Un regard sur ces pratiques informelles qui jouent un rôle économique et social important.


"Changer de regard sur l’informel dans les quartiers populaires De la mécanique « sauvage » à la mécanique de rue", Metropolitiques, lu novembre 2020

Ces réflexions s’appuient sur une ethnographie de la mécanique dans des friches industrielles franciliennes en reconversion urbaine depuis 2016 (Jacquot et Morelle 2018) et depuis 2019 sur une enquête dans trois quartiers prioritaires de la politique de la ville, en Seine-Saint-Denis, dans les Hauts-de-Seine et dans le Val-de-Marne, associées à des entretiens auprès d’acteurs confrontés à la gestion de cette activité (collectivités, bailleurs sociaux, association, police).

 

Les mécaniciens de rue proposent toute une gamme de réparations, sur la carrosserie, le moteur et les pièces ou encore sur les circuits électriques.

Ces services s’adossent à des compétences acquises très souvent au long de parcours professionnels et migratoires (par l’apprentissage dans des garages et des casses de villes africaines ou via son exercice dans le cadre salarial ou d’interventions informelles en France).

Outre leurs compétences techniques, les mécaniciens possèdent des savoir-faire en termes de gestion des espaces de réparation, d’approvisionnement en pièces et de fidélisation de la clientèle. Ils soulignent leur engagement dans une activité qu’ils décrivent comme honnête et permettant un usage pérenne de véhicules.

Enfin, ils vont à la rencontre de leurs clients sur les espaces de panne ou à leur domicile. Lorsque des espaces en friches sont finalement mis en chantier puis des constructions achevées, les mécaniciens se déplacent par petits groupes, sur des parkings ouverts d’habitat social de communes voisines ou plus éloignées.

 

Ce travail répond à une demande de réparation à coût réduit dans un contexte de ressources limitées (dépendance à la voiture dans les quartiers souvent enclavés ou tributaires de transports en commun en travaux, en retard, surchargés, fermés la nuit). Ensuite, la voiture, aussi abîmée soit-elle, est investie de significations multiples (réussite sociale, vecteur d’autonomie, patrimoine en contexte de précarité). 

 

Des dispositifs à inventer et à « bricoler » pour la formalisation de l’activité ?

Les politiques publiques à l’égard des activités informelles, menées aux échelles tant nationales que locales, sont plurielles : répression, formalisation, tolérance. Des collectivités soutiennent le développement de self-garages ou de garages solidaires, portés par des associations ou des entreprises relevant de l’Économie sociale et solidaire.

 

La mécanique de rue peut être appréhendée du point de vue de travailleurs informels ou du point de vue des clientèles aux revenus limités. Certaines démarches vont privilégier la délivrance d’un service à bas coût, favorisant la mobilité; d’autres démarches proposent une réparation de véhicules par d’anciens mécaniciens de rue travaillant via des dispositifs d’insertion, sous la forme de garages solidaires, avec pour enjeu la reconnaissance des savoir-faire de personnes souvent précarisées .

 

La formalisation n’est pas toujours une demande explicite de la part des mécaniciens. Si certains se disent prêts à payer des taxes, rares sont ceux réclamant un statut de salarié, venant pour certains de pays où l’informel est généralisé.

 

À l’inverse, les démarches d’accompagnement à l’entrepreneuriat ne sont pas dénuées d’ambiguïtés. Des semi-formalisations sont à l’œuvre dans d’autres domaines que la mécanique, telles que la cuisine, la couture ou la récupération-recyclage via des dispositifs associatifs et coopératifs, proposant par exemple d’utiliser officiellement des locaux, de facturer via une association déclarée, sans exiger de renoncer pleinement à l’exercice informel de l’activité dans toutes ses dimensions. Du fait de catégories juridiques ou fiscales pas toujours adaptées à la précarité de l’activité ou des personnes, la prise en compte de cette économie, de ses travailleurs et de sa dimension sociale invite à l’expérimentation, en imaginant des systèmes de mutualisation des compétences, des locaux et des instruments, ou en envisageant des formes de tolérance des activités informelles.

 

Pour en savoir davantage : https://metropolitiques.eu/Changer-de-regard-sur-l-informel-dans-les-quartierspopulaires.html