Méthodologie : une trentaine d’auditions, et 4 déplacements visités en quartiers prioritaires (Val-de-Reuil, Allonnes, Valenciennes et Nice).
Je propose des extraits de ce rapport riche de nombreuses analyses et recommandations et par ailleurs critique.
Depuis 20 ans, la politique de la ville s’est essentiellement focalisée sur la résorption d’écarts territoriaux plutôt que sur les habitants ; l’accent a été mis sur les bâtiments plutôt que sur les habitants. Or, le constat de la Cour est sans appel : les QPV n’ont pas amélioré leur attractivité.
Voir la note d’analyse d’août 2022 : L’efficacité des aides à l’emploi dans les QPV laisse à désirer.
⇒ Une analyse critique des politiques de la ville.
♦ Un constat : les quartiers populaires ont une fonction de sas : on y déménage autant ou plus qu’ailleurs, par exemple pour devenir propriétaire, notamment à proximité afin de conserver les liens de solidarité. Mais les nouveaux entrants qui les remplacent ont en moyenne un niveau de revenu inférieur. Des habitants de QPV qui quittent un quartier parce que leur situation s’est améliorée, ce n’est pas un échec de la politique de la ville, bien au contraire.
♦ “La politique de la ville et l’ANRU sont loin de représenter le « puits sans fond » que les dizaines de milliards, fréquemment ressassés, laisseraient penser. Les 5,7Md€ dépensés par l’État, et les bailleurs dans les QPV, en 2019, représentent 840€ par habitant. On est donc bien loin de quartiers prioritaires mieux traités que l’ensemble des Français.”
L’insuffisance des services publics « de droit commun » est toujours une réalité : 40% des QPV n’ont pas de crèche, les 2/3 n’ont pas de bureau Pôle emploi à moins de 500 mètres ; on constate 36% de bibliothèques en moins et 50% de médecins spécialistes en moins. Améliorer la vie des habitants reste un enjeu.
♦ Selon la Cour des Comptes, l’État avait fait le choix de ne pas savoir, de ne pas pouvoir évaluer la politique de la ville faute des données indispensables. Pourtant, François Lamy avait pleinement conscience de l’importance de l’évaluation puisqu’il avait placé la création de l’Observatoire national de la politique de la ville, l’ONPV, dès l’article 1er de la loi du 21 février 2014, juste après l’énumération des objectifs.
“Or Alors que jusqu’en 2014, l’ONZUS mobilisait 10,5 ETP, il n’y en a plus que 2,25 ETP actuellement selon les réponses aux questionnaires budgétaires !…On est conduit à penser que si l’ONPV et son rapport annuel au Parlement ne figuraient pas dans la loi, ils auraient sans doute purement et simplement disparus !”
⇒ Quelques axes d’action proposés.
♦ “Bien que cela figure déjà explicitement dans les missions de l’ONPV, il est central de lancer des études de trajectoires. Trajectoires territoriales, mais surtout trajectoires individuelles par une évaluation d’ampleur par suivi longitudinal de cohortes dans les quartiers. C’est le seul moyen pour évaluer les effets de la politique de la ville sur les personnes au-delà de la géographie prioritaire. L’ONPV l’a fait par le passé en conduisant une enquête pluriannuelle auprès d’un millier de ménages. Il ne le fait plus aujourd’hui.” c’est donc au niveau territorial qu’il convient également de faire porter l’effort.
♦ “Il nous apparaît aussi nécessaire de mieux faire connaître les conditions dans lesquelles les communes peuvent demander et faciliter la levée du secret statistique pour évaluer correctement la politique de la ville.”
♦ “La politique de la ville est une politique partenariale impliquant de nombreux acteurs : l’État, les collectivités locales, des associations, les habitants et les entreprises qui sont souvent oubliées. Chaque acteur a son utilité. Chacun doit apprendre à collaborer. L’État peut financer et impulser mais il ne peut pas tout. Les collectivités financent et agissent, sont force de proposition et sont un maillon incontournable. Les associations sont souvent de véritables délégataires de la politique de la ville.”
Nombre d’autres propositions sont encore formulées.
⇒ A propos des associations, acteurs de la politique de la ville
“La politique de la ville a la spécificité d’être très largement déléguée à des associations. Cela permet de gagner en souplesse et en proximité. Cela permet aussi de favoriser l’implication des citoyens dans les solutions en faveur de leur quartier. L’un des constats forts à l’issue de nos auditions et déplacements, c’est la grande fragilité du tissu associatif et la nécessité de modifier en profondeur la relation entre les financeurs et les associations...Concernant les appels à projets, les associations, plus encore que les collectivités, sont les victimes de cette modalité de financement… En outre, les plus petites associations ne disposent pas des effectifs et des savoir-faire suffisants pour monter les dossiers.”
⇒ A propos des entreprises
“L’implication des entreprises est aujourd’hui relativement limitée. Elle peut se matérialiser à travers les clauses sociales ou d’insertion de la commande publique mais qui resteraient loin des objectifs…Plus directement, les entreprises peuvent s’investir dans le Pacte avec les quartiers pour toutes les entreprises (PAQTE) qui consiste à proposer des stages, des formations et des alternances à des jeunes des quartiers pour favoriser leur insertion professionnelle….les entreprises pourraient s’investir dans la fondation qu’envisageait de créer la loi Lamy et qui n’a jamais vu le jour”.
⇒ L’entrepreneuriat, une dynamique d’émancipation pour les habitants.
