Un peu d’histoire autour du terme “entrepreneur” et “entreprise”


"Du chevalier au paternaliste : la fabrique du mot entrepreneur", France Culture du 17 novembre 2017

Pourquoi choisir le mot “entrepreneur” et pas “chef d’entreprise” ? Parce que le terme est spécifiquement français, au point d’avoir été repris dans la langue anglaise. Apparu dès le Moyen Âge, ce mot a d’abord été lié à l’univers de la chevalerie avant de toucher la sphère économique. Associé au risque, à l’action hors-norme, puis à l’argent, le terme se consolide aux XVIIIe et XIXe siècles avec l’industrialisation du pays, mais pas de façon linéaire.

 

Au XIIe siècle, de fait, quand le mot commence à être utilisé régulièrement, il dépend de l’univers de la chevalerie : le “chevalier entrepreneur” dans le roman courtois, est celui qui mène des actions héroïques de combat, visant à défendre une cause juste. Progressivement, les entrepreneurs vont désigner les organisateurs de joutes, de combats codifiés : le terme reste donc lié au chevaleresque, et doit être mis en regard de l’évolution du mot entreprise, qui signifie alors, aux XVe et XVIe siècles, “jeux guerriers”.

Pour autant, l’idée économique ou financière associée au vocabulaire de l’entreprise n’est pas complètement absente de la période médiévale : au XIIIe siècle, l’entreprise est le fait de mener une action sur la base d’un contrat préalable, où le prix est négocié à l’avance. Et du côté de ce qu’on appelle les métiers, c’est-à-dire l’ensemble des artisans, sont “entrepreneurs” ceux qui viennent déroger aux règles qui régissent les différents corps de métier. Ces “entrepreneurs” qui outrepassent leurs droits, par exemple en se tournant vers un marché moins local, sont d’ailleurs visés par ce qu’on appelle la police des métiers.

 

Au XVIIIe siècle, l’entrepreneur définitivement du côté de l’activité économique. De façon schématique, c’est le bien le XVIIIe siècle qui va consolider l’appartenance des termes “entrepreneur” et “entreprise” à la sphère économique, à condition de garder à l’esprit le fait que ces deux mots ont eu des sens très flous et glissants, preuve de l’évolution historique à l’oeuvre. L’entrepreneur” est de plus en plus remplacé par exemple par “l’entrepreneur en bâtiment”. La construction est d’ailleurs le premier domaine où le terme d’entrepreneur s’applique sans ambiguïté, puisque dans les dictionnaires, l’entrepreneur est celui qui conduit un ouvrage en bâtiment. Traditionnellement, cette fonction est dévolue à deux métiers, l’architecte ou l’artisan-maçon.

Le XVIIIe siècle est aussi celui des premières théories économiques, qui s’efforcent de donner corps au terme entrepreneur. Chez le français Cantillon, l’entrepreneur est celui qui s’engage dans une activité par son travail et son argent, mais sans certitude de l’avantage qu’il en tirera. Chez l’économiste autrichien Joseph Schumpeter, l’entrepreneur est celui qui innove dans l’activité économique et qui en tire des résultats : ici, sont entrepreneurs aussi bien un paysan qu’un artisan, ou encore un propriétaire de manufacture.

Dans cet effort de définition de l’entrepreneur, les notions de risque et d’innovation émergent pour imprégner durablement le mot jusqu’à nos jours. C’est également au XVIIIe siècle que l’argent devient une donnée incontournable dans la figure de l’entrepreneur : il investit de l’argent ou cherche à en gagner, ou les deux.

 

Le XIXe siècle ou l’avènement de l’entrepreneur capitaliste. Au tournant du 19e siècle, apparaît l’expression d’entrepreneur “en industrie”. Le sens du mot se complexifie avec l’importance croissante du capital : la recherche du profit se double alors d’un questionnement moral. Le XIXe siècle va progressivement donner ses lettres de noblesse à l’entrepreneur, notamment via la figure du patron paternaliste.

Avec l’affirmation progressive d’une logique capitaliste (investir pour gagner plus en retour), la définition de l’entrepreneur oscille alors entre la conduite d’une industrie et la gestion d’un capital. Une tension encore pertinente aujourd’hui.

 

Notre ami Michel Marchenay est cité comme une référence.

Ce compte-rendu est le fait de Pierre-yves COTTET de l’université d’Angers