La logistique urbaine est le parent pauvre du débat sur la ville


"Des marchandises dans la ville : un enjeu social, environnemental et économique majeur ", Terra Nova, juillet 2017

L’explosion des livraisons directes aux particuliers avec le développement du e-commerce et la multiplication des centres logistiques dans les périphéries de nos agglomérations transforment le paysage urbain et nos modes de vie.

Les emplois liés à ces activités sont très nombreux (290 000 en Île-de-France auquel il faut ajouter l’interim) et stratégiques car ils concernent des personnes à qualification scolaire faible et moyenne. Pourtant, malgré cette visibilité et cette actualité, la logistique reste le parent pauvre des débats et des politiques publiques dans les métropoles. Les villes n’utilisent que faiblement l’arsenal des instruments de régulation dont elles disposent.  

 

Le système de fret est très flexible et s’adapte continûment aux attentes des entreprises et des consommateurs. Mais cette « efficacité » ne s’obtient qu’au prix de lourdes contreparties, environnementales, sociales et urbanistiques.

 

Pour l’Ile de France, ainsi, le transport de marchandise représente 10 à 20% du trafic, mais il est responsable d’un quart des émissions de CO2, d’un tiers des émissions d’oxydes d’azote et de la moitié des particules liées à la circulation urbaine (véhicules anciens, sous-optimisation des activités de livraison en ville, forte utilisation de petites camionnettes, pas toujours bien remplies). A Paris, en 2012, 20% des camionnettes et 15% des poids lourds en circulation avaient plus de 8 ans, un âge moyen beaucoup plus élevé que dans les villes de Scandinavie, du Royaume-Uni, d’Allemagne ou d’Italie.

Le transport en général est un secteur à faibles barrières à l’entrée, et se développent sous des formes particulièrement dérégulées de travail, comme l’explosion des coursiers auto-entrepreneurs travaillant pour des plates-formes numériques.  

 

L’organisation de la logistique constitue enfin un défi pour les politiques d’urbanisme et de gestion de l’espace métropolitain, à différentes échelles : conceptions de la voirie, du parking, au centre de multiples conflits d’usage de l’espace public, dynamique reléguant les fonctions logistiques vers des périphéries de plus en plus lointaines, en contradiction avec les exigences de livraison plus fréquentes vers les cœurs d’agglomération, où sont concentrés les consommateurs. Les distances moyennes parcourues par les camions en sont allongées d’autant : pour le secteur de la messagerie (petits colis), par exemple, la distance moyenne au centre de Paris des entrepôts où les livreurs s’approvisionnent, a ainsi presque triplé depuis 1970 (de 6 à 16 km). Les grandes métropoles assurent ainsi une double fonction logistique. Elles servent de relais et de « hubs » pour les flux à longue portée, tout en organisant la desserte locale. D’ un bout à l’autre des chaînes, les mêmes principes sont à l’œuvre : flexibilité, réduction maximale des stocks intermédiaires et « flux tendus ».  

 

La distribution des marchandises en ville met en jeu une gamme très vaste et hétérogène d’acteurs et de pratiques. On y trouve à la fois de très grandes firmes, comme Amazon, et une multitude de firmes moyennes et petites, sans compter la multiplication récente des auto-entrepreneurs, connectés à des plates-formes numériques. Les petits entrepreneurs individuels ou les PME de très petite taille transportent 80% de tous les envois livrés en ville pour compte d’autrui.  

 

A travers plusieurs lois (loi dite MAPTAM, loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, loi dite NOTRE, loi de transition énergétique), la palette des outils dont disposent les villes, les agglomérations et les régions s’est élargie. Par exemple, les nouvelles zones à circulation restreinte (ZCR) donnent une sécurité juridique aux communes pour favoriser les véhicules peu polluants en ville. Mais, dans les faits, les politiques des villes sont encore souvent très limitées, et parfois peu coordonnées à l’échelle des agglomérations. La culture « transport de marchandises » est peu développée dans les collectivités, en comparaison de l’intérêt porté à la mobilité des personnes. Suivent 8 propositions