L’innovation technologique : le développement des nouvelles entreprises semblerait devoir passer par l’ouverture du capital, voire leur rachat


« 10 ans de création d’entreprises innovantes en France, une photographie inédite », Oseo , lu janvier 2012

Une analyse des 5 500 créations d’entreprise innovantes recensées entre 1998 et 2007 par OSEO, le concours nouvelles entreprises technologiques innovantes, le ministère de la Recherche (aides aux entreprises, crédit impôt recherche, jeunes entreprises innovantes, CIFRE, ANR, pôles de compétitivité, forum du capital risque…) ; 1 075 ont fait l’objet d’une exploration approfondie ; en complément, une enquête Ipsos auprès de 859 entreprises issues de ces fichiers en janvier 2011

 

 

Est considérée comme une entreprise innovante dans cette étude, l’entreprise porteuse d’un projet d’innovation technologique au démarrage (ou au cours des deux premières années d’existence), que ce projet vise une innovation de type produit/service, procédé, mode d’organisation ou de commercialisation.

 

Pendant cette période, des événements d’importance se sont produits : apogée de la bulle internet(2000), puis l’explosion de cette bulle (2001), krach boursier (2000-2002), crise pétrolière (2005), suivie d’un ralentissement économique ; dans le même temps, d’importantes mesures relatives à l’innovation ont été décidées : loi innovation et recherche (1999), statut de la jeune entreprise innovante (2004), mise en œuvre des pôles de compétitivité (2005) et de l’ANR, instauration de la jeune entreprise universitaire (2008), concours national à la création d’entreprise de technologies innovantes MESR (13éme édition en 2011), crédit impôt-recherche et poursuite des incubateurs…Pendant ces 10 ans, 5 500 créations d’entreprises innovantes ont été dénombrées, avec une croissance irrégulière selon les années, ce type d’entreprise étant très sujette à la conjoncture.

 

Sur les 5 500, prés de 2 000 créations d’entreprise innovante (CEI) s’inscrivent dans le champ du numérique (37% dans le secteur du logiciel et du multimédia, 14% dans l’électronique et le traitement du signal) ; 15% relève du génie des procédés (dans des domaines aussi variés que l’énergie, l’alimentation, la chimie, la pharmacie, le génie civil) ; 8% sont localisées dans le champ de la mécanique, 7% dans celui des matériaux, 6% dans les mesures, et 6% dans le champ des biotechnologies.

Observées selon leur activité principale, 32% appartiennent au secteur de l’information et de la communication ; 29% aux activités spécialisées, scientifiques et techniques et 24% à l’industrie manufacturière.

 

Nombre de ces activités sont regroupées dans des pôles régionaux, qui disposent notamment de pôles de compétitivité ; toutefois la répartition régionale suit celle de l’ensemble des créations, avec une proportion plus forte d’entreprises innovantes en Ile-de-France et Rhône-Alpes.

 

Les marchés visés sont ceux du B to B, concentrés à 60% dans les secteurs des TIC, ou ceux des sciences de la vie ; l’objet principal est l’offre de services (52%), de biens (39%), de licences/brevets (21%) voire de procédés (10%) ; une minorité exploitent plusieurs objets, dont très habituellement des services pour faciliter l’installation ou l’appropriation.

Ce sont par ailleurs des marchés nationaux (65%, 44% ne visant que ces marchés), ou internationaux (56%, 35% ne visant que ce type de marché).

 

Du fait des nécessaires levées de fonds, 6 sur 10 sont constituées principalement en SAS ou SASU, puis en SA ; le reste le sont en SARL ou en EURL. La forme juridique évolue peu au cours des 11 premières années (30% des EURL sont devenues des SARL et 50% des SASU des SA, surtout après la 5éme année).

 

31% ont un porteur de projet unique, 19% une équipe de 2 personnes, et la moitié au moins 3 personnes (24% 3 personnes, 26% 4 personnes et plus) ; les femmes connaissent de plus petites équipes (60% au plus 2 personnes), mais moins de projet où elles sont dirigeant unique (20%).

