Quid du burn out pour les chefs d’entreprise face à la crise sanitaire ?


"2éme enquête nationale Covid-19 : entrepreneuriat Français, relance économique et vaccination", Amarok et Labex Entreprendre, février 2021

Méthodologie : l’observatoire AMAROK mesure le risque de burnout des chefs d’entreprise depuis plus de 10 ans. Pour faciliter les comparaisons dans le temps et dans l’espace, l’échelle de mesure utilisée est toujours la même, le BMS-10 de MalachPines (2005). La mesure évalue à quelle fréquence de 1 (jamais) à 7 (toujours), un individu ressent un degré d’épuisement selon trois aspects :
– L’épuisement émotionnel qui correspond au sentiment d’avoir de plus en plus de difficultés à répondre efficacement aux sollicitations de son environnement professionnel. (4 items : impuissant, j’en ai marre, désespéré, déprimé),
– L’épuisement mental qui exprime un état d’affaiblissement et d’abandon (3 items : coincé, déçu et sans valeur),

-L’épuisement physique qui exprime les plaintes d’un individu liées à son état physique (3 items : difficultés à dormir, fatigué et physiquement faible).

 

-Un échantillon pour la 1ére enquête Nationale Covid-19 (2020) réalisée en ligne du 15 avril au 21 avril 2020 en partenariat avec le réseau consulaire français. Il est composé de 2 297 répondants chefs d’entreprise  dont 39% de femmes et un effectif salarié moyen est de 5,55.
-L’échantillon pour la 2éme enquête Nationale Covid-19 (2021) est composé de 1 065 répondants dont 42% de femmes et un effectif salarié moyen de 7,3. L’enquête a été réalisée en ligne du 11 janvier au 2 février 2021.

Pour comparer avec la période ante-covid, l’étude utilise un échantillon de mars 2019 d’une enquête réalisée par la Fondation d’entreprise MMA des Entrepreneurs du Futur interrogeant avec l’Observatoire AMarok de 1 490 chefs d’entreprise au téléphone (42% de femmes et un effectif moyen de 6,1 salariés).

 

 

L’intérêt de cette enquête est de proposer, dans le temps, une mesure de qualité sur le mental des chefs d’entreprise “indépendants”, pour la plupart des TPE/PME, noyau dur de l’entrepreneuriat ; alors que les nombreuses enquêtes de conjoncture actuelles sont beaucoup trop disparates. Il est étonnant qu’aucune initiative socio-professionnelle ou gouvernementale n’ait pas vu le jour pour proposer à minima un tronc commun d’enquête qui aurait enrichi considérablement l’approche de ces chefs d’entreprise, pour mieux situer leurs spécificités en vue de les accompagner de façon plus efficace.

 

Le suivi de chefs d’entreprise dans la durée permet d’observer leur degré d’épuisement dû notamment au constat d’impuissance face à cette crise sanitaire, mais aussi l’attachement qu’ils portent à leur entreprise et à leurs salariés.

⇒Une hausse du burn out du fait des confinements

La crise de la Covid-19 et le confinement a induit une hausse significative du niveau de burnout : une mesure de 2,89 en mars 2019 à 3,39 en avril 2020 (le 1er confinement), puis 3,58 en janvier/février 2021 (le second confinement), la mesure s’étalant de 1 (jamais) à 7 (toujours).

 

On passe, en termes de seuil d’alerte, du burn out de 17,5% des répondants en mars 2019 à 34,7 en avril 2020, et 36,8% en janvier-février 2021, soit un doublement.

La présence de burn out sévère passe pour sa part de 1,75% de la population interrogée à 9,18 puis 10,41; elle a donc connu une forte hausse pendant le confinement au regard de 2019, demeurant toutefois faible dans l’échantillon total.

⇒ Les entrepreneurs ont difficulté à transformer leurs brain storming en opportunités de marché.

Les crises mettent les entrepreneurs à double contribution : d’une part, ils doivent être vigilants pour éviter les menaces, d’autre part, ils doivent être vigilants pour saisir les nouvelles opportunités qui résultent de la crise.

 

La vigilance entrepreneuriale mesure la capacité d’un entrepreneur à saisir des opportunités. Cette capacité se déroule en trois phases, une première phase de recherche d’information, puis une phase de connexion pour engendrer des idées nouvelles et enfin l’ultime phase d’évaluation et de jugement permettant de trier les idées pour en faire de vraies opportunités. La phase d’évaluation est celle qui fait passer l’entrepreneur d’un état de vigilance (recherche et connexion) à une véritable vigilance entrepreneuriale (le stade des opportunités).

 

Pendant la crise de la Covid-19, la structure de la vigilance entrepreneuriale s’est distordue. Constat est fait d’une hypervigilance en termes de recherche d’informations (indice de 3,619 vs 3,303 pour la période antérieure à la crise sanitaire) ; alors que les dimensions connexion (3,219 à 2,953) et surtout évaluation (3 446 à 2,856) ont été anormalement atrophiées, laissant supposer que les entrepreneurs en plein confinement ont du mal à voir et à évaluer les opportunités.

