Vers quelle innovation demain, selon quelles modalités?


"Les nouvelles stratégies d'innovation 2018-2020; vision prospective 2030", Club de Paris des Directeurs de l’Innovation, mai 2018

Méthodologie :  sur 6 mois (novembre 2017 – avril 2018), analyse de plus de 200 études et travaux récents, provenant des grandes institutions économiques et sociales internationales, des analystes de référence et de think tanks internationaux et étude des bilans, plans stratégiques et d’innovation d’environ 200 entreprises et organisations à travers le monde, complétée de benchmarks sur les pratiques des entreprises leaders.

Initialement pour les membres du Club de Paris des Directeurs de l’Innovation, pour la formation et le perfectionnement de leurs cadres dirigeants impliqués dans l’innovation, l’étude est publiée pour un public plus large à l’occasion du 10ème anniversaire du Club.

Le Club de Paris des Directeurs de l’Innovation rassemble près d’une centaine de grandes entreprises et organisations ayant toutes une activité internationale, dont 75 sont leaders mondiales. Les valeurs partagées des membres du Club : humanisme, innovation et progrès, leadership, esprit pionnier, vision globale, ouverture multiculturelle, découverte, échange et partage. C’est aujourd’hui le principal club de retour d’expérience en innovation dans le monde.

Editeur :  European Institute for Creative Strategies & Innovation

 

Si l’innovation peut se développer, c’est non seulement parce qu’elle cale sur l’évolution des marchés (étrangers, développement des classes moyennes et de l’urbain), mais aussi parce qu’elles s’implique plus dans l’humanitaire et dans une culture globale entrepreneuriale qui implique les salariés et les clients.

 

⇒ Le contexte marché :

 

Dès 2030, la population mondiale devrait atteindre 8,55Md d’habitants, soit 1Md de plus qu’aujourd’hui. Cette croissance est très inégalement répartie, puisque concentrée à 90% sur l’Asie et l’Afrique qui progresseront chacune de plus de 440 millions d’habitants. La progression est marginale sur les autres continents et nulle en Europe (baisse de 3 millions d’habitants) entrainant une régression continue du poids relatif de la population européenne, de 9,8% de la population mondiale en 2017 à 8,6% prévus en 2030.

La France, qui représente 0,8% de la population mondiale en 2017 et 2,4% du PNB mondial verra ces valeurs glisser vers 0,74% de la population mondiale et 2% du PNB mondial en 2030.

 

Le phénomène le plus marquant est l’émergence d’une immense classe moyenne mondiale, déjà passée de 800M de personnes en l’an 2000 à plus de 3Md en 2018 et qui atteindra les 5Md en 2030.

la Chine et l’Inde compteront à elles-deux, à l’horizon 2030, un marché de 3Md de personnes et de 60% de la classe moyenne mondiale. Troisième grande zone très porteuse pour la croissance à long terme, l’Afrique, complexe, car segmentée en 54 états, représente un potentiel considérable.

 

De 54% de la population globale en 2017, la population urbaine devrait atteindre 60% en 2030, puis 2/3 de la population globale en 2050. Les grandes villes compteront en 2030 1Md d’habitants de plus qu’aujourd’hui; la richesse se concentre dans les grandes villes, avec les 3/4 du pouvoir d’achat mondial.

 

⇒ L’évolution de l’innovation

 

Le nombre de chercheurs et ingénieurs en R&D dépasse maintenant les 21M dans le monde, et s’accroît de plus d’1,5M par an. Plus de 7M d’articles scientifiques sont publiés par an dans plus de 110 000 revues scientifiques, et plus de 3M de brevets nouveaux sont accordés par an (3,1M en 2016, dont plus d’un million en Chine), ce qui porte le nombre des brevets actifs à plus de 12M. Au total, en 2017, les dépenses mondiales de R&D ont atteint 2 066Md$.

Pour déboucher sur des innovations réellement mises sur le marché, cet effort de R&D doit être relayé par des investissements d’industrialisation et de production de l’ordre de 4 à 5 fois plus importants. Or, depuis la fin des années 90, l’investissement global n’a cessé de baisser dans les pays développés (de 25% du PIB en moyenne à 20% pour les pays développés). 

 

Cette évolution des structures industrielles entraîne un nouvel équilibre, avec de très puissants producteurs de technologies, systèmes, sous-systèmes et équipements, fournissant la majorité des maîtres d’œuvre, moins intégrés, mais de ce fait plus souples et plus rapides.

Un gap s’est creusé entre le monde des technologies et celui de la vie réelle, et se traduit par un taux d’échecs d’innovations qui n’a cessé d’augmenter ces dernières années et atteint des records historiques (80% en moyenne en 2015, 85% en 2016).

