Le point de vue de la Cour des Comptes sur les CCI et les CMA.


"Les chambres de commerce et d’industrie et les chambres de métiers et de l’artisanat : des réseaux en mutation, un avenir à mieux définir", Cour des Comptes, mars 2021

Présentes sur l’ensemble du territoire, les CCI représentent environ 2,9 millions de chefs d’entreprise de l’industrie, du commerce et des services, qui élisent tous les cinq ans 4 400 pairs chargés de l’administration de ces 109 établissements publics administratifs nationaux (124 CCI) dont les plus anciens remontent au XVIIe siècle. Elles emploient à cette fin 18 000 salariés et disposent de budgets totalisant près de 3 Md€ par an.

Outre l’organe central CCI France, ce sont 13 CCI de région (CCIR) métropolitaines et 5 outre-mer, 84 chambres de commerce et d’industrie territoriales (CCIT), 10 CCI locales (CCIL) et 6 CCI départementales d’Île-de-France n’ayant plus le statut d’établissement public et absorbées par des CCIR  et 6 CCI de collectivités d’outre-mer et de Nouvelle-Calédonie.

Les CMA, avec 86 établissements publics administratifs nationaux et 2 500 élus, représentent, quant à elles,1,3 million d’artisans. Elles emploient 10 000 salariés et leurs budgets représentent un montant total de 0,9 Md€ par an.

Outre CMAFrance, CMA France, organe central, ce sont 64 CMA départementales (CMAD), 2 chambres de métiers (CM), 2 CMA interdépartementales (CMAI), 9 chambres régionales de métiers et de l’artisanat (CRMA)  auxquelles sont rattachées des CMAD/CMAI qui subsistent comme établissements publics, 4 CMAR (chambres de métiers et de l’artisanat de région) métropolitaines, établissements régionaux uniques issus de l’absorption de CMAD et de CMAI et 5 CMAR outre-mer.

 

Il semblerait que les pouvoirs publics aient oublié la grande difficulté ou inhabitude des TPE à rémunérer les appuis proposés par les compagnies consulaires, voire demandés (notamment celles en création d’entreprise considérant les consulaires comme étant gratuitement à leur service du fait de leur statut d’établissement public) ; par contre, la plupart des TPE acceptent de rémunérer des conseils souvent perçus comme quasi obligatoires tels les experts-comptables ; enfin, une minorité, soit en grand danger, soit bien plus inscrites dans une recherche de forte croissance, acceptent de payer des conseils extérieurs bien installés sur le territoire, avec le plus souvent peu de frais de structure.

 

Les budgets ont beaucoup décru, notamment pour les CCI ; quelle organisation se profile et quelle capacité à réinventer un nouveau modèle économique ?

⇒ Quelles missions de service public ?

La loi n’est pas toujours explicite sur ce qui constitue le service public rendu par les chambres. Afin d’éviter de se voir reprocher d’utiliser la ressource fiscale pour financer des activités concurrentielles, les CCI ont mis en place une comptabilité analytique qui permet de distinguer les missions et les actions relevant du service public (l’appui aux entreprises principalement) et financées par la taxe (TCCI) et celles, de nature concurrentielle, qui doivent s’autofinancer (la formation, l’appui aux territoires et à la gestion d’équipements).

 

En ce qui concerne la délimitation des missions de service public pour les CMA, celle-ci n’est pas plus aisée. De plus, l’absence de comptabilité analytique et de suivi de la répartition de la taxe (TCMA) entre les différentes missions ne donne aucune indication sur leur nature.

 

C’est le contrat d’objectifs et de performance (COP) signé entre l’État et les consulaires en 2019 pour les CCI et en 2020 pour les CMA, qui conduit à identifier les missions dites prioritaires ayant vocation à être financées par la taxe.

⇒ Les ressources

♦ Les CCI ont enregistré une diminution globale de leurs produits de 26% entre 2010 et 2019, et même de 28% pour les produits d’exploitation. Elles sont parvenues à accompagner cette baisse par une diminution comparable de leurs charges d’exploitation et de leurs charges globales (- 26%).

