Une typologie en 6 catégories des chefs d’entreprises du bâtiment


"Comprendre la diversité des entrepreneurs du bâtiment", Constructif, N°47, juin 2017

“Laboratoire d’idées intégré au sein de la Fédération Française du Bâtiment, Constructif ouvre aux chercheurs, aux experts et aux acteurs de terrain une tribune pour s’exprimer sur les grandes questions de société. Espace de débat, d’analyse et d’échange d’expériences, Constructif offre aux décideurs un outil pour éclairer leur réflexion et les aider à faire des choix. Vigie du monde du Bâtiment, Constructif scrute les mutations en cours et à venir dans le champ économique et social pour contribuer à l’élaboration de stratégies à moyen et long termes.”

 

“Les enquêtes réalisées depuis 1989 par la Fédération Française du Bâtiment auprès de ses adhérents ont permis d’identifier six types de chefs d’entreprise et de dégager deux grands modèles. Des données essentielles pour adapter les services de l’organisation professionnelle aux attentes de ses membres.”

 

Cette typologie rend compte de la diversité des logiques de comportement des chefs d’entreprise. Elle est construite à partir de quatre critères sociologiques.

  1. L’identité, c’est-à-dire la manière dont le dirigeant se définit, les rôles qu’il assume dans l’entreprise, la signification de l’entreprise pour lui, les objectifs qu’il poursuit.
  2. Les valeurs que l’entrepreneur met en avant dans son métier, qu’on reconnaît à travers ses facteurs de satisfaction et les atouts qu’il développe pour son entreprise.
  3. Les qualités et les compétences qu’il mobilise pour exercer son métier.
  4. Les règles du jeu « légitimes » aux yeux de l’entrepreneur dans sa profession et dans le secteur.

 

Six types de chefs d’entreprise :

 

« L’artisan local » est généralement créateur de son entreprise après une période d’apprentissage et de salariat, il est généraliste dans son métier. Peu soucieux de développer son activité, il cherche avant tout à s’assurer un revenu suffisant. Homme-orchestre faisant peu confiance aux outils d’organisation, il cherche à rester proche et maître de ce qu’il dirige. Sa zone de chalandise est réduite. Il répond donc à toutes les demandes, comptant exclusivement sur son implication personnelle et la recommandation de ses clients.

 

« Le spécialiste » partage des traits de l’artisan local (contrôle personnel de toutes les fonctions, implication sur les chantiers, objectifs de croissance limités…). Il maîtrise en outre un savoir-faire particulier ou de haut niveau qui lui permet de se positionner sur des marchés d’excellence et/ou de niche. Sa zone de chalandise peut donc être locale, nationale voire internationale. La fierté liée à sa maîtrise l’amène à mettre en évidence ses réalisations.

 

« Le “famille” », figure emblématique de la profession des cinquante dernières années, vit son métier comme une responsabilité, celle de faire perdurer un capital familial. Il s’attache à valoriser le sérieux, l’honnêteté et la fidélité attachés à son nom. La notoriété et la qualité de son réseau relationnel sont des atouts forts. La relation qu’il a créée avec ses salariés peut être qualifiée de paternaliste (sans aucune connotation négative). Elle l’empêche bien souvent d’ajuster sa masse salariale au contexte économique, avec tous les risques que cela comporte pour l’entreprise.

 

« L’organisateur », souvent passé par les écoles de commerce ou ancien cadre dans un grand groupe, est avant tout un pilote qui s’intéresse peu à la dimension technique. Il aime organiser l’entreprise autour d’objectifs de rentabilité. Son goût pour le marketing l’amène à anticiper les évolutions de marché et à structurer une offre en conséquence. La diversification des activités et la croissance font partie de ses objectifs.

 

« Le technicien » s’attache à formaliser des process dans l’entreprise qui vont générer des gains de productivité. L’investissement dans la maîtrise technique lui permet d’être compétitif et de mettre en avant des avantages pour le client : coût, suivi, qualité. Il aime les chantiers qui sortent de l’ordinaire, lui permettant de montrer la maîtrise technique de son entreprise. Il est souvent en recherche de diversification, autant par goût du challenge que pour rentabiliser les investissements.

 

« Le businessman » est apparu plus tardivement dans la typologie (2000). Le plus souvent extérieur au bâtiment, il se définit par sa capacité à faire des affaires. Il se déplace donc constamment sur les marchés et peut être amené à quitter le secteur si la rentabilité n’est pas suffisante. Il ne s’investit personnellement ni en technique ni en organisation, mais suit attentivement les évolutions de la demande. Son objectif principal est d’augmenter la valeur financière de l’entreprise.

 

Deux grands modèles professionnels

Cette analyse permet également de mesurer l’adéquation entre entrepreneurs et segmentation du marché, en mettant en évidence deux grands modèles professionnels.

 

Le premier, qu’on appelle modèle relationnel, regroupe les artisans locaux, les spécialistes et les « familles ». Son succès repose sur la capacité à construire dans le temps un tissu relationnel fiable, basé sur la confiance et générateur à la fois de fidélité et de recommandation par les clients. Il repose donc sur des investissements commerciaux et de conception relativement faibles a priori. Mais cumulés sur plusieurs années, ceux-ci constituent un capital mobilisable pour assurer la viabilité d’un cycle économique original : mise en relation, vente, conception, production. En effet, intrinsèquement, l’offre ne préexiste pas à la demande. Le chef d’entreprise « pioche » dans des compétences détenues dans l’entreprise pour formaliser une offre adaptée à chaque client. Dans ce modèle, le client achète une promesse de résultat, et non un produit tout fait.

 

Le second, appelé modèle industriel, regroupe organisateurs, techniciens et businessmen. L’analyse du marché va conduire l’entrepreneur à préparer et proposer une offre de prestation. Il va donc investir dans des procédures, des compétences et des savoir-faire lui permettant d’être compétitif. Dans ce modèle, la conception de l’offre va précéder la demande. On retrouve donc un cycle plus classique : marketing, conception, vente, production. Ce modèle est celui de la garantie, du respect de la prestation définie par un cahier des charges, des normes et de la responsabilité contractuelle de l’entreprise. À l’heure de la normalisation, de la réglementation et du mémoire technique, il est parfaitement adapté.

 

“Il n’y a donc pas de bons ou de mauvais types d’entrepreneurs, mais des profils bien ou mal adaptés aux marchés auxquels ils se destinent.”

 

Cette typologie éclaire la relation aux compétences et à la technicité des métiers du bâtiment. Alors que l’artisan local peut se contenter d’une technicité suffisante tant que le client est satisfait, le spécialiste sera nécessairement en pointe pour rester dans l’excellence. L’organisateur ajustera ses compétences internes aux anticipations de marché, tandis que le technicien recherchera les gains de productivité que telle ou telle innovation technique peut lui procurer.