Femme non salarié, une profonde transformation en 33 ans, avec beaucoup moins d’aides familiales et bien plus de chefs d’entreprise


"Genre et travail indépendant Divisions sexuées et places des femmes dans le non-salariat", revue Travail et Emploi N°150, avril-juin 2017

Les données utilisées ici prennent en compte les seules indépendantes (éliminant les femmes chefs d’entreprise, salariées de leur entreprise), y compris le monde agricole/pêche, sylviculture.

 

La présence des femmes dans le non-salariat a profondément évolué entre 1982 et 2015 avec beaucoup moins de femmes aides familiales et bien plus de femmes chefs d’entreprise travaillant seules.

 

“Les transformations récentes de l’indépendance vont de pair avec une redistribution des positions entre femmes et hommes. Si les femmes restent nettement minoritaires dans le groupe composite du non-salariat, des évolutions et des recompositions méritent toutefois que l’on y prête attention.”

Ces activités indépendantes reposent encore souvent sur la mobilisation familiale. Parmi les artisans et commerçants, devenir indépendant est en effet « une affaire de couple ». La mise à son compte est vécue comme un projet de mobilité sociale qui implique toute la famille.

De plus, le travail indépendant se définit par sa moindre régulation statutaire, ses fortes inégalités internes, des horaires de travail étendus et une grande porosité des espaces et des temps professionnels et domestiques. 

 

3 configurations sont observées:

-Celle dite « traditionnelle », le couple travaille ensemble dans l’entreprise familiale.  Installation et mariage vont de pair, l’épouse se trouvant alors dans l’obligation de renoncer à ses projets professionnels pour soutenir le projet d’installation de son mari.

Celle du « couple conjugal », le mari est indépendant et la femme officiellement inactive. L’important investissement au travail du mari justifie alors l’inactivité de l’épouse qui participe de manière irrégulière à l’activité de l’entreprise. Cette aide ponctuelle invisible, allant de soi, ne fait l’objet d’aucune reconnaissance ni valorisation.

Celle qui articule travail indépendant masculin et travail salarié féminin. Ici aussi, l’indépendance est une « affaire de couple » au sens où peut s’opérer une forme de complémentarité des statuts d’emploi des conjoints.

Ces différentes configurations ont pour point commun que le travail des femmes y est en partie ou totalement invisible, subordonné et gratuit.

 

Si l’on regarde les données disponibles depuis 1982, dans l’ensemble des non-salariés, la part des femmes a légèrement diminué, passant de 36% en 1982 à 32% en 2012; mais ce constat  mêle les indépendants (au sens d’employeurs et de travailleurs à leur compte) et leurs conjoints lorsqu’ils ou elles les aident dans leur travail.

 

Au sein du monde des non-salariés, la transformation la plus importante des trente dernières années est la très forte diminution des aides familiaux, passant de près de 800 000 en 1982 à environ 50 000 en 2014. Les aides familiaux représentaient 25% des emplois non salariés en 1982, contre seulement 3% actuellement ; en 1982, 59% des femmes relevant du non-salariat étaient aides familiales, elles sont 8% à l’être en 2015. 

 

Si l’on s’intéresse aux actifs qui sont à la tête de leur entreprise, les femmes représentaient 29% des indépendantes sans main-d’œuvre, et 12% des employeurs en 1982, vs respectivement 65% (dont autoentrepreneurs) et 27% en 2015; parmi les autoentrepreneurs elles sont 39%. Toutefois,  la part des femmes parmi les chefs d’entreprise de plus de 10 salariés n’a quasiment pas changé et reste faible, alors qu’il a explosé parmi les professions libérales, qui sont désormais le groupe d’indépendantes le plus féminisé (près de 37%). 

 

Le tableau ci-dessous est particulièrement intéressant pour situer l’évolution des femmes et des hommes au sein des non-salariés; il ne permet toutefois pas d’intégrer les dirigeants salariés de leur entreprise; là encore, les femmes y sont moins nombreuses.

Le dossier de ce numéro de Travail et Emploi développe notamment 3 articles :

 

-“Des artisans d’art aux artisanes d’art” : de plus en plus de femmes s’installent à leur compte en tant que bijoutières, céramistes, maroquinières, etc. Cette féminisation de l’artisanat d’art met à mal les modèles traditionnels de transmission du métier de père en fils ou d’ascension sociale ouvrière par l’indépendance; la majorité des artisanes d’art sont des reconverties qui ont abandonné un emploi de cadre salariée pour devenir indépendantes. Consécutivement, elles n’investissent pas leur métier et leur entreprise de la même manière que les hommes : elles valorisent souvent davantage l’aspect créatif de leur activité que la composante technique. 

 

-“Les Mompreneurs: entre entreprise économique, identitaire et parentale” :  apparues en France à la fin des années 2000, les Mompreneurs se définissent comme des femmes qui créent leur entreprise à l’arrivée d’un enfant, quittant le salariat pour une indépendance qui favoriserait la « conciliation » entre travail et vie de famille. Ce mouvement s’inscrit à la fois dans des processus profonds et transversaux d’individuation, de valorisation publique accrue ces dernières années de l’initiative économique individuelle, et d’accentuation du travail parental, en particulier au sein des classes moyennes et supérieures. 

 

-“Femmes salariées et non salariées : quelles différences de temps de travail ? “ :  en moyenne les durées quotidiennes et hebdomadaires longues, les horaires atypiques et imprévisibles, et donc une disponibilité temporelle au travail forte. 3 groupes sont distingués en fonction du niveau du diplôme le plus élevé obtenu. Si les contraintes temporelles sont importantes pour l’ensemble des non-salariées, les résultats soulignent la position particulière des moins qualifiées qui cumulent horaires importants et faibles rémunérations, posant la question des frontières entre travail domestique et travail non salarié.