Ce recul résulte, pour partie, de la forte baisse du produit de la TCCI à la suite de son plafonnement à partir de 2013 puis de son abaissement sensible ; pour autant, le poids de la  taxe dans le chiffre d’affaires est resté relativement stable (environ un tiers). Les ressources propres diminuent dans des proportions équivalentes.

 

Ceci étant, les CCI disposent de réserves financières importantes, quoiqu’en diminution : avec un actif total de 6,8 Md€ en 2017, dont 4,8 Md€ d’immobilisations, des capitaux propres de près de 3 Md€ pour un endettement de 2 Md€, les CCI présentent un bilan global solide (notamment les CCI les plus grandes).

 

Une étape importante a été franchie avec la loi PACTE, qui prévoit la centralisation de la TCCI au bénéfice de CCI France, qui devient l’unique affectataire du produit de la taxe, à charge pour elle de la répartir entre les chambres régionales, ces dernières procédant de leur côté à la répartition entre les CCI territoriales. Cette répartition de la taxe devra tenir compte des objectifs et de la performance de chacune, et suppose de disposer d’un système d’information financier, de suivi et d’audit qui reste encore embryonnaire.

 

♦ En ce qui concerne les CMA, la taxe a été plafonnée en 2013, mais la baisse imposée par l’État est restée modeste et aucun plan d’économie d’envergure n’a dû être engagé. Même si elles ont enregistré une progression sensible des recettes provenant de la vente de prestations de service (+ 70% entre 2010 et 2018), les CMA restent très dépendantes des ressources publiques.

 

Leur situation financière globale est saine, avec un niveau de capitaux propres de 1,1 Md€ en 2018 pour un endettement de 88 M€, des immobilisations non financières de 891 M€ et des disponibilités de 279 M€. En dehors des sièges, l’immobilier est principalement constitué de bâtiments dédiés aux activités de formation.

 

À partir de 2021, CMA France aura également la mission de répartir chaque année le produit de la taxe entre les chambres régionales. Ces nouveaux pouvoirs nécessitent de mettre en place des instruments de pilotage et de management fiables et efficients qui font aujourd’hui défaut.

 

Désormais l’État contrôle totalement le montant des taxes et leur affectation par la mission confiée à chaque structure nationale.

⇒ La réduction des effectifs

La pression financière croissante a conduit les CCI à diminuer entre 2012 et 2018 leurs effectifs de 27,8% et leur masse salariale de 26,5%, sans inscrire pour autant cette baisse dans une stratégie de mutualisation de certaines fonctions. La logique de régionalisation des fonctions support aurait dû conduire à des réductions d’effectifs concernant en premier lieu les fonctions « support et institutionnelles ». Or ce sont d’abord les fonctions « emploi et formation » et « appui aux entreprises » qui ont été touchées ; le poids des fonctions support, institutionnelles et de pilotage s’est accru (de 26,7% de l’effectif total en 2014 à 28,9% en 2017), suscitant un alourdissement des frais de structure.

La réduction du nombre d’établissements publics (165 en 2010, 103 en 2020) a été permise, d’une part, par des regroupements et fusions et, d’autre part, par le passage en 2017 de 22 CCIR en métropole à 13 en application de la réforme de la carte des régions. Pour autant, l’organisation reste peu lisible,

⇒ Quel avenir ?

♦ Les transformations engagées par les CCI et les CMA constituent des avancées. Mais les difficultés et les lenteurs  constatées pour mettre en œuvre l’ambition inscrite dans la loi PACTE conduisent à s’interroger sur la viabilité du nouveau modèle économique visé, sur le pilotage des réseaux et sur la stratégie.

Des interrogations persistent sur la capacité des chambres consulaires à développer des prestations facturées à un niveau suffisant pour assurer leur équilibre économique dans un contexte de baisse des taxes qui leur sont affectées.

 

♦ Les actions relevant de l’appui aux entreprises présentent une situation très déséquilibrée où les produits d’exploitation couvrent moins de 39% des charges d’exploitation.