⇒ Une forte montée du sentiment d’impuissance

Le fait le plus marquant de l’épuisement des chefs d’entreprise en période de confinement est la forte poussée du sentiment d’impuissance, ce qui contrevient à l’essence même de l’esprit entrepreneurial, qui se caractérise généralement par un sentiment de maitrise du destin. l’impuissance a bien un effet négatif sur la dernière étape de la vigilance entrepreneuriale, qui est l’étape cruciale, celle où l’entrepreneur transforme l’information en idées et les idées en opportunités. Ce sentiment s’apaise quelque peu lors du second confinement.

 

“Se sentir en avoir marre, déprimé, déçu, et donc difficulté à dormir” a progressé pendant les confinements, mais bien moins que l’impuissance ; par contre l’atteinte au physique et à la fatigue seraient moins présente qu’en 2019 (mais pour ce dernier item, il y a nette hausse entre le 1er et le second confinement).

Les 3 degrés d’épuisement (émotionnel, mental et physique) ont des mesures moyennes cumulées proches.

⇒ Le dépôt de bilan est plus nocif que la perspective de contracter gravement la maladie de la covid-19

“Nous avons demandé aux dirigeants de PME d’estimer la probabilité qu’ils tombent gravement malade dans le cas où ils seraient infectés par le coronavirus au cours des trois prochains mois et sur le plan économique, leur probabilité de déposer le bilan à l’issue de cette crise ?”

Parmi les agents qui font face à l’incertitude, la figure de l’entrepreneur est certainement l’une de celle qui est la plus exposée : incertitude de ses revenus, incertitude liée à son exposition patrimoniale, perte de l’entreprise.

 

Un lien positif important entre le risque de dépôt de bilan et le burnout a été démontré. Le lien positif entre le risque de maladie grave liée à la Covid19 avec le burnout est également significatif.” En comparant les effets, c’est le risque de dépôt de bilan qui est le plus fort, montrant à quel point le chef d’entreprise est attaché à son entreprise. ..L’empêchement de leur travail et la perspective de l’anéantissement de leur entreprise sont pendant cette période critique les aspects les plus fortement liés au risque d’épuisement professionnel… Le désengagement des dirigeants semble difficilement conciliable avec la fonction de chef d’entreprise.”

⇒ La vaccination protectrice au-delà de la protection personnelle du dirigeant, impacte la pérennité des entreprises et celle des emplois salariés.

L’intention de se faire vacciner est positivement et significativement liée à l’âge, à la probabilité d‘attraper gravement la maladie du dirigeant. Mais des variables d’ordre économique ont aussi une influence. Ce sont l’engagement patrimonial ainsi que la taille de l’effectif de l’entreprise : plus le dirigeant a de responsabilités sociales en termes d’emploi et de capital, plus la propension à vouloir se faire vacciner est forte.

 

De fait, plus les salariés sont nombreux dans une entreprise, plus la probabilité de contamination est forte. Et en ce qui concerne la patrimonialité, plus le dirigeant détient une position forte dans le capital (majoritaire ou totalité), plus il a un rôle clé dans l’entreprise, plus il se dit incité à se prémunir du virus par le vaccin.

⇒De la ‘main tendue’ à la ‘main saisie’…

“Une main tendue ne suffit pas. Encore faut-il qu’elle soit saisie ! Pour résoudre ce problème, il est nécessaire de fournir un chaînon manquant entre la demande latente du chef d’entreprise en difficultés et l’offre de dispositifs de soutien ou d’écoute.”

 

2 méthodes, complémentaires peuvent être envisagées. La première est la stratégie de sentinellisation de l’écosystème entrepreneurial (la démarche du réseau APESA-France). Les sentinelles exercent un rôle de « capteurs » de proximité qui permettent en cas de détection d’un danger de lancer une fiche d’alerte en précisant le signalement du dirigeant, après s’être assuré de son consentement.
Une autre méthode consiste à interroger le dirigeant directement, qu’il soit ou non en souffrance. Pour ce faire, il est nécessaire de ne pas se focaliser sur la seule souffrance mais d’élargir la question à la santé globale et de dépister le cas échéant celles et ceux qui sont en difficultés, voire en détresse.

 

L’approche Amarok : l’Observatoire expérimente un outil numérique d’évaluation de la santé des dirigeants avec un système intégré de dépistage du risque du burnout : en interrogeant les dirigeants sur les évènements de vie professionnelle positifs et négatifs auxquels ils ont été confrontés, ces derniers obtiennent des scores de stress et de satisfaction au travail. En fonction du résultat global, le chef d’entreprise est guidé vers des tests rapides et appropriés, et si et seulement si c’est nécessaire, lorsqu’un seuil d’alerte est atteint, le dirigeant reçoit une invitation à contacter un service d’écoute. Un questionnement qui induit une prise de conscience vaudra toujours mieux que la simple évocation « si vous n’allez pas bien, contacter ce numéro »

 

Pour en savoir davantage : 21-03 Amarok enquête covid.pdf