Les reformes des marchés du travail en Europe


« Les réformes des marchés du travail en Europe », Conseil d’Orientation pour l’Emploi, novembre 2015

L’amélioration générale de la situation des marchés du travail masque des trajectoires différentes selon les pays en Europe : certains pays sont revenus peu ou prou à la situation d’avant crise (Allemagne, Royaume-Uni, Suède), d’autres restent dans une situation durablement dégradée, malgré une amélioration récente de la situation de l’emploi (Espagne, Italie, Portugal),  d’autres sont dans une situation intermédiaire : Autriche, Danemark, Irlande, Pays-Bas.

 

La crise n’a fait le plus souvent qu’exacerber les déséquilibres déjà existants :

– Le chômage des jeunes et l’augmentation de la part des jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en scolarité, ni en formation (16,6% en 2014, 2 points de plus qu’en 2007)

– La progression du chômage de longue durée avec un doublement entre 2007 et 2014

– Le temps partiel subi, en hausse rapide dans plusieurs pays (Espagne, Irlande, Italie)

– Un risque accru de dualismes des marchés du travail avec une transition plus lente de l’emploi temporaire vers l’emploi permanent, le maintien ou l’essor de certaines formes d’emplois atypiques (salariés comme les mini jobs en Allemagne ou les Zero hour contracts au Royaume-Uni ou non-salariés, comme les recibos verdes au Portugal ou les para subordini en Italie, et enfin le travail informel)

 

Les réformes ont été les plus nombreuses dans les pays du Sud de l’Europe, notamment en matière de protection de l’emploi et d’assurance chômage, ces pays étant ceux qui connaissaient les plus forts déséquilibres dans le fonctionnement de leur marché du travail et de leur économie ; alors que les pays ayant les moins réformés depuis 2008 sont aussi ceux qui avaient mis en œuvre des réformes de grande ampleur avant la crise.

 

Les réformes ont suivi plusieurs tendances :

– l’assouplissement du droit concernant les contrats de travail, marquée pour les emplois permanents, moins net pour les emplois temporaires ou atypiques

– Une décentralisation de la négociation collective et un assouplissement des mécanismes de flexibilité interne

– Une recherche de modération salariale et de baisse du coût du travail, la mise en place ou une refonte récentes du salaire minimum national dans certains pays

– Des régimes d’assurance chômage et d’assistance plus incitatifs au retour à l’emploi et souvent accessibles à un plus grand nombre

– Un accent mis sur les gains d’efficacité au sein des services publics de l’emploi et la dynamisation des politiques actives du marché du travail

 

Les réformes examinées dans le cadre du présent rapport sont récentes pour la plupart, ce qui rend toute évaluation :

Les pays qui avaient, dès avant la crise, corrigé des déséquilibres structurels sur le marché du travail et activé leurs politiques de l’emploi ont été moins touchés et se rétablissent plus facilement (Allemagne, Royaume-Uni, Autriche, Danemark, Suède).

A l’inverse, les pays, qui n’ont pu, faute de réformes adaptées ou suffisantes, résoudre avant le déclenchement de la crise les principales faiblesses du marché du travail (dualisme, faible taux de participation, structure de l’emploi, niveau et structure des compétences de la population active), ont enregistré une dégradation à la fois plus forte et plus durable de la situation de l’emploi ; la baisse du taux de chômage a été plus tardive ; dans ces pays (Irlande, Espagne, Italie, Portugal), qui sont aussi ceux dans lesquels les réformes les plus récentes ont été les plus poussées, l’amélioration de la situation de l’emploi tient d’abord au retour de la croissance.

 

L’indicateur coût salarial unitaire connaissait avant la crise, des évolutions très contrastées selon les pays ; depuis la crise, parallèlement aux réformes et aux politiques de modération salariale, on constate une correction de ces écarts.

 

Le cas de l’Allemagne :

Dans les années 1990, l’Allemagne a été́ confrontée à un choc massif issu pour l’essentiel de la réunification (perte importante de compétitivité́ et atonie de la croissance) : le taux de chômage est  passé de 5,5% en 1991 à 9,6% en 1997, puis à 11,2% en 2005. Face à cela, l’Allemagne a engagé́ une série de réformes et fait évoluer ses pratiques dans les entreprises pour regagner en compétitivité́ et restaurer la situation de l’emploi, dans un contexte qui plus est marqué par son vieillissement démographique ; les réformes et évolutions ont été́ principalement les suivantes :

– un assouplissement du régime du licenciement pour les entreprises de moins de 10 salariés (le seuil d’application de la loi sur le licenciement est remonté de 5 à 10 salariés)

– le développement d’emplois atypiques à bas coût (mini jobs), ainsi qu’une libéralisation de l’intérim

– une décentralisation importante de la négociation collective de la branche vers l’entreprise, permettant d’intensifier les possibilités de flexibilité́ interne, et une diminution du taux de couverture conventionnelle

– une maitrise du coût du travail (les couts salariaux unitaires sont inférieurs en 2007 au niveau de 2000) grâce à une forte modération salariale et à une diminution des charges sociales en 2007 (compensée par une hausse de 3 points du taux de TVA)

– une révision de l’indemnisation du chômage avec une réduction de sa durée et une fusion entre l’assistance chômage et l’aide sociale conduisant à une diminution du montant d’indemnisation

– une réforme du service public de l’emploi avec une transformation de l’agence fédérale et des exigences renforcées en matière de recherche d’emploi et d’offre valable d’emploi ;

– de nouvelles politiques actives : extinction des retraits anticipes, subventions salariales à la reprise d’emploi par les chômeurs, aides à la création d’entreprise, contrats de réinsertion.

Depuis 2008, les réformes mises en œuvre ont pour l’essentiel consisté à ajuster à la marge les réformes conduites entre 1996 et 2005, la seule réforme véritablement structurante étant la mise en place au 1er janvier 2015 d’un salaire minimum interprofessionnel légal.