Méthodologie : 2 analyses comparées :
• entre les entrepreneurs de moins de 50 et ceux de plus de 50 ans, que l’on définit comme les entrepreneurs seniors,
• entre les entrepreneurs qui ont créé leur première entreprise avant 50 ans et ceux qui l’ont créée après 50 ans, que l’on désigne par le terme «primo-entrepreneur».
Cette étude s’appuie sur une double approche, quantitative et qualitative :
• Une enquête menée entre novembre 2023 et février 2024 avec 1347 répondants (939 entrepreneurs de plus de 50 ans, dont 717 ont entrepris pour la première fois avant 50 ans et 408 de moins de 50 ans),
• 58 entretiens qualitatifs approfondis entre novembre 2023 et juin 2024, avec 19 experts et enseignants-chercheurs, 6 financeurs et assureurs, 5 experts de Bpifrance et 28 entrepreneurs seniors de tous profils (primo entrepreneurs, entrepreneurs seniors, repreneurs après 50 ans…),
• Une analyse sémiologique réalisée avec 10 entretiens qualitatifs complémentaires auprès d’acteurs de l’écosystème du financement entrepreneurial (6 investisseurs et 4 banquiers interviewés).
L’échantillon n’est sans doute pas issu de fichier exhaustif de type Insee recensant l’ensemble des chefs d’entreprise, vu leur répartition dans la taille d’entreprise (la trés grande majorité a moins de 10 salariés dans le fichier Insee, ce qui n’est pas le cas ici) ; idem pour l’activité où l’industrie a un poids plus important dans l’échantillon et les services un poids plus faible.
3 profils sont interrogés : le chef d’entreprise récidiviste, celui qui prolonge sa carrière professionnelle et le chercheur devenu indépendant pour développer ce qu’il n’a pu faire chez son employeur.
⇒ Quelques éléments descriptifs de leur identité.
♦ Les entrepreneurs répondants ont en moyenne 54 ans.
Dans l’échantillon, 50% des entrepreneurs ont entre 47 et 61 ans (en fait, 25% ont moins de 48 ans, 50% moins de 55 ans et 75% moins de 61ans). Ils ont lancé leur première entreprise en moyenne à 37 ans (25% l’ont fait avant 29 ans, 50% avant 36 ans et 75% avant 45 ans) et toutefois moins tardivement que les générations précédentes, qui ont en général démarré après la quarantaine. Ils sont à la tête de leur entreprise depuis plus de 11 ans en moyenne (83% d’entre eux ont créé leur 1ére entreprise avant 50 ans).
Noter que la plupart des entrepreneurs ne se reconnaissent pas dans l’étiquette « senior » attribuée à partir de 50 ans. Pour 80% d’entre eux, la séniorité est d’ailleurs synonyme d’expérience et de maturité, alors que 3% l’associent à un âge avancé ou à des problèmes de santé.
II n’y a pas d’âge pour entreprendre, pourvu qu’on en ait le goût (93% pour les entrepreneurs non seniors vs 87 pour les entrepreneurs seniors).
♦ 53% ont moins de 10 salariés, 33% de 10 à 49 salariés, 12% au-delà ; que l’entrepreneur soit senior ou non, la taille de l’entreprise est proche. Les secteurs d’activité sont sensiblement les mêmes.
♦ 69% sont créateurs de leur entreprise, 36% repreneurs (dont repreneur externe 17%, d’entreprise familiale 15% et de reprise par les salariés 4%) ; les entrepreneurs seniors sont plus souvent repreneurs externes (17% des entrepreneurs seniors, vs 12 des entrepreneurs de moins de 50 ans) ; par contre, ils sont plus rarement successeurs dans l’entreprise familiale (4% vs 13 pour les entrepreneurs non seniors).
♦ Quelques autres caractéristiques :
– Les priorités stratégiques des entrepreneurs seniors sont les mêmes que celles des moins de 50 ans : la pérennité de l’entreprise est la 1ére préoccupation (56%), puis la volonté d’accélérer la croissance de l’entreprise (17, noter que les successeurs familiaux sont ainsi les moins enclins à privilégier la croissance de l’entreprise) ; vient ensuite la volonté de conserver son indépendance financière (15) et son autonomie décisionnelle (12).
– Lorsqu’il est question d’avenir, la détermination comme «nécessité pour s’adapter en permanence », 1er sentiment invoqué par toutes les générations, croît avec l’âge (61% les 50-70 ans, 65 les plus de 70 ans, vs 53 les moins de 40 ans), alors que la crainte de l’avenir s’estompe (10% les 50-60 ans, 7 les 60-70 ans vs 16 les moins de 40 ans).
