Prospective autour de la microfinance avec 3 scénarii


« Le microcrédit en France et en Europe en 2030 : la création d’emploi par la promotion de l’entrepreneuriat », BIT, Document de travail No. 63, non daté

Le microcrédit est un outil qui a fait ses preuves en matière d’insertion professionnelle : l’enquête réalisée en France, à la demande du BIT, de la CDC et de France Stratégie en 2013-2014, montre que 91% des emprunteurs sont insérés professionnellement 3 ans après le prêt ; deux groupes se distinguent :

Le premier se compose des emprunteurs dont l’entreprise est pérenne après 3 ans d’activité (77% des emprunteurs et donc un taux de pérennité supérieur à la moyenne nationale de 66% en 2009 pour l’ensemble des entreprises créées en 2006). Selon l’Inspection générale des finances les excellents résultats obtenus tiennent en grande partie à la qualité de l’accompagnement proposé aux emprunteurs particulièrement pour ceux au chômage ou percevant des minima sociaux au moment de la création.

Le second groupe, ceux dont le projet de création/reprise a échoué (23% des emprunteurs), présente un bilan positif en matière d’insertion professionnelle puisque 14% sont en situation d’emploi  (dont 81% salariés, et qui sont 56% en CDI) et 9% au chômage.

 

En dépit de ces résultats très positifs, l’insertion professionnelle des emprunteurs présente certaines faiblesses (qualité des emplois créés et niveau de rémunération) : 60% estiment que leurs revenus sont d’un niveau insuffisant et 51% que leurs revenus actuels sont inférieurs à ceux qu’ils avaient avant la création/reprise : la moitié de ceux percevant des minima sociaux au moment de la création, les perçoivent toujours 3 ans après.

 

« Avec environ 46 000 microcrédits professionnels par an en France, ce dispositif reste de taille relativement modeste en comparaison des besoins insatisfaits. En effet, l’Inspection générale des finances considère que la demande insatisfaite en matière de microcrédit professionnel est de l’ordre de 190 000 prêts. »

« Les différents modèles organisationnels coexistant en France (organisations de microfinance, réseaux nationaux subventionnés à 100%, etc.) articulent en grande partie leur action évitant ainsi autant que possible une superposition contreproductive de dispositifs ».

 

Quels modèles économiques pour le microcrédit ?

Alors que la France est le pays européen où l’implantation du microcrédit est la plus ancienne, aucun des acteurs de ce secteur, quel que soit son statut ou modèle économique, n’est parvenu à atteindre un équilibre financier global (intégrant le coût réel de l’accompagnement) ; les revenus générés par la distribution de microcrédits couvrent à peine un peu plus du quart de leurs dépenses.

« Cette incapacité n’est pas le fruit d’une mauvaise gestion ou d’un manque d’efficience ».

 

Deux différences essentielles avec les organismes de microfinance des pays du sud :

– l’ampleur du « marché » : les organisations de microfinance des pays du Sud s’adressent à un marché de masse leur permettant de bénéficier d’économies d’échelle (la Grameen Bank compte près de 9 millions d’emprunteurs)

un profil d’emprunteurs différent : les organisations du Sud s’adressent non seulement à un public pauvre mais également à des classes moyennes, alors qu’en Europe, ces organisations concentrent leurs efforts en direction d’une population éloignée de l’emploi et nécessitant le plus souvent un accompagnement conséquent, supposant de recourir aux subventionnements publics et privés ainsi qu’au bénévolat ; l’Inspection générale des finances indiquait que le seul équilibre financier atteignable portait sur l’activité de prêt.

 

Le seul exemple en Europe d’organisation de microfinance atteignant l’équilibre est donné par Microbank en Espagne. Cette organisation compte, en 2013, moins de 15 salariés mais a octroyé 15 678 microcrédits professionnels, et dégagé un profit net de plus de 18M€ pour la même année (profit intégralement réinvesti dans l’activité de la banque).

Mais Microbank ne réalise pas d’évaluation des projets en face-à-face ni d’accompagnement des emprunteurs, cette mission étant assurée gratuitement par les 515 organisations partenaires (associations, collectivités locales, etc.) ; les dossiers de financement reçus par Microbank sont évalués de manière automatisée par la mise en œuvre d’un outil de credit scoring.

