Méthodologie : cette analyse se base sur l’exploitation de la base Sirene géolocalisée, référençant l’ensemble des entreprises en France. Les livreurs et chauffeurs (taxi notamment) travaillant via des plateformes sont présents dans cette base de données puisqu’ils disposent d’un statut d’auto-entrepreneur (et non employeurs). L’adresse renseignée est la plupart du temps celle de leur domicile (les domiciliations dans des associations ou en CCAS ont été exclues tout comme les sous-locations de licences ; leur nombre est négligeable).
Les travailleurs via des plateformes résidents en QPV, souvent des hommes jeunes, étrangers, en situation précaire, ont explosé en nombre.
⇒ Rappel du contexte pour les travailleurs sur plateformes
Au 1er janvier 2022, plus de 230 000 personnes travaillent par l’intermédiaire de plateformes numériques (livreurs en deux roues, chauffeurs de VTC) en France et sont autoentrepreneurs. Contrairement aux auto-entrepreneurs classiques, ces travailleurs des plateformes ne fixent pas leurs tarifs et n’organisent pas librement leur temps de travail, qui est dicté par un algorithme. Ils ne cotisent pas à l’assurance chômage, et doivent souscrire une assurance pour être protégés contre les accidents de travail, alors même qu’ils y sont particulièrement exposés (les livreurs à 2 roues notamment). Ils ne bénéficient pas de jours de congés payés, de rémunération pour des heures supplémentaires ni même d’un salaire minimum.
⇒ Leur nombre et les évolutions 2019-2022
♦ Au 1er janvier 2022, parmi les 179 200 livreurs en activité en France, 24% résident dans un quartier prioritaire de la politique de la ville ; il en est de même pour 19% des VTC (sur un total de 52 700) ; alors que seulement 5% des travailleurs habitent dans un quartier prioritaire.
En cartographiant le taux de chômage et le nombre de livreurs et de chauffeurs par quartier dans le Grand Paris, constat est fait qu’il y a corrélation en taux de chômage très élevé et flux important des travailleurs des plateformes ; cette observation est identique dans de nombreuses agglomérations Françaises.
Rappelons aussi que 40% des personnes en emploi dans les QPV occupaient en 2020 des professions de «première ligne face au Covid-19».
♦ Entre janvier 2019 et juin 2022, le nombre de livreurs est passé de 35 000 à 180 000. Alors qu’en janvier 2019, 20% des livreurs résidaient dans un quartier prioritaire, ils sont 24% en juin 2022 (43 200). Leur nombre en QPV a été multiplié par 6,7 en trois ans et demi contre 5,2 hors de ces quartiers. Cette forte est hausse est à relativiser avec le fait que certains de ces autoentrepreneurs peuvent ne pas avoir déclaré leur cessation.
Noter que selon une étude de l’institut Nielsen, le nombre de repas livrés entre 2019 et 2020 a augmenté de 40%. Noter enfin que 33% des ménages résidant hors d’un QPV disposent d’au moins un vélo contre seulement 16% dans les QPV.
L’évolution du nombre de chauffeurs VTC est plus modérée, passant de 33 000 à 53 000 ; alors que 21% résidaient dans un QPV en janvier 2019, ils sont 19% en juin 2022. Le nombre de chauffeurs dans les quartiers prioritaires a été multiplié par 1,5 contre 1,8 hors de ces quartiers.
Noter aussi qu’entre 2019 et 2020, le revenu mensuel des taxis et VTC a, en effet, diminué de 32%.
Noter encore que les quartiers où la part de chauffeurs VTC parmi les travailleurs est la plus élevée, sont aussi ceux où les ménages ont le moins tendance à avoir une voiture et un emplacement pour la garer.
⇒ L’évolution sur d’autres territoires qu’en Ile-de-France
♦ Alors qu’au niveau national 24% des livreurs résident dans un QPV, cette réalité est bien plus marqué dans certains EPCI : 57% dans la Communauté d’Agglomération de Blois Agglopolys, où la part des livreurs résidant ce QPV est 10 fois plus élevée que celle de l’ensemble des travailleurs ; autre EPCI, celles de Béziers, Mulhouse, Roissy, Poitiers, Belfort, Évreux, Creil, Lille et Beauvais (entre 42 et 57%), avec une surreprésentation allant de 1,6 à 8,9.
Les quartiers prioritaires, où le nombre de livreurs par travailleur est le plus élevé, sont majoritairement situés dans des EPCI de taille moyenne.
Ce phénomène est moins prononcé pour les chauffeurs VTC : si à l’échelle nationale, 19% résident dans un QPV, cette part est de 43% dans les communautés d’agglomération de Creil Sud Oise, 36% dans celle de Roissy Pays de France et 32% dans celle de Melun Val de Seine.
Les EPCI où les chauffeurs VTC sont les plus présents dans les QPV sont principalement localisés en 2éme couronne d’Île-de-France, situés notamment à proximité des 2 aéroports Orly et CdG. Près d’un chauffeur sur trois réside dans un quartier prioritaire dans les métropoles de Lille (31%) et Strasbourg (29%).
⇒ Leurs profils
Une enquête Ipsos réalisée pour Uber Eats, entre 2019 et 2020, révèle que 92% des livreurs sont des hommes ; 54% ont 25 ans ou moins ; 40% sont étrangers ; 70% ont une situation professionnelle précaire, utilisant Uber Eats en complément d’un revenu déjà existant.
Ce sont dans les quartiers où le taux de pauvreté, de fragilités économique (inactivité, chômage, travail à temps partiel) et la part d’immigrés sont les plus élevés qu’il y a le plus de livreurs parmi les travailleurs.
Sur l’ensemble des quartiers pour lesquels l’information est disponible, environ 20% des actifs en emploi ayant au moins un diplôme Bac+2 sont ouvriers ou employés. Le taux de déclassement est plus fort parmi les immigrés (31%) que les non-immigrés (18%) ; de fait, les immigrés occupent moins fréquemment un emploi en adéquation avec leur niveau de diplôme.
Le déclassement professionnel y est le plus prononcé : 22% pour les non-immigrés et 41% pour les immigrés alors qu’il est respectivement de 17% et 28% dans les autres quartiers.
Pour en savoir davantage : L’ubérisation des quartiers populaires – Le Compas