Les entrepreneurs seniors se sentent même davantage capables de réagir face à l’imprévu, grâce à l’expérience acquise.
– Les entrepreneurs seniors ne se sentent pas en moins bonne santé physique, alors que le reste de la société se déclare en moins bonne santé au fil des années. Par contre, les entrepreneurs de plus de 50 ans dorment mieux et se déclarent en bien meilleure santé mentale que leurs pairs. Ils expriment veiller davantage à leur hygiène de vie. C’est au contraire entre 40 et 50 ans que les signes de santé physique sont plus bas.
– Plus l’âge avance, plus le nombre d’entrepreneurs « très satisfaits » dans leur rôle augmente (plus de 40% après 50 ans, moins de 30% avant).
⇒ Le financement de leur entreprise.
♦ 64% des entrepreneurs seniors voient leur âge comme un potentiel frein auprès des banques (notamment les plus de 60 ans) et 48% une levée de fonds plus compliquée. Les moins de 50 ans partagent des inquiétudes similaires dans des proportions comparables pour l’accès au crédit (38% vs 39 les 50-60 ans et 41 les 60 ans et +, dont trés difficile 15-16) et pour la levée de fonds (41% vs 38 dont trés difficile 016-20).
Noter que 40-41% estiment l’accès facile au crédit bancaire et 17-20% pour la levée de fonds.
♦ Si l’âge ne compte pas pour obtenir un financement, ce qui rend l’accès difficile selon les chefs d’entreprise, qu’ils soient ou non seniors ?
– La taille est jugée rendre l’accès difficile pour les TPE (61-63%), pour les 10-50 salariés (47-52), pour les 50-100 salariés (36-38) et pour les 100 salariés et plus (41-47),
– L’âge de l’entreprise : les moins de 50 ans estiment plus difficile si l’ancienneté de l’entreprise est de moins de 5 ans (61% vs 70 les 50-59 ans et 73 les 60 ans et +), les 5 à 10 ans d’ancienneté (54% vs 60 et 64), les 10-20 ans (52 vs 56, 61), les 20 ans et davantage (42, 44, 46).
– Le statut : peu de différence pour les créateurs (58, 59, 57), ou les successeurs familiaux (44,45,41) mais davantage pour les repreneurs externes (43, 50, 51).
Les entrepreneurs de plus 50 ans et ceux de moins de 50 ans sont logés à la même enseigne : à profils d’entreprises équivalents, à voie d’accès et ancienneté équivalentes, leurs chances d’obtenir un prêt bancaire ou de lever des fonds sont comparables
♦ Le comportement d’investissement pour l’innovation est par contre similaire à celui des autres entrepreneurs. Ils innovent autant que les autres, investissant 10% de leur chiffre d’affaires en R&D (en médiane), comme les moins de 50 ans ; de fait l’investissement en R&D dépend surtout du profil des entreprises (startup ou non, et du secteur), plutôt que de l’âge de l’entrepreneur.
⇒ Les atouts cachés de l’âge :
– L’expérience,
– Le réseau pour 62% des entrepreneurs seniors vs 52% les plus jeunes,
– Leurs charges familiales s’allègent.
– Le patrimoine personnel joue un rôle facilitateur pour plus de la moitié des entrepreneurs.
⇒ Zoom sur les primo-entrepreneurs seniors :
♦ Lorsqu’ils décident d’entreprendre après 50 ans (les primo-entrepreneurs seniors) ont un rapport distancié à l’âge, l’entrepreneuriat est vécu comme un véritable bain de jouvence : réalisation personnelle, sens de leur travail, recherche d’un impact positif sur la société, l’environnement ou le territoire (28% contre 5% chez les autres entrepreneurs seniors).
♦ On y trouve plus de femmes (23% vs 17 les primo-entrepreneurs de 50 ans et moins), plus de TPE (64% vs 52), plus de startups (19% vs 12), de profils expérimentés (davantage d’anciens salariés cadres dirigeants 62% vs 35), plus diplômés (17% titulaires d’un doctorat vs 9) et une recherche d’impact positif sur la société, l’environnement ou le territoire plus prononcée (principale motivation pour 28% vs 18).
Il ne faut toutefois pas négliger l’existence d’une catégorie d’entrepreneurs seniors qui entreprennent par nécessité économique, ce que l’étude ne décrit pas.
♦ Le financement est un enjeu clé pour les primo