Ensuite, l’intégralité de la gestion du prêt (sa commercialisation, son suivi, etc.) est réalisée par la Caixa Bank seule actionnaire de Microbank, mettant à disposition ses agences, ses salariés et son back office en échange d’une contribution financière de Microbank, probablement très proche du coût réel ; ce faisant, Microbank bénéficie des économies d’échelle réalisées par la première banque de détail espagnole.

Enfin, le modèle économique de Microbank repose largement sur la mise à disposition de garantie extérieure pour limiter le coût du risque ainsi que de lignes de crédit préférentielles pour financer ses prêts au travers de partenariats avec le Fonds européen d’investissement (garantie de 590M€), la Banque de développement du Conseil européen (ligne de crédit de 180M€) et la Banque européenne d’investissement (ligne de crédit de 60M€).

 

Autres exemples :

la Roumanie où les Credit Unions pratiquent des taux d’intérêt de l’ordre de 30% pour leur microcrédit professionnels.

celui des 50 Community Development Financial Institutions(CDFI) britanniques qui ont financé 9 300 entrepreneurs (dont 8 400 créations) en 2013 ; ce sont des entreprises sociales, à but non lucratif, qui prêtent localement aux entreprises et particuliers exclus du système bancaire et les accompagnent dans la mise en œuvre de leurs projet ; d’après une étude de leur association nationale, 31% des CDFI parviennent à couvrir leurs coûts opérationnels grâce aux revenus issus de leur activité de prêts et de leurs services, sachant que le capital utilisé pour les microcrédits provient de prêts à des taux préférentiels, d’investissements et de subventions et que les pertes sont en partie couvertes par des garanties ; les CDFI spécialisées sur le microcrédit professionnel dépendent des subventions à hauteur de 30% de leurs revenus.

Cependant, ces informations doivent être considérées avec prudence car elles offrent seulement une vision moyenne de pratiques très hétérogène ; l’ampleur de l’accompagnement varie fortement (certaines l’assurant d’autres le déléguant à des partenaires) et le taux d’intérêt pratiqué pour les microcrédits professionnels varie entre 0 et 20% avec une moyenne de 12% (6% dans les banques traditionnelles).

 

Quels modèles organisationnels pour le microcrédit ?

Le premier modèle de structuration sectorielle s’observe dans la majorité des pays européens où le microcrédit en est encore à un stade précoce de son développement avec un foisonnement d’initiatives et où des modèles économiques très hétérogènes ; on y trouve le Royaume-Uni (CDFI), la Roumanie (Credit Unions), l’Italie, la Pologne.

A l’exception des organisations étant l’émanation d’un grand groupe bancaire, les autres se développent en adoptant généralement une activité centrée sur un territoire précis. Elles établissent des liens de coopération financière et non-financière plus ou moins intenses avec les différentes parties prenantes locales de la création d’entreprise et évitent de se faire concurrence entre elles ; elles apparaissent comme des alternatives crédibles aux acteurs bancaires à condition de pouvoir offrir d’autres services que des microcrédits.

Un autre type de modèle sectoriel est celui faisant des organisations de microfinance des filiales spécialisées des établissements bancaires : les Caisses d’épargne avec Parcours Confiance et CréaSol sont les leaders en France et Microbank, développé par la Caïxa, en Espagne.

le troisième modèle sectoriel est celui développé en Irlande ou en Allemagne où le secteur du microcrédit fait l’objet d’une approche centralisée à l’échelle nationale.

En Allemagne, les organisations dites de microfinance n’en sont pas réellement, dans le sens où elles ne fournissent pas de services financiers ; elles assurent l’évaluation et l’accompagnement des emprunteurs et garantissent les 20 premiers % du risque ;  elles sont incitées à s’affilier à Deutsches Mikrofinanz Institut (Institut Allemand de Microfinance),

son rôle étant d’accréditer, superviser et d’aider ces organisations à développer et professionnaliser leur pratiques ; elles sont aussi en lien avec la GSL (banque coopérative leader en matière de microcrédit qui tient le rôle de prêteur couvrant une partie des coûts organisationnels de ces organisations) dont les financements proviennent du Fonds Allemand de la Microfinance alimenté par des ressources de l’Union européenne et du budget du Ministère du travail. Toutefois le changement d’orientation politique et la forte croissance du taux d’impayé de certaines organisations de microfinance, ont conduit le ministère à remettre en cause ce partenariat.

 

Trois approches du microcrédit peuvent être identifiées :

Le microcrédit alternatif : les organisations de microfinance sont des prêteurs formellement indépendants des banques et des pouvoirs publics et, même lorsqu’elles visent l’autofinancement, elles dépendent des subventionnements publics et privés.