Pour les CCI comme pour les CMA, ces services payants se trouvent en concurrence avec des prestations proposées par de nombreux intervenants déjà présents sur le marché du conseil aux entreprises; les segments de marché non couverts offrent peu de perspectives de rentabilité. Les coûts de gestion (chargés des coûts de structure) affichés actuellement par les CCI sur ces actions ne peuvent être équilibrés sans l’affectation d’une part importante de ressource fiscale. C’est ce constat, affiché par CCI France dans son rapport au Gouvernement et au Parlement de juin 2020, qui a conduit le législateur à maintenir inchangé le plafond de la TCCI pour 2021.

 

Imaginer de nouvelles offres pour vendre du conseil suppose une connaissance précise des besoins à satisfaire, des acteurs présents sur le marché et des segments de marché sur lesquels l’offre des CCI pourrait être la plus pertinente. Or, cette connaissance demeure, dans la plupart des cas, superficielle. Le développement d’activités rentables implique également de repenser les processus métiers pour passer d’une logique de guichet administratif à une logique commerciale, de transformer les outils et systèmes d’information, les attitudes des collaborateurs et donc la culture d’entreprise. Or, les investissements dans la formation des collaborateurs, dans les systèmes d’information pour disposer de bases de données clients enrichies, qualifiées et exploitables, dans le marketing et la publicité, restent encore limités et leurs résultats prendront du temps à se concrétiser.

 

♦ Une démarche comparable est engagée dans le réseau des chambres de métiers et de l’artisanat, qui a identifié un certain nombre d’offres facturables ayant fait leurs preuves et pouvant être déployées dans tout le réseau. C’est le cas du « parcours créateur », qui a pris le relais du stage préalable à l’installation (SPI), désormais facultatif. L’objectif affiché est de prendre contact avec les porteurs de projet dès le lancement de leur activité.

 

♦ Par ailleurs, les CCI et les CMA restent marquées par un attachement fort au statut d’établissement public, à l’autonomie des établissements et à un mode de désignation décentralisé des élus consulaires. Or l’esprit de la loi PACTE est de promouvoir un fonctionnement centralisé où la stratégie, les moyens, les instruments de pilotage et de contrôle sont dévolus aux deux organes centraux, CCI France et CMA France, sous une tutelle administrative et financière de l’État qui reste forte au niveau central et au niveau déconcentré.

 

Faute d’une gouvernance adaptée, certains chantiers opérationnels lancés au niveau national ont pris du retard (le système d’information des ressources humaines des CCI, l’outil national d’agrégation des données comptables des CCI).

La situation n’est guère plus avancée du côté des CMA. Ainsi, le progiciel comptable national, choisi en 2011, n’était déployé que dans 45% des chambres fin 2019, le déploiement complet étant prévu désormais pour 2022.

 

La question de l’adaptation des statuts des personnels se pose également dans les deux réseaux. Pour les CCI, la loi PACTE a mis fin au statut particulier et les établissements recrutent à présent des personnels sous contrat de droit privé. La convention collective n’est pas encore signée. S’agissant des CMA, l’État a fait le choix de ne pas modifier le statut des personnels.

 

Enfin, les conditions d’exercice de la tutelle administrative et financière de l’État devraient être adaptées, nécessitant de définir des priorités nationales de contrôle pour faciliter un contrôle plus ciblé, plus rapide et compatible avec les exigences d’un pilotage national.

⇒ Les chambres consulaires face à la crise sanitaire

Leur rôle a principalement consisté à donner gratuitement de l’information, apparaissant marginal aux yeux des entreprises, si l’on considère l’enquête menée en août 2020, avec l’appui de l’institut de sondage BVA, auprès de 800 chefs d’entreprises potentiellement éligibles au fonds de solidarité. Le premier appui a été celui de leur expert-comptable, puis la télévision et les sites internet gouvernementaux. Les réseaux consulaires ne sont jamais cités.

Par ailleurs, les fonds régionaux en direction des TPE, gérés au plan opérationnel par les régions elles-mêmes, par Bpifrance, ou par les réseaux associatifs (Initiative France, France active, Adie) ne l’ont pas été par les réseaux consulaires.

 

Pour en savoir davantage : la publication de l’Assemblée Nationale sur ce thème

Microsoft Word – i3064.docx (assemblee-nationale.fr)