La rupture conventionnelle, outil bénéfique au salarié et/ou à l’employeur ?


« Le consentement du salarié à la rupture conventionnelle, entre initiative, adhésion et résignation », Centre d’Etudes de l’Emploi, rapport de recherche N°95, décembre 2015

Enquête Dares auprès de 4 502 salariés signataires d’une rupture conventionnelle homologuée en 2011 et une analyse plus fine avec 101 entretiens

 

L’enquête auprès de 101 personnes

Une majorité des ruptures (57 cas sur 101) peut être dite à l’initiative principale du salarié mais dans plus de la moitié des cas pour des raisons conflictuelles ; les autres, principalement à l’initiative de l’employeur, sont fondées principalement sur des motifs économiques.

 

Les ruptures à l’initiative du salarié :

Plus d’un quart des salariés de l’échantillon a déclaré vouloir quitter son emploi parce qu’il n’offrait pas ou n’offrirait plus d’évolution en termes de poste, de responsabilité et/ou de salaire. On doit mettre ces affirmations en lien avec le fait que 69 salariés déclarent qu’il n’y avait eu aucune évolution de salaires depuis plusieurs années, voire, pour 14 d’entre eux, que des heures supplémentaires, des primes et même des salaires n’avaient pas été versés.

Les motifs de départ en lien avec le travail sont également multiples et touchent un peu moins de la moitié des salariés « souhaitant » partir, étant rappelé que 43 salariés interviewés déclarent que leurs conditions de travail ont été modifiées ; les raisons peuvent être liées à des problèmes de relation au travail (avec les collègues et/ou les supérieurs) : 52 déclarent ainsi que l’ambiance était mauvaise ; dans 43 cas, le départ a résulté de conditions de travail physiques ou morales dégradées : changement d’horaires imposés, de management (40 entretiens), forte pression, etc.

Enfin, parmi les salariés qui ont pris l’initiative de la rupture, on peut distinguer deux groupes : ceux qui, sans la rupture conventionnelle, auraient démissionné ou y songeaient sérieusement et ceux qui n’auraient jamais démissionné : 35 salariés à l’initiative de la rupture auraient démissionné à plus ou moins long terme, que ce soit pour des raisons professionnelles ou extra-professionnelles ; les deux tiers n’auraient pas démissionné, malgré une importante souffrance au travail ou une forte envie de reconversion professionnelle.

 

Les ruptures à l’initiative de l’employeur (44 cas)

Les raisons ne sont pas directement observables, et sont saisies à partir des récits des salariés. Dans les entretiens, les salariés évoquent des situations ressemblant à des licenciements pour motif économique, ou pour motif personnel : salarié vieillissant, ayant des problèmes de santé et des absences répétées ou insatisfaction par rapport au travail fourni.

Mais qu’elles émanent du salarié ou de l’employeur, les causes du départ sont souvent combinées, et les raisons de rompre s’entrecroisent et se cumulent : un problème de logement s’explique également par le faible niveau de salaire ; une « mise au placard » peut être liée à une sur-implication familiale du fait d’un enfant malade ; un employeur peut se séparer d’un salarié vieillissant à la satisfaction de ce dernier.

 

La rupture conventionnelle n’a pas apporté de bénéfice au salarié, si ce n’est, pour un tiers d’entre eux (prise d’acte et résiliation judiciaire), et celui de mettre fin à une souffrance et/ou une insatisfaction au travail.

Dans l’enquête qualitative, les auteurs n’ont pas rencontré de salariés arguant d’un vice du consentement, même si certains pouvaient, après coup, dire regretter leur accord. Il en est de même pour l’enquête Dares.

 

L’enquête DARES (enquête auprès de 4 502 salariés)

Si 14% parlent de rupture du fait de l’employeur, 29% disent qu’ils ont été contraints, même si la rupture a été faite « à leur initiative » ; à l’inverse 59% des salariés, ayant fait ce choix,  répondent que l’employeur n’a fait qu’accéder à leur demande :

Le choix en définitive de rompre %

Votre choix

Le choix de l’employeur

Acceptation commune

Uniquement votre demande

63

1

36

Aussi votre demande

40

7

53

Pas votre demande

13

32

55

Ensemble

38

14

48

21% des salariés les plus partants considèrent, pour le regretter certainement, qu’ils seraient restés dans l’entreprise si le dispositif RC n’avait pas existé. Symétriquement, une part significative des salariés qui considèrent que la rupture est à l’initiative de leur employeur aurait démissionné.

 

Le bénéfice des allocations chômage, l’avantage le plus souvent cité, est la raison principale de façon décroissante avec l’adhésion du salarié à la rupture ; la seconde raison concerne l’évitement du conflit ; la troisième raison porte sur les garanties et l’indemnité de rupture qui entourent la rupture conventionnelle.

 

La rupture conventionnelle-démission se retrouve chez 49% des 25 ans et moins, et chez 45% des 26-35 ans, contre 35% chez les 36-45 ans et 26% chez les 46 ans et plus.

Elle est de dix points de pourcentage plus fréquente chez les ouvriers-employés que chez les techniciens-cadres ; à l’opposé, les ruptures qui relèvent du licenciement représentent presque la moitié (47%) chez les cadres (et 35% chez les techniciens) contre le quart chez les ouvriers-employés. La rupture conventionnelle s’apparenterait donc chez les cadres et techniciens à une transaction après licenciement, dans laquelle le consentement du salarié ne porte que sur le règlement des conséquences d’une rupture voulue par le seul employeur.

 

L’enquête a permis d’établir que 34% des ruptures s’apparentaient en 2011 à des licenciements et que 38% s’apparentaient à des démissions.

 

La rupture conventionnelle est tout d’abord un outil de sécurisation, pour le salarié comme pour l’employeur :

– Pour le salarié, elle remplace avantageusement une démission car elle donne droit aux allocations-chômage ; toutefois,  le salarié sûr de retrouver vite un emploi ne pourra être tenté par ce dispositif qu’en raison de la dispense de préavis.

– Pour l’employeur, ce mode de rupture remplace avantageusement les licenciements, car elle dispense de donner des motifs à la rupture, et réduit le risque de contentieux ; il est aussi un dispositif de facilitation des ruptures (rupture rapide sans préavis à exécuter).

Toutefois, vecteur de la mobilité de la main-d’œuvre il fragilise le CDI ; facilitant les sorties du contrat, elle participe à l’alimentation des inscriptions à Pôle emploi et donc à l’augmentation statistique du chômage.