♦ L’importance de l’entrepreneuriat : “l’entrepreneuriat … incarne d’une manière toute particulière ces trajectoires ascendantes que nous avons voulu mettre en lumière, et le changement de regard que nous appelons de nos vœux sur les quartiers et leurs habitants qui peuvent devenir des apporteurs de solutions…l’entrepreneuriat est susceptible de permettre aux habitants des QPV de lever les barrières économiques, sociales et institutionnelles qui les freinent .”
Si tous les habitants des QPV n’ont pas vocation à devenir entrepreneurs, il faut entendre que l’entrepreneuriat rencontre l’aspiration de plus d’1/3 des habitants ; il peut donc avoir un effet d’entraînement.
♦ Malgré des réussites, la dynamique entrepreneuriale peine à prendre son essor dans les quartiers. Selon l’indice entrepreneurial français, seuls 20% des habitants des QPV participent, à la dynamique entrepreneuriale, contre 30% des Français, alors que leur envie de créer est plus forte. La concrétisation des projets demeure l’un des principaux points de blocage.
Enfin, la pérennisation des projets à 5 ans est plus faible que celle des autres créateurs.
⇒ Les apports de l’entrepreneuriat.
♦ Dotés d’un ancrage territorial fort, les entrepreneurs ont su faire du quartier une ressource pour développer leur activité. Les réseaux locaux proches (famille, amis, voisins) constituent, en effet, un atout au lancement du projet.
♦ Ils contribuent au développement économique des quartiers en restant implantés au sein du quartier. Ils créent de l’emploi et du lien social (notamment les commerces, les activités en ESS…). Ils représentent des « role models », déconstruisant l’idée d’une réussite rêvée mais inatteignable dans les quartiers, proposant une « exemplarité accessible » et levent certaines barrières mentales des habitants. En créant leur propre emploi, ces derniers ont su prendre leur destin en main.
♦ Mais un certain nombre d’entrepreneurs cherche à quitter le quartier, une fois que le projet se développe. En particulier, les porteurs de projets de plus grande envergure, aux ambitions de croissance forte, aspirent à sortir du quartier, sans pour autant rompre les liens avec ce dernier.
♦ Une diversification des profils s’opère, marquée par une féminisation relative, révélée par le nombre de femmes au sein des structures d’accompagnement à l’entrepreneuriat, et le concours Talents des cités.
⇒ Le rapport passe en revue les aides proposées :
♦ Les apports de Bpifrance avec le programme Entrepreneuriat Pour Tous (EPT) : Il a permis la création de 5 000 entreprises en QPV, dont 1 137 ayant bénéficié des programmes d’accélération. En outre, Bpifrance indique avoir détecté et préparé 50 000 intentionnistes et entrepreneurs,
♦ La facilitation de l’accès au crédit bancaire : Bpifrance assure pour le compte de l’État, la gestion du Fonds de Cohésion Sociale (FCS), dont le rôle est de soutenir le développement de la garantie de prêts consentis aux publics en difficulté. Le FCS a, en 2020, garanti 46 259 prêts,
♦ Les prêts d’honneur, à taux zéro, sans garantie, accordés par Initiative France, l’Adie et les microcrédits professionnels de l’Adie,
♦ La Mission French Tech, financée dans le cadre du plan d’investissement France 2030, en partenariat avec Bpifrance, permet à des porteurs de projets issus de QPV de bénéficier d’un financement, ainsi que d’un accompagnement intensif sur plusieurs semaines pour créer leur start-up,
♦ Les dispositifs de droit commun ont également (aides financières de Pôle emploi…),
♦ Des actions spécifiques menées par les élus telles la Maison pour l’initiative économique locale (Miel),
♦ Le « Pacte avec les quartiers pour toutes les entreprises »(PAQTE) ; le programme vise notamment à sensibiliser les jeunes à l’entreprise et à l’entrepreneuriat.
♦ Les grands groupes privés (L’Oréal, TF1) soutiennent et financent certaines associations engagées en faveur de l’entrepreneuriat dans les QPV ; d’autres ont constitué des fonds d’investissement tels Impact Partners ; d’autres ont initié des incubateurs d’entreprises tels Station F et son programme Fighters, destiné aux entrepreneurs issus de milieux défavorisés, pour accompagner et former les porteurs de projet sélectionnés à titre gratuit pendant une durée d’un an.
⇒ Les difficultés pour ancrer l’entrepreneuriat.
♦ Le manque de financement : la relation distante avec les banques, une plus grande difficulté à accéder aux services bancaires, un sentiment d’illégitimité, couplé à un manque de confiance dans le système bancaire (60% ne contactent pas leur banque au lancement du projet, 10 points de plus que les entrepreneurs hors QPV). Les projets sont alors principalement financés à partir de fonds propres,
♦ Ils manquent de compétences entrepreneuriales, et ont une mauvaise connaissance de l’administration, ainsi qu’un manque d’informations sur les dispositifs de développement économique dont le recours aux aides existantes,
♦ Les barrières mentales : ils continuent non seulement à être stigmatisés, mais leurs activités restent également insuffisamment valorisées,
♦ Les entreprises peinent, au cours de leur développement, à s’intégrer au sein du tissu économique local, du fait d’un accès plus restreint au marché et aux réseaux professionnels locaux,
♦ Une sous-représentation des femmes : difficulté du partage entre la vie professionnelle et personnelle, plus grande difficulté à accéder aux financements, manque de confiance en elles.
Pour en savoir davantage : r21-8001.pdf (senat.fr)