Le microcrédit bancaire : les organisations de microfinance sont des extensions des établissements bancaires et bénéficient de leurs économies d’échelle.

Le microcrédit centralisé : les organisations de microfinance sont seulement en charge de l’accompagnement ; les opérations financières sont assurées par une entité unique exerçant une mission d’intérêt général et ayant un statut public ou privé.

 

Trois scénarii ont été imaginés.

« Ils font varier le rôle des organisations de microfinance, des banques et des pouvoirs publics. Ces scénarii ne sont pas des recommandations mais des descriptions des futurs possibles du secteur du microcrédit. Leur objectif n’est pas de faire consensus mais de susciter des réactions et ainsi de contribuer aux débats nécessaires à la préparation du secteur du microcrédit aux défis qui l’attendent d’ici à 2030. »

 

Scénario 1 Industrialisation et prise de pouvoir des banques

Les autorités européennes et nationales veulent développer rapidement le secteur du microcrédit professionnel en appliquant le « Code de bonne conduite des prestataires de microcrédits » et des critères d’évaluation inspirés des pratiques bancaires. Ces contraintes conduisent les organisations de microfinance à rationaliser leurs pratiques et à réduire leurs coûts, supposant une forte automatisation de la gestion de la relation avec les emprunteurs (évaluation et suivi du remboursement) ainsi qu’une augmentation du taux d’intérêt et des frais de dossier.

Elles parviennent à développer un modèle économique rentable en profitant des économies d’échelle d’une grande banque, en concentrant leurs efforts sur les clients les plus rentables (microcrédits professionnels supérieur à 10 000€) et en proposant une suite de services bancaires (compte de dépôt, moyen de paiement, épargne, assurance) adaptés aux besoins de cette clientèle.

Le secteur du microcrédit perd progressivement de sa spécificité en termes de personnalisation des réponses apportées ; les dossiers les plus complexes et risqués ne sont plus financés.

 

Scénario 2 Professionnalisation du secteur et pouvoirs publics stratèges

Afin d’assurer le développement quantitatif du secteur sans en sacrifier la dimension qualitative, ils appliquent au niveau européen un « Code de bonne conduite » reformé et adapté et des outils de supervision qui prennent en compte l’évaluation du retour social sur investissement ; ils mettent en place un système de mise à contribution fiscale de l’ensemble des établissements financiers (une obligation de consacrer un pourcentage de leurs profits à des missions d’intérêt général). Une entité unique au niveau national est chargée de mettre en œuvre ces nouvelles règles et d’agréer les acteurs du secteur. Cette évaluation de l’efficacité et des impacts des acteurs du secteur est ensuite transmise au Fonds de cohésion sociale et à l’entité qui le gère afin de distribuer ces fonds sous formes de lignes de financement, de garantie et prise en charge d’une partie des coûts opérationnels. Seuls les acteurs les plus efficients et les plus vertueux (en termes de retombées pour la société) sont financés et ont accès aux garanties publiques. Cette approche exigeante permet le maintien d’une diversité d’acteurs répondant à des besoins et favorise la professionnalisation des acteurs ;  ces dépenses apparaissent comme des investissements.

 

Scénario 3  L’autonomisation du secteur de la microfinance

Les banques de détail décident de se désengager en partie de ce secteur qu’elles jugent trop peu rentable ; les organisations de microfinance développent une panoplie complète de services bancaires qu’elles proposent seules ou en partenariat avec ces nouveaux entrants. Ces acteurs constituent une réelle alternative à la banque traditionnelle. Les clients sont nombreux d’une part, car ils sont séduits par ces services et d’autre part, parce qu’une large partie d’entre eux n’a plus accès aux services bancaires ou à des conditions totalement inadaptées à leurs besoins en dépit de la régulation. Ces évolutions font que le modèle économique des organisations de microfinance  nouvelle génération  devient pérenne.

Les pouvoirs publics restent relativement à distance de ces évolutions qu’ils se contentent de superviser et maintiennent leurs outils de garantie, réorientant leurs subventionnements vers l’accompagnement. Les boutiques de gestion, Initiative France et France Active joignent alors leurs efforts pour développer un réseau unique d’accompagnateurs de créateurs/repreneurs d’entreprises et travaillent en partenariat avec les organisations de microfinance et coopératives nouvelles générations.