Pour analyser ces liens d’interdépendance, 4 600 hommes et femmes âgés de 30 à 50 ans en 2006 ont été interrogés en 2006 puis en 2010 sur leur situation d’emploi, leurs conditions de travail et leur état de santé.
Les données sur les chefs d’entreprises n’ont guère été prises en compte dans cette enquête, hormis le constat que les artisans, commerçants et plus encore les agriculteurs sont au moins aussi exposés aux risques professionnels que les employés et les ouvriers, plus que les professions intermédiaires et les cadres ; les hommes non salariés sont plus exposés que les femmes non-salariées. Ceci étant, il m’a semblé intéressant d’observer ce lien entre santé et contraintes professionnelles, puisque les non-salariés sont en meilleure santé que les salariés.
86% des hommes et 73% des femmes sont en emploi à la fois en 2006 et en 2010. Parmi les répondants âgés de 30 à 50 ans en 2006 et ayant travaillé au moins un an avant 2010, la part des hommes qui occupent un emploi reste stable entre 2006 (91%) et 2010 (92%), tandis que celle des femmes progresse de 6 points pour atteindre 84% en 2010.
Les allers et retours entre emploi et non-emploi sont plus fréquents chez les femmes : 11% d’entre elles sont passées du chômage ou de l’inactivité à l’emploi entre 2006 et 2010, contre un peu moins de 6% des hommes ; inversement, près de 5% des hommes et des femmes sont sortis de l’emploi entre ces deux dates.
5 groupes ont été repérés :
-Les « abrités » (38%) : pas de chômage et des conditions de travail salutaires
Ils ont tous un emploi à la fois en 2006 et en 2010, avec pour la plupart de « bonnes » conditions de travail (83% en 2006 et 74% en 2010) ; ils ont passé en moyenne plus des trois quarts de leur carrière dans ce type d’emploi ; une personne sur deux est cadre ou profession intermédiaire contre environ deux sur cinq dans l’ensemble du panel d’étude, avec près de 49% de femmes.
-Les « exposés peu affectés » (28%) : des travailleurs exposés, plutôt en bonne santé,
Ils ne sont pas touchés par le chômage ou l’inactivité : tous sont en emploi en 2006 comme en 2010. En revanche, dans près de 9 cas sur dix, ils sont exposés à de mauvaises conditions de travail,notamment des contraintes horaires (travail de nuit, travail en équipes, etc.) et un travail physiquement exigeant. En moyenne, ils ont passé près de la moitié de leur carrière dans des emplois exposés à la pénibilité physique.
Il s’agit de personnes dont la santé relativement robuste a résisté à des expositions fortes, au moins jusqu’en 2006 ; ils se situent autour de la moyenne, (et sont exempts de troubles anxieux généralisés ou d’épisodes dépressifs majeur). Toutefois, leur santé se dégrade entre 2006 et 2010 (les troubles musculo-squelettiques touchent 55 % d’entre eux).
Dans cette classe, les hommes sont majoritaires (63 %) et ils occupent plus souvent que la moyenne des postes d’artisans ou d’agriculteurs.
-Les « exposés » (15%), dont certain sont en « bonne voie » (8%), d’autres en « mauvaise voie » (7%), majoritairement composés de femmes (autour de 60%). Ces deux groupes sont plus souvent que les autres en difficulté de santé mentale, accentuée par une histoire personnelle parfois éprouvante (deuil, violences familiales dans l’enfance…), bien plus que dans les autres groupes ; Ils s’estiment plus souvent en situation d’isolement social (25 % environ déclarent n’avoir personne dans leur entourage pour « discuter de choses personnelles pour prendre une décision difficile », contre 12 % pour l’ensemble du panel).
Les exposés en « bonne voie » connaissent des conditions de travail et une santé mentale en amélioration, notamment grâce à une plus forte mobilité professionnelle (changement d’employeur pour 27%, plus grande autonomie, exigences et contraintes organisationnelles moins fortes) ; les 2/3 déclaraient un épisode dépressif majeur, un trouble anxieux généralisé ou encore un trouble du sommeil, qui sera divisé par deux entre 2006 et 2010.
Les « exposés en mauvaise voie » (7 %) subissent une nette détérioration de leur situation, avec des risques psychosociaux en forte hausse et une santé mentale très dégradée ; cette augmentation, pour ceux qui restent en emploi, touche davantage les hommes que les femmes, et s’explique surtout par un durcissement des exigences du travail et des contraintes organisationnelles ; la part des personnes au chômage ou inactives passe de 17 % à près de 24 % en 2010.
-La classe des « usés » (7 %)
Ils sont pour les 2/3 en emploi en 2006 et en 2010, souvent avec de mauvaises conditions de travail et ont passé presque la moitié de leur carrière exposés à des pénibilités physiques. Leur santé mentale, un peu plus dégradée que la moyenne en 2006, s’améliore néanmoins en 2010, probablement en lien avec une plus grande autonomie au travail.
C’est une classe un peu plus âgée que les autres (âge médian de 44 ans), avec davantage d’ouvriers, peu diplômés et 54% de femmes. 20% disent avoir connu de sérieux problèmes de santé dans leur enfance contre 9% du panel (et 5% des « abrités ») ; 22% signalent avoir manqué de soutien social dans leur vie personnelle au cours de la période contre 14% pour l’ensemble du panel et 8% des « abrités ».
-Les « instables » (13%) : sans emploi ou en emploi instable, de santé moyenne
Près de 82% des « instables » n’avaient pas d’emploi en 2006, contre seulement 16% dans l’ensemble ; ils sont encore 52% sans emploi à cette date contre 12% pour l’ensemble du panel. Quand les personnes de cette classe ont un emploi, c’est un emploi qui n’a pas duré (41% d’entre eux ont travaillé de un à trois ans, contre seulement 9% du panel).
Par ailleurs, ¼ n’a exercé aucun emploi entre les deux dates (7% dans l’ensemble du panel), et ce notamment pour les femmes (les ¾ se sont déclarées femmes au foyer).
La classe des « instables » est la plus jeune (âge médian, 38 ans), très féminine (71%) ; on y est employés, ou ouvriers ; d’une santé meilleure que l’ensemble des personnes du panel, les instables déclarent néanmoins beaucoup plus souvent un état de santé altéré et des limitations d’activité.