La faiblesse de nos exportations ne tiendraient pas aux prix de vente, au cout du travail, mais à une chute du tissu industriel, alors que les multinationales Françaises sont très implantées à l’étranger, au détriment d’implantations en France.
⇒ Le constat
Le solde de la balance courante de la France s’est dégradé continûment et significativement entre 1999 et 2011, passant de + 3,4% à – 1% du PIB, pour se redresser légèrement depuis, sans tendance régulière, avec un déficit moyen de 0,7% du PIB au cours des années 2015 à 2017.
Cela reflète une lourde chute de la part de marché au niveau mondial, passant de 5,8% en 1999 à 3,5% en 2017, une baisse de 40%, sachant que nombre de pays sont devenus grandement exportateurs.
Le contraste est frappant avec l’excédent courant allemand, qui a augmenté presque continûment sur la même période, pour atteindre 8,1% du PIB en 2017, malgré la relative baisse du coût du travail par rapport à l’Allemagne; l’Allemagne et l’Espagne n’ont perdu que 10% de parts de marché sur la même période.
⇒ Le cout du travail n’est pas la raison essentielle de cet écart
Le taux de croissance des coûts unitaires du travail (CUT) est égal à celui de la masse salariale nominale divisée par la valeur ajoutée en volume, c’est-à-dire au produit de la part des salaires dans la valeur ajoutée multipliée par le taux d’inflation (des prix de la valeur ajoutée, en l’occurrence). Pour que le partage de la valeur ajoutée reste stable entre capital et travail, les CUT doivent donc croître au même rythme que l’inflation.
L’augmentation cumulée des CUT depuis 1999 s’étage de 21% en Allemagne à 32% en France et en Espagne, et plus de 41% en Italie; mais après 2011, ce n’est plus le cas;, le coût du travail en Allemagne augmentant plus vite qu’en France.
Sur le seul secteur manufacturier, la croissance des CUT est proche entre la France et l’Allemagne sur l’ensemble de la période.
La divergence entre les deux pays provient donc principalement des secteurs de services; les services aux entreprises, comptant le plus lourdement dans les consommations intermédiaires du secteur manufacturier, ont vu leur CUT augmenter nettement plus rapidement en Allemagne qu’en France entre 1999 et 2015, l’écart total se montant à 33%. C’est également le cas dans la finance et l’assurance. Par contre, c’est dans les services des secteurs abrités (construction, activités immobilières, fourniture d’électricité, de gaz et d’eau, commerce) que l’on retrouve une croissance nettement plus rapide des CUT en France qu’en Allemagne. En définitive, la croissance des CUT dans les services en Allemagne dépasse de 6 points de pourcentage celle de la France sur la période 2011-2015.
⇒ C’est la spécialisation commerciale qui est en question
Lorsque la tendance est analysée par secteur, l’aéronautique fait figure d’exception puisque la part de marché de la France dans les exportations mondiales y a sensiblement augmenté depuis 1999 (en 2016 le sixième des exportations françaises de produits manufacturés); le secteur du luxe fait aussi exception.
Pour le reste, la chute des parts de marché est une tendance partagée par l’ensemble des secteurs, avec la plupart du temps un déclin assez proche des 40% constatés pour l’ensemble. Le secteur de l’électronique est celui dont la part de marché a le plus baissé en termes relatifs (de 3,8 à 1,6%), suivi par la sidérurgie (de 6,4 à 3,1%); l’automobile figure également parmi les secteurs ayant perdu le plus sur les marchés internationaux passant de 4,5 à 3,5% entre 2011 et 2017. L’agroalimentaire et la chimie avec de fortes parts de marché (4,3 et 4,5% en 2017) ont connu une nette baisse. Les services se sont par contre maintenus.
⇒ La compétitivité hors prix et les investissements
Les gains de compétitivité-coût se sont traduits pour les entreprises allemandes par une hausse de leurs marges : a part des profits des sociétés non financières dans la valeur ajoutée a augmenté de 1,8 points de pourcentage en Allemagne entre 1999 et 2017 (dont 3,8 points entre 1999 et 2011), alors qu’elle baissait de 0,7 point en France (dont 1,5 point entre 1999 et 2011). Selon une explication fréquemment avancée, les profits ainsi accumulés par les entreprises allemandes leur auraient permis d’investir, accroissant leur compétitivité hors prix.
Le taux d’investissement en France est resté relativement stable entre 1999 et 2016, autour de 22% du PIB; en excluant la construction, le taux d’investissement en Allemagne apparaît comme le plus élevé des quatre grands pays de la zone euro, excédant celui de la France de l’ordre d’un demi-point de PIB en moyenne. En France, le taux d’investissement est nettement plus faible dans les machines et équipements, le matériel (environ 5% du PIB depuis 2010, vs 6 et 7% pour ses partenaires), mais beaucoup plus élevé dans les produits de la propriété intellectuelle, autrement dit l’immatériel (5,5% du PIB en 2016, contre moins de 4% pour l’Allemagne et environ 3% pour l’Espagne et l’Italie).
Ce constat pose la question de la capacité d’entraînement des activités de R&D sur la production en France, d’autant que l’économie française est marquée par le poids de ses multinationales, dont les implantations à l’étranger ont crû plus rapidement que leur production sur le territoire, une tendance nettement plus marquée que dans les autres grands pays de la zone euro.
⇒ En fait c’est davantage la faiblesse du tissu notamment industriel et le poids important des multinationales Françaises à l’étranger qui expliquerait ces écarts.
Mesurée en valeur ajoutée, la part du secteur manufacturier était de 11,4% en France en 2017, contre 14,2% en Espagne, 16,6% en Italie et 23,4% en Allemagne. Toutefois, si la perte de substance industrielle est avérée, les effets ne sont pas suffisamment importants pour que cela empêche un redressement futur.
L’économie française se distingue par l’importance des implantations à l’étranger de ses entreprises : les entreprises multinationales françaises employaient près de 6 millions de salariés à l’étranger en 2014, là où les multinationales allemandes n’en employaient qu’un peu plus de 5 millions, les italiennes 1,8 millions et les espagnoles moins d’un million. Cette spécificité française s’est accentuée dans la période récente, le nombre d’employés et le chiffre d’affaire à l’étranger des multinationales françaises augmentant de près de 60% entre 2007 et 2014, un rythme deux fois supérieur à celui des multinationales allemandes ou italiennes.
Ces activités engendraient des revenus d’investissement nets positifs de 43 Mds€ en 2017, soit 1,9% du PIB français (contre respectivement 1,5% du PIB en Allemagne et autour de 0,5% en Espagne et en Italie).
Voir l’étude complète : http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/pb/abstract.asp?NoDoc=12147