du total. En 2023, l’Adie a financé 20 760 demandes de microcrédit professionnel, dont 16 535 (soit 80% du total) pour des EI, parmi lesquels 11 865 micro-entrepreneurs.
Le financement de véhicules représente plus du 1/3 des dossiers.
Près des 3/4 des clients de l’Adie déclarent avoir un compte dédié à leur activité professionnelle.
Les processus de recouvrement des échéances impayées sont similaires à ceux d’une banque ou d’une filiale de financement spécialisé ; le taux de régularisation par cohorte est de plus de 85%. Sur les 815 procédures contentieuses ouvertes en 2024, 43% relevaient des procédures collectives.
⇒ Les crédits moyen-long terme accordés par les banquiers le sont généralement avec une prise de garantie.
♦ Celle-ci peut être consentie par un tiers par une société de caution mutuelle ou par la caution simple ou solidaire d’un membre de la famille ou d’un proche, voire par l’emprunteur qui peut consentir une prise de garantie sur un bien professionnel, qui peut d’ailleurs être le bien financé.
En 2023, les banques ont pris des garanties sur 62% des crédits octroyés aux EI, et au sein de ces garanties, 87,2% (soit 54% du total de crédits) étaient des sûretés réelles, sans qu’il soit possible de savoir si ces sûretés portent sur des biens professionnels ou des biens personnels.
Dans l’enquête menée par l’U2P et l’ISM, les entrepreneurs individuels indiquent que 16% ont accepté d’apporter en garantie une partie de leur patrimoine personnel, et même 35% dans le cas des micro-entrepreneurs.
♦ Le traitement des EI en difficulté
La part des défaillances des EI est comprise entre 8 et 9% du total des défaillances sur la période 2021-2023.
La procédure de surendettement : le dispositif mis en place s’avère cependant complexe et mal compris tant par les usagers que par les institutions en charge de son application. Cela tient notamment aux difficultés d’articulation entre les procédures collectives et la procédure de surendettement.
Les commissions de surendettement considèrent que ce n’est que lorsque l’entrepreneur individuel est radié et qu’il n’a pas d’endettement professionnel, qu’il peut s’adresser alors directement à la commission de surendettement. Toutefois, en 2023, ces mêmes commissions ont déclaré irrecevable 1 967 dossiers dont 863 ne comportaient que des dettes personnelles mais qui étaient en activité au jour de leur demande. Dans le même temps, 121 617 dossiers ont été déposés par des ménages.
Pour en savoir davantage : https://www.lexisveille.fr/evaluation-du-nouveau-statut-de-lentrepreneur-individuel-par-le-comite-consultatif-du-secteur