 

En moyenne le capital social de démarrage a été de 92K€, mais 59% avec moins de 50K€, à rapprocher de 47% des CEI dont le projet est inférieur à 100K€ :

 

Moins de 10K€

De 10 à 50

DE 50 à 150

De 150 à 600

Plus de 600

Capital social de démarrage en %

16

43

27

11

3

47% des projets sont inférieurs à 100K€, dans la mesure où ils s’inscrivent dans des travaux visant la faisabilité du projet ; 31% ont mobilisé entre 100 et 500K€ et 22% davantage, avec un montant moyen de 306K€ (pour la moitié, une valeur médiane de 115K€, nettement plus élevée en biotechnologie et électronique) ; ceci étant pour la moitié des projets les dépenses ultérieures se monteront à 411K€ en moyenne.

Rappelons que les projets d’innovation sont plus ou moins avancés au moment de la création juridique de l’entreprise.

 

Les plans de financement, au regard des données contenues dans les plans d’affaire initiaux pour les trois premières années, varient beaucoup selon les entreprises : la moitié estimaient un besoin de moins de 300K€ (dont 150 pour l’innovation) et 43% entre 300 et 600K€ (projet innovation entre 150 et 450K€) ; les hommes ont des projets prés de 2 fois supérieurs en montant de celui des femmes. Les projets en biotechnologie sont plus de deux fois supérieurs aux autres secteurs d’activité (1 220K€ en valeur médiane contre 410 à 552K€).

 

Les dépenses concernent en majorité des frais de personnel (44% des dépenses), de sous-traitance et de collaboration (33%), peu des dépenses d’investissement (11%) et des dépenses liées à la propriété industrielle (10%).

 

Plus des 2/3 des CEI ont monté des partenariats, majoritairement avec des entreprises (74%), mais aussi avec des laboratoires de recherche (51%), et 16% avec des centres techniques ; ces partenariats sont centrés sur la commercialisation de l’innovation (63%), la R&D (56%), 36% la fabrication et 20% l’approvisionnement.92% l’ont fait avec un partenaire français (dont 40% seulement avec un partenaire français), mais aussi la moitié ont contractualisé au moins une fois avec un partenaire étranger .

 

Les ¾ des projets d’innovation ont nécessité en moyenne 20 mois avant de pouvoir aboutir à un résultat déterminant pour le développement de l’entreprise (14% moins d’un an, 54% entre un et deux an, 19% entre deux et trois ans et 13% davantage). Les phases de faisabilité du projet sont plus courtes (en moyenne 18 mois).

 

Les fonctions développées dans l’entreprise : 86% développent eux-mêmes l’activité de conception et de R&D (noter que 20% ne font que de la R&D), 67% la commercialisation, alors que 54% confient la phase de fabrication ; leur stratégie est de sécuriser la chaine de valeur dés le début.

 

Chaque CEI a bénéficié au moins une fois d’un soutien public : 9 sur 10 par OSEO, prés de la moitié d’une collectivité locale (pépinière ou incubateur notamment), plus de 20% via le concours MESR, 17% d’aides européennes (Feder…), 13% d’un pôle de compétitivité. Par ailleurs, 4 sur 10 ont bénéficié du Crédit Impôt-Recherche et 1/3 du statut de la Jeune Entreprise Innovante.

 

Beaucoup ont reçu d’autres appuis : plus des 2/3 ont bénéficié d’aide de leur famille, la moitié de leurs amis, prés de 40% d’un cercle d’entrepreneurs ou de chercheurs  et 20% de leur ancien employeur; 40% ont reçu l’appui de leur banquier, 40% celui d’un investisseur privé et un peu moins de 30% celui d’un consultant.

18% proviennent d’un essaimage (11% d’un laboratoire public, 7% d’une entreprise), alors que 10% sont le fait d’une reprise d’activité (plus fréquent en période de conjoncture difficile).

 

Profil des dirigeants

– Peu de femmes (8%), mais 11% si l’on observe les équipes d’associés

– 71% ont au moins 35 ans, dont 41% de 35 à 45 ans.

– 78% ont un diplôme scientifique ou technique ; 86% ont un niveau au-delà de bac +2, dont 38% ingénieur, 22% docteur et 26% de niveau 2 ou 3éme cycles.

– Les 3/4 avaient une expérience d’encadrement en entreprise : 28% cadre dirigeant, 25% cadre supérieur, 19% cadre et 13% de chercheur ; 2% seulement disent venir du chômage.

Les fonctions exercées sont le plus souvent dans la R&D (un peu plus de 40%), et au même niveau des fonctions de direction ; les femmes avaient plus souvent des fonctions de R&D (42 contre 37%), commerciales (26% pour les femmes, contre 13), ou de gestion/administration (13 contre 8%) alors que les hommes étaient plus présents dans la direction (29 contre 15%), la production (14 contre 8)et de finances (8 contre 5%). 30% occupaient une double fonction (direction et R&D) ; avec le temps, les futurs créateurs se sont polarisés dans des fonctions de R&D ou de commercialisation.

