Les entreprises du secteur culturel emploient 670 000 personnes, mais ont difficulté à adopter une pratique entrepreneuriale


« Sur le développement de l’entrepreneuriat dans le secteur culturel en France », rapport à la Ministre de la Culture et de la Communication, au Ministre de l’Economie, du Redressement Productif et du Numérique, juin 2014

Méthodologie : les auteurs ont conduit une centaine d’entretiens, notamment auprès de 60 jeunes entreprises de moins de 3 ans, en vue d’établir un diagnostic sur la difficulté à être un entrepreneur à part entière dans le secteur de la culture et d’avancer des recommandations pratiques à coût constant pour les finances publiques.

 

Le secteur culturel contribue à hauteur de 57,8Md€ au PIB, soit 3,2%, et emploie 670 000 personnes (2,5% de l’emploi national), en sus des 870 000 professionnels de la culture employés par des administrations publiques ou associatives.

 

Ce secteur est composé d’une myriade de TPE, les entreprises de taille moyenne étant quasi inexistantes : 60% des 157 000 entreprises emploient de 1 à 3 salariés, 9 entreprises sur 10 ont moins de 10 salariés.

 

Les entreprises culturelles ne rassemblent pas tous les acteurs du secteur culturel. Fondées sous forme de personnes morales immatriculées au RCS et commercialisant des produits ou services culturels, elles s’insèrent dans des logiques entrepreneuriales (rentabilité, croissance, profit), et sont des agents économiques à part entière ; sont donc exclus de l’analyse les associations, certaines compagnies, les scènes nationales, les centres dramatiques et les établissements culturels, dont les finalités sont différentes.

 

Bien que le secteur culturel se professionnalise peu à peu, l’aspect économique de la culture est trop souvent ignoré, voire méprisé : on note une grande difficulté à « endosser le costume de l’entrepreneur ».

 Bien que le niveau d’étude des entrepreneurs culturels soit élevé (minimum bac+3), on constate des compétences insuffisantes dans les domaines de la structuration juridique et financière, du code du travail, de la fiscalité, de la protection intellectuelle, de la prospection en France comme à l’étranger

 

La grande majorité des activités sont démarrées sous forme associative, par projet, à titre de test, sans rechercher à constituer un capital ni à distribuer des résultats, notamment pour pouvoir bénéficier de subventions ou de financement de la part de mécènes. Une fois l’activité bien établie, la création d’une société est rarement envisagée, autant par absence de réflexion en amont que par facilité de fonctionnement d’une association, empêchant de faire évoluer le modèle économique

 

L’entrepreneur culturel a tendance à avoir un double discours, affirmant sa volonté de vouloir vivre de son activité d’une part, ne souhaitant pas subir les contraintes de l’activité entrepreneuriale traditionnelle d’autre part : il oscille entre logique entrepreneuriale et assistanat, réclamant un renforcement du soutien public

L’entrepreneur culturel met souvent en avant des motivations proches de l’entrepreneur social et solidaire, plus intrinsèques (valeur et sens des projets) qu’extrinsèques (rémunération) : or, sans croître et sans réaliser de bénéfices, impossible à l’entreprise de se renouveler et de se développer

Il a tendance à mener les projets les uns à la suite des autres, plutôt que simultanément, plutôt que d’anticiper et préparer les phases ultérieures, notamment attirer les consommateurs et les fidéliser, diversifier son activité et proposer plusieurs produits ou services à la fois

Il a un rapport ambigüe à l’innovation, peu disposé à financer le processus s’il n’est pas aidé, méfiant vis-à-vis des autres entrepreneurs par peur d’être copié, peinant à démontrer aux investisseurs potentiels l’originalité de son projet

 

Les pouvoirs publics ne reconnaissent pas les entrepreneurs culturels comme des acteurs économiques à part entière et ne les invitent pas aux grands rendez-vous qu’ils organisent. De plus, ils interviennent sous forme de subventions dans le champ global de la culture sans réflexion sur le modèle économique

 

La plupart des acteurs de la vie économique n’envisage la culture que sous l’angle du mécénat et considèrent les artistes comme de piètres gestionnaires évoluant dans un secteur exempt de rentabilité. De fait, aucun fonds d’investissement privé (excepté le dispositif parapublic Création et Patrimoine de Bpifrance) n’est consacré au secteur culturel

Enfin, aucune réflexion de fonds n’est menée sur le financement du secteur culturel et il n’existe pas à ce jour d’outils ad hoc pour structurer l’entrepreneuriat culturel.

 

Suivent un ensemble de propositions, notamment :

 

– d’Insérer les entreprises du secteur culturel dans les programmes de stimulation de l’entrepreneuriat et de l’innovation, par une triple action :

* Inclure explicitement l’entreprise du secteur culturel dans les stratégies de stimulation de l’entrepreneuriat et de l’innovation, dont le programme d’investissements d’avenir

* Assurer l’éligibilité des charges de R&D liées à l’innovation culturelle pour des dispositifs type crédit Impôt Recherche, crédit Impôt Innovation ou Jeune Entreprise Innovante.

 

– D’Intégrer certaines entreprises culturelles dans le champ de l’économie sociale et solidaire, leur permettre ainsi d’accéder au label ESS et d’accéder aux fonds consacrés, sous réserve de démontrer leur utilité sociale, notamment lorsqu’elles luttent contre les exclusions et les inégalités culturelles

– D’accompagner le passage du modèle associatif marchand vers les modèles entrepreneuriaux

– Favoriser l’émergence et la consolidation de structures d’accompagnement des entrepreneurs du secteur en incitant à la structuration de clusters régionaux, dispositifs permettant la coopération entre entreprises et la mutualisation des moyens humains et des connaissances.

 

– Créer un outil piloté par Bpifrance consacré à l’amorçage des entreprises du secteur de la culture.

 

– Soutenir la communication et la réflexion sur le rôle de l’entrepreneur culturel :

* En intégrant la dimension culturelle dans les manifestations sur l’entrepreneuriat (ex : Les Assises de l’Entrepreneuriat), la dimension entrepreneuriale dans les manifestations sur la culture (ex : Entretiens de Valois)

* En invitant les opérateurs privés et publics à intégrer la dimension entrepreneuriales dans leurs manifestations type Salon des formations artistiques

* En développant la recherche et l’étude sur l’entrepreneuriat culturel.

 

– Encourager la création d’une représentation des entrepreneurs culturels, au nombre de 157 000, interlocutrice référente face aux pouvoirs publics et aux représentations syndicales, outil de mutualisation des problématiques statutaires et structurelles du secteur culturel