Comment les start-up transforment un quartier


"Silicon Sentier : promenade au cœur de la French Tech", Les Echos business du 9 juillet 2017

Le IIème arrondissement de la capitale, jadis fief historique du textile, est devenu une pépinière géante de start-up, dans un quartier où se croisent geeks, bobos et prostituées.  On y trouve Numa, un accélérateur de start-up, niché près du siège de PriceMinister, et la Maison du Bitcoin (la monnaie électronique).  

 

“En l’espace de quelques années, le quartier s’est métamorphosé. Les étroites ruelles qui relient le boulevard de Bonne-Nouvelle au nord, la rue Saint-Denis à l’est, la rue Réaumur au sud et la rue Montmartre à l’ouest dessinent désormais le quadrilatère magique de la French Tech. Elles abritent autant de sièges sociaux, d’incubateurs et d’espaces de coworking que d’ateliers de confection ou de boutiques de vente de vêtements en gros. Néoentrepreneurs, codeurs, grands groupes avides de se brancher à l’écosystème numérique, tous veulent s’y installer.”  

 

“La mue s’est amorcée au tournant du siècle. Trois amis de Polytechnique créent alors l’association Silicon Sentier…quelques mois plus tard, la bulle Internet explose et la plupart des entrepreneurs qui se sont ancrés dans le quartier le désertent après la faillite de leur entreprise. Pendant plusieurs années, le projet toussote. 

La Cantine, un espace entièrement dédié au travail collaboratif, voit le jour en 2008 à l’initiative de Silicon Sentier. La structure s’installe dans le passage des Panoramas et convainc la soixantaine d’entreprises qui paient pour un accès au wifi de l’ouvrir afin d’en faire bénéficier un maximum de gens. Le quartier a alors les meilleures connexions de Paris.”  

 

“La Cantine voit passer quelques-uns des futurs champions de la French Tech, comme les fondateurs de Blablacar; l’équipe qui gère La Cantine fait le pari de mélanger les populations pour fertiliser le biotope et accélérer la croissance de chacun. En 2011, s’ ouvre Le Camping, un accélérateur de start-up d’abord installé dans les locaux de la Bourse, au Palais Brongniart, avec l’appui financier de BNP Paribas et Google notamment. Il déménagera peu après et changera de nom en 2013 pour devenir Numa.” Dans son sillage, les projets de start-up fleurissent, nourris par un flot de plus en plus abondant de capital-risque; par ailleurs, beaucoup d’entrepreneurs ont le fantasme des start-up californiennes en tête et sont ainsi en quête des anciens ateliers de confection textile.  

 

Nait une forte tension immobilière (faible volume d’offres et petit nombre de propriétaires fonciers du quartier). La plupart d’entre eux sont dans le textile et ont acheté les immeubles à mesure qu’ils amassaient leur fortune dans ce secteur. 

Si les propriétaires sont en position de force, compte tenu de la demande, ils doivent cependant composer avec la précarité intrinsèque des start-up (90% d’entre elles meurent dans les cinq ans qui suivent leur création) et faire des concessions sur la durée des contrats de location, voire accepter des solutions alternatives comme la sous-location. Les loyers ont flambé (450€ par an au mètre carré en moyenne, contre 300 il y a 5 ans.).   Le Sentier, et la rue de Saint-Denis en particulier, a toujours été un lieu de passage entre Les Halles et le nord de Paris, ce qui favorise les activités tarifées; mais c’est aussi une source de créativité, une friction qui favorise l’innovation, dans le quartier le plus mixte à Paris, où l’on peut y croiser toutes les nationalités et les différentes couches sociales.

Les populations les plus aisées ont vite trouvé leurs repaires, par exemple le long de la rue du Nil, et des restaurants y compris gastronomiques, suivis de commerces de bouche de qualité (poissonnerie, boulangerie, boucherie, primeur). 

 

Autre visage du Nouveau Sentier : La Garçonnière, premier concept store 100% masculin. Démarré sous forme de pop-up store, il s’est enraciné l’année dernière rue des Petits-Carreaux, au rez-de-chaussée d’un immeuble orné d’un mur végétal. Les six associés, âgés de moins de trente ans, y proposent également quelques espaces de coworking.  

 

Attirés par l’odeur des bonnes affaires, une nuée d’acteurs plus établis se sont à leur tour installés à proximité. Pas dans le Sentier même, mais à ses marges. C’est le cas de la structure Le Hub de la banque publique d’investissement Bpifrance, implantée boulevard Haussmann, à la frontière nord du Sentier; BNP Paribas a ancré son antenne dédiée à l’innovation à une centaine de mètres de là. La frontière sud semble mieux convenir aux fonds de capital-risque. Au moins trois d’entre eux y ont planté un drapeau ou leur siège. Partech Ventures est l’un des premiers d’entre eux. Dans son Partech Shaker, le fonds a créé un « campus » où se mêlent jeunes pousses françaises et étrangères qui souhaitent grandir à Paris; l’ancienne ministre Fleur Pellerin y a monté son fonds d’investissement, Korelya Capital.   « Ici, c’est l’anti-La Défense, résume Romain Lavault, associé chargé du Partech Shaker. On respire, on ne voit pas de faux plafonds… Pas un startuppeur ne résisterait au trajet quotidien jusqu’au parvis de La Défense ou à Vélizy. » Â