Les ¾ ont au moins 5 ans d’expérience en entreprise ; seulement 10% disent n’en avoir aucune.

 

– 37% viennent d’un milieu entrepreneurial de par leur famille ou leur entourage immédiat (femmes 44, hommes 36%), et 38% ont déjà crée une entreprise avant celle observée (femmes 21 contre hommes 40%) ; de plus 24% créeront une autre entreprise ultérieurement (24 les hommes et 15% les femmes).

 

80% souhaitent continuer le développement de leur entreprise aussi longtemps que possible, envisageant donc peu le fait de vendre rapidement pour tirer des profits conséquents et passer à un autre projet ; pourtant nous verrons dans la suite de l’analyse, que le développement s’accompagne souvent d’une ouverture importante du capital.

 

Les associés ont le même profil que les dirigeants, toutefois assez souvent des formations (1/3 seulement auraient une formation dans la même discipline) ou expériences complémentaires (plus souvent chercheur) ; pour la moitié qui l’ont exprimé, ¼ viennent de la même entité que le dirigeant ; par ailleurs 21% ont un lien de parenté avec le dirigeant (dont 5% le conjoint).

 

-7 sur 10 ont murement réfléchi leur création. Le goût d’entreprendre, le challenge personnel sont les motivations premières (prés de 80%), bien avant l’indépendance (un peu plus de 40%), alors que cette motivation est première pour l’ensemble des créateurs ; prés de 30% disent avoir créé du fait de l’impossibilité de développer le projet dans leur ancienne structure ; autour de 10% disent rebondir professionnellement, ou rechercher une réussite financière.

 

Les craintes sont focalisées sur le risque de situation précaire (31%), la peur de l’échec (29%), ou la perte du capital investi (20%) ; les connaissances insuffisantes en innovation ou en création d’entreprise, l’isolement du dirigeant, le risque de déséquilibre entre la vie familiale et professionnelle totalisent pour chaque item autour de 15%.

Noter que les femmes ont moins confiance en elles (peur de l’échec, 36% contre 28 pour les hommes) et sont plus interrogatives sur leurs connaissances en innovation et création d’entreprise (29 contre 16%) et recherchent plus à être entourées (13 contre 5%), mais elles sont moins préoccupées des conséquences (risque de précarité, perte de l’argent investi ou déséquilibre vie professionnelle/vie familiale).

 

Les leviers de croissance de leur entreprise reposent à leur sens sur 3 pivots (entre 46 et 57%) : l’activité continue de R&D innovation, l’adéquation entre l’offre et la demande sur le marché, la solidité et la cohésion de l’équipe dirigeante ; viennent ensuite le réseau (un peu plus de 30%), l’accès aux financements (20%) et l’export/implantation à l’étranger.

 

Les difficultés rencontrées au cours de l’année de création se sont focalisées autour des clients à trouver (la moitié), du plan de financement à boucler (37%), des recrutements de qualité (32%), de la complexité des démarches à accomplir pour créer leur entreprise (25%), de la solitude du dirigeant (prés de 20%) ; peu autour des locaux à trouver.

 

Au cours des premières années de création, les difficultés se sont axées sur le développement industriel et la commercialisation: le financement insuffisant pour lancer l’innovation (40%), la difficulté à mobiliser les investisseurs et les banques (plus de 30%) ; elles ont été aussi le fait de la complexité administrative et la lourdeur des charges sociales (prés de 40%) et pour un peu moins de 30% chacune, la difficulté à détecter, recruter et fidéliser le personnel, celle de la concurrence trop forte ou de la demande client trop faible ; autour de 15% signalent la difficulté à maîtriser le développement de l’innovation, ou le développement à l’international.

 

L’après création : une pérennité de 85% à 5 ans et la modification du modèle économique de départ.

Les projets d’innovation ont abouti au sens de réussite technologique pour prés de 9 sur 10 ; les échecs sont dus à 60% pour des raisons commerciales et à 40% pour des questions techniques (verrou ou impasse technologique, coût trop élevé de la production, normes et réglementation…).

 

Fin 2009, 70% sont toujours en activité (certains sont en 12éme année d’existence), alors que 7% ont été rachetées et 3% sont en procédure collective (redressement judiciaire ou plan de continuation).

