Les données chiffrées sont des estimations compte-tenu de la difficulté d’appréhender ce phénomène et les différentes définitions et méthodologies utilisées par les différents chercheurs.
2 segments appartiennent à l’économie collaborative:
-« l’économie du partage », reposant sur le partage et/ou la production d’actifs (matériels ou immatériels) dans des relations « de pair à pair » où la confiance, l’égalité des statuts, la coopération, les motivations non marchandes, l’usage responsable des ressources y sont considérés comme des valeurs essentielles.
–L’économie des plateformes de biens et services marchands, regroupant dans un but lucratif, des structures productives marchandes organisant la production de biens et services de manière triangulaire, entre des producteurs indépendants et des consommateurs, jouant un rôle de tiers qui ne permet pas des relations de pair à pair; si l’aspect « collaboratif » reste présent, c’est davantage dans le discours et l’imaginaire de ces entreprises que dans la réalité des échanges entre plateformes, travailleurs et clients.
La présente étude observe ce second groupe, dénommé dans le corps de l’étude « plateformes de biens et services marchands ; celui «d’économie des plateformes » se référera à l’ensemble des plateformes sur lesquelles s’échangent des biens, des services, des informations et autres actifs immatériels.
Selon une étude du cabinet Pwc (2015), l’économie des plateformes collaboratives… pourrait représenter au niveau mondial jusqu’à 335Md$ à l’horizon 2025 contre 15Md en 2014 (hausse de 35% par an).
Près de 9 000 start-up composaient ce marché mondial en 2014; certaines sont devenues des multinationales (Airbnb implantée dans plus de 34 000 villes du monde, Uber dans plus de 300, valorisées à plus de 20 et 60 Md$ en novembre 2015).
Les plateformes de freelances et de micro-travail mettent en relation une offre et une demande de tâches parcellisées et dématérialisées (traduction automatique, visite de sites web pour apprécier et noter des entreprises, des textes, des vidéos, référencement de pages via les réseaux sociaux, téléchargement d’applications, etc., contre rémunération).
La parcellisation des tâches est poussée à l’extrême ; les travailleurs n’ont aucune assurance quant à la pérennité de leur relation avec les donneurs d’ordre et sont payés à la micro-tâche ; la concurrence entre eux est particulièrement forte (s’exerce à l’échelle mondiale et porte sur des tâches peu qualifiées).
Les estimations disponibles font état d’un salaire horaire moyen de 2€ par heure. Si les plateformes de micro-travail offrent des opportunités d’emploi, elles concentrent aussi de multiples risques pour les travailleurs : risques psycho-sociaux, dégradation de la qualité du travail et de la sécurité des travailleurs.
Ces plateformes auraient réuni quant à elles 48 millions de travailleurs en 2015 d’après la Banque mondiale (2015).
Selon l’Igas (2016), les plateformes collaboratives auraient représenté en France, environ 2250 emplois directs en 2015, un volume encore faible mais quatre fois supérieur à celui de 2009.
Le modèle économique des plateformes de biens et services marchands associe les caractéristiques suivantes :
– Externalisation poussée de la production et des risques associés auprès de producteurs indépendants; l’activité de l’entreprise est réduite à un noyau dur : sa participation à la production des biens et services échangés se limite à des tâches de coordination; la plateforme met en relation un grand nombre d’offreurs et de demandeurs, elle assure la centralisation et la diffusion de l’information, garantit la sécurité des transactions et participe à la qualité des prestations échangées; elle joue un rôle de « tiers de confiance »
– Externalisation auprès d’une multitude de producteurs indépendants potentiels, ce qui va de pair avec des rapports de force favorables à la plateforme et défavorables aux travailleurs.
– Organisation reposant sur les technologies numériques (déploiement de l’activité à grande échelle, suppression de la distance géographique entre d’un côté le producteur et le consommateur et de l’autre le tiers qui les met en relation)
– Les producteurs ne sont pas nécessairement des professionnels mais peuvent être aussi des particuliers, ce qui a pour conséquence que producteurs et consommateurs ont des rôles interchangeables.
Ce modèle accentue la remise en cause des statuts et relations de l’économie marchande construits tout au long du XXe siècle : l’opposition entre travailleurs indépendants et salariés, le rôle central de la relation de subordination entre employeur et salarié, la distinction entre consommateur et producteur.
Quels impacts en France ?
Les créations d’entreprises sont en forte hausse dans la catégorie « transport et entreposage », dont VTC ont augmenté de 46% (+49% pour les micro-entreprises et +35%); idem dans l’hébergement touristique, où le nombre de nuitées par voyageur aurait progressé de 30% pour les logements particuliers loués par l’intermédiaire de plateformes tandis qu’elle aurait diminué de 1,3% pour les hébergements professionnels.
L’Igas (2016) estime ainsi qu’Airbnb, Uber et Hopwork totaliseraient à eux seuls environ 174 000 travailleurs collaboratifs en France, dont 140 000 hôtes Airbnb.
D’après l’enquête DGE/Pipame/Picom (2015), l’économie collaborative fournirait plus de 50% de leurs revenus à 5,2% des Français (12% des 25-34 ans). Noter que le champ des activités retenues est très vaste (du secteur des VTC à la revente ponctuelle d’actifs sur Leboncoin).
L’estimation la plus aboutie concernant la taille de l’économie des plateformes est celle réalisée par l’Igas (2016), en partenariat avec l’Insee et l’Acoss et conclurait à 2 250 emplois directs en 2015 – contre 560 en 2009 – pour un chiffre d’affaires de 380M€, et 7 Md€ de transactions (0,3 % du PIB).
Quels vecteurs de croissance ?
-La meilleure utilisation de biens: exemple avec le parc automobile français constitué de plus de 31 millions de véhicules qui ne sont utilisés en moyenne que 8% du temps
–Les gains de pouvoir d’achat : avec les plateformes 77% des Français mettaient en avant la possibilité de réaliser des économies et augmenter leur revenu et seulement 36% des motivations sociales, éthiques et environnementales; des revenus complémentaires pour les “professionnels” avec l’exemple des emplois offerts par Uber aux États-Unis, qui apparaissent davantage comme des opportunités pour certains travailleurs d’augmenter leurs revenus et de bénéficier d’emplois mieux adaptés à leurs préférences et leurs contraintes familiales.
-La réduction des barrières à l’entrée des marchés
-La réduction des asymétries d’information entre producteurs et consommateurs en facilitant la circulation de l’information, permettant de faire émerger la confiance entre une multitude d’agents qui ne se connaissent pas par un processus d’accumulation de connaissances à moindre coût.
Un essor au détriment des activités traditionnelles ?
Aux États-Unis, ces nouvelles firmes répondraient à une demande qui n’était pas satisfaite par l’offre du secteur, souvent restreinte par une réglementation maintenant des barrières à l’entrée. Toutefois, en captant l’essentiel de la croissance de secteurs d’activité, elles finissent par réduire l’activité de leurs concurrents traditionnels, surtout lorsque le service proposé est peu différencié (Uber, Airbnb…); une étude montre qu’Airbnb a fait diminuer le revenu des hôtels de 8 à 10%.
Quels impacts sur le travail et l’emploi ?
– Le modèle des plateformes repose sur l’externalisation de la production et des risques associés vers des « collaborateurs »; ainsi Uber emploie moins de 1 000 salariés mais compte plus d’un million de chauffeurs associés. Si ce modèle se généralisait, une part conséquente de la production serait assurée hors du cadre traditionnel de l’entreprise et de la relation classique d’emploi, faisant voler en éclats le statut de salarié (échange de la subordination à l’employeur) et pour les indépendants la constitution d’un capital potentiel pour leur retraite (revente de leur entreprise, de leur matériel ,d’exploitation)
–Dans la mesure où ils sont indépendants, les” travailleurs” des plateformes sont privés du socle de droits qui protègent les salariés (droits syndicaux, protections contre la rupture abusive de la relation de travail, législation sur le temps de travail et les conditions de travail..), alors qu’ils ils sont « économiquement dépendants » des plateformes, dont ils tirent la majorité voire la totalité de leurs revenus, et parce que les plateformes exercent un contrôle important sur leur travail, et peuvent décider d’exclure de part leur seule décision un indépendant.
-les producteurs ne sont pas nécessairement des professionnels mais peuvent être aussi des particuliers. L’interchangeabilité entre producteurs et consommateurs accroît les risques concernant la sécurité des transactions et la qualité des prestations, mais aussi tous ceux liés à la sécurité et à la santé au travail; dans la mesure où une grande partie du travail est assurée hors du cadre institutionnalisé des organisations productives, il échappe largement aux dispositifs de limitation des risques (normes, contrôles et instances représentatives spécialisées dans les conditions d’hygiène et de sécurité). Le risque de confusion entre vie professionnelle et vie privée s’accroît également.
-la diffusion des TIC créerait d’une part des emplois hautement qualifiés et rémunérés et contribuerait d’autre part au développement d’emplois peu qualifiés dans les services, à faible productivité donc mal rémunérés.
Les défis pour les pouvoirs Publics :
-Adapter les instruments statistiques
-Adapter le droit social , notamment la distinction salariés/indépendants : faut-il créer un statut intermédiaire ? Le travailleur d’Uber ou Airbnb possède plusieurs caractéristiques le rapprochant du travailleur indépendant : il est propriétaire de son outil de travail, il est libre de choisir ses horaires de travail et de servir ou non certains clients ; il peut travailler simultanément avec plusieurs plateformes concurrentes, sans avoir à en rendre compte à aucune d’entre elles; néanmoins, il n’est pas pleinement indépendant dans la mesure où son activité dépend plus ou moins fortement de ces entreprises; il se voit imposer des obligations en matière de prix et de prestations de services.
– Clarifier les critères permettant de qualifier une activité de « professionnelle », dans la mesure où elle encourage la production par des particuliers. La reconnaissance du caractère professionnel d’une activité a des implications en matière de fiscalité et en matière sociale, ce qui n’est pas le cas pour les particuliers “travailleurs” en plateformes.
-Adapter la législation fiscale, sociale et celle relative à la concurrence pour les utilisateurs et les plateformes