Les raisons principales de ce ressenti négatif sont la stagnation des revenus des 3/4 de la population depuis des décennies, la montée des inégalités, et la médiocre réponse des innovations actuellement proposées aux attentes profondes des individus.

Actuellement, si la vision de l’innovation évolue, elle reste toutefois souvent plus techno-centric que human-centric.

 

Vers quelle innovation demain?

 

L’élément le plus structurant pris en compte dans les stratégies d’innovation des entreprises dans le monde entier, concerne le pack de 17 objectifs globaux de développement humain durable, défini par l’ensemble des pays membres de l’ONU à horizon 2030. Des centaines d’entreprises, dont pratiquement toutes les multinationales et la plupart des ONG ont rejoint cette initiative.

Les entreprises les plus avancées sont engagées dans un mouvement global dit « Innovation for a better life », qui vise au recentrage de l’innovation vers le développement humain et le développement durable.

 

Eurostat réalise depuis quelques années une étude annuelle visant à mieux cerner qui sont les acteurs les plus dynamiques de la croissance et de l’innovation en Europe, avec un indicateur clefs : « entreprises de plus de 10 employés ayant fait plus de +10% de croissance par an sur au moins 3 ans ». Le nombre de ces entreprises à l’avant-garde de la croissance et de l’innovation ne cesse de croître : 200 000 estimés en 2017, représentent près de 10% de l’ensemble des entreprises et près de 1,5 million de personnes en plus par an. 

 

En France, les PME s’avèrent très résilientes aux crises et très porteuses d’innovation, mais leur principal problème tient à leurs faibles marges (32% en moyenne, contre 42% pour la zone Euro), liée au plus fort taux de fiscalité et de réglementation d’Europe.  

Les performances à l’exportation de la France sont en effet de plus en plus le fait de très peu d’entreprises, les 3/4 des exportations étant réalisées par moins d’un millier d’entreprises. La part française du marché mondial a été divisée par deux en 20 ans (de 6% en 1998 à 3% en 2017), montrant le mauvais fonctionnement du triptyque innovation – industrialisation – internationalisation pour la plupart des PME.

Pour autant, les petites et moyennes entreprises peuvent se révéler très performantes quand elles arrivent à se coordonner autour d’un champ cohérent de métier formant un cluster. 

 

Le phénomène « startup » connaît un lent déclin amorcé depuis plus de 25 ans aux Etats-Unis, plus récent dans le reste des pays développés où il a été plus tardif.

 

Alors que les secteurs des coopératives et de l’économie sociale et solidaire apparaissent comme les grands acteurs incontournables de la transition humaniste de l’innovation et le vivier de nouveaux modèles d’entreprises intégrant au mieux progrès technologique et progrès humain (de 260Md€ en 2008 à 317 en 2016 et de 4,2% des emplois salariés à 5,5)

 

⇒ Les modalités de développement de l’innovation

 

1 Toutes les grandes fonctions de l’entreprise sont de plus en plus concernées par les problématiques d’innovation :  la R&D,  le marketing,  la finance, la communication, le développement international,  les fusions/acquisitions, la supply chain et les ressources humaines. 

 

2 La nécessité d’une stratégie intégrée de l’innovation et d’une gouvernance adaptée, permet une mise en œuvre plus efficace et plus rapide de l’innovation, au service d’une stratégie de croissance plus ambitieuse. 

 

3 Mais aussi le passage du « made in » au « made with », passant par des alliances, coopérations, joint-ventures, fusions et acquisitions à objectifs coordonnés d’innovation, de production et d’expansion commerciale.

 

4 La participation active des personnels à des projets d’innovation est un des meilleurs vecteurs prouvés d’efficacité de l’innovation et également de fort engagement des salariés dans la dynamique de l’entreprise (équipes autonomes capables de piloter des projets d’innovation d’excellence notamment).

 

5 L’implication indispensable de l’entreprise dans la transition humaniste, sans quoi elle court le risque d’être au moins en partie rejetée par une société de plus en plus exigeante sur la contribution des entreprises au développement humain et durable. 

 

6 Un important défi en cours concerne la co-conception des innovations avec les utilisateurs, pouvant aller jusqu’à la délégation de conception. 

 

De plus en plus de produits et services sont conçus par les utilisateurs (les produits « conçus par des… pour des…). Il y a là une opportunité pour les entreprises de développer des innovations en étroite coopération avec leurs clients et futurs clients, d’autant que ces innovations s’avèrent pratiquement toujours des succès, du fait qu’elles sont par nature adaptés aux besoins de la société.