Deux périodes critiques sont propres aux nouvelles entreprises innovantes, la 3 et la 5éme année (plus de défaillances d’entreprises portées par les femmes en 3éme année).

 

90% pratiquent toujours une activité régulière de R&D, mais surtout en interne ou au sein du groupe pour 62%.

 

La moitié ont procédé à une ouverture de capital ; dans 60% des cas, il s’agit de l’entrée de business angels, et de fonds d’investissement pour la moitié ; les femmes ont moins bénéficié de ces apports (32 contre 43% et 42 contre 51%). De ces faits, 54% ne sont plus majoritaires dans le capital de leur entreprise (23% ont moins de 25% du capital, 33% de 25 à 50%, 18% de 51 à 74% et 26% de 75 à 100%).

 

70% ont une dimension internationale, essentiellement l’Europe (92%) mais aussi les USA (1/3) et l’Asie (30%). 20% ont des filiales à l’étranger. L’internationalisation va de pair avec l’ouverture du capital et la présence de partenariat.

 

1/3 des entreprises ont modifié leur modèle économique ; pour 60% d’entre elles, cette modification a surtout pour origine une erreur de positionnement marché.

 

Un essai de classification a été tenté en s’appuyant sur une enquête Ipsos de janvier 2011 auprès d’un échantillon de 859 entreprises (de 3 à 13 ans d’ancienneté) ;

5 classes apparaissent :

– 4% sont des entreprises rachetées où le porteur initial ne détient au plus que 25% du capital

– 5% des entreprises qui ne se sont pas développées et ont cessé leur activité de R&D innovation

– 41% des entreprises « autocentrées », avec un niveau de développement faible :

* peu ou pas de partenariat, de filiale, de ventes à l’export

* des dirigeants majoritaires au capital social

* des projets de taille modeste (moins de 300K€ dont moins de 60K€ pour le projet innovation)

* un changement de modèle économique pour 1/3

* des entreprises plutôt jeunes, plus de femmes (40% des hommes contre 50% des femmes appartiennent à ce groupe)

 

– 38% des entreprises « extraverties »

* une ouverture importante de leur capital qui les conduit à ne plus avoir la majorité ; elles ont connu par le passé un bouclage difficile de leur plan de financement

* 90% ont plus de 5 ans d’ancienneté (dont la moitié au moins 8 ans), le temps de la maturité

* des projets d’innovation pour 44% d’au moins 300K€ pour le projet innovant

* une activité de R&D régulière interne, s’appuyant sur des compétences externes

* la mise en œuvre de partenariat

* 80% sont à l’international

* autant de femmes (35% des femmes) que d’hommes (38%)

 

– 12% « intermédiaires » entre les autocentrées et les « extraverties »

* des entreprises de 5 à 8 ans, dont la phase de maturité n’est pas achevée

* des projets d’innovation de taille moyenne

* 70% ont développé des partenariats et se sont tournées vers l’international

* la R&D est réalisée majoritairement en interne

* l’ouverture du capital est modeste (la moitié sont encore majoritaire)

 

Quelques points de comparaison en termes de données de développement (chiffre médian) 

 

Entr rachetées

Entr non développées

Autocentrés

intermédiaires

extraverties

Chiffre d’affaires en Mil€

1,6

0,472

0,390

0,580

0,580

Effectif en personne occupée

14,5

3,5

4

6

10

Taux d’entreprises exportatrices

45

 

25

37

44

Fonds propres en K€

276

71

149

284

409

Ration de productivité (valeur ajoutée/effectif)    

50

50

38

  Contraintes et levier de développement entre les autocentrées et les extraverties :

Contraintes et leviers Extraverties Autocentrés

Contraintes au moment de la création

Difficulté à boucler le plan de financement

50

31

Difficulté à détecter et motiver les clients

40

40

Difficulté à trouver des locaux et le matériel nécessaire

37

50

Complexité et multiplicité des démarches de création d’entreprise

35

46

Difficultés à recruter les bonnes compétences

34

45

Contraintes après la première année de création

Difficulté à maitriser le développement de l’innovation

49

41

Difficulté à mobiliser les investisseurs ou les banques

49

28

Manque de financement pour le lancement commercial de l’innovation

48

33

Difficulté à détecter, recruter et retenir le personnel

35

45

Lourdeur des charges, complexité administrative

34

43

Leviers pour la croissance

Accès aux financements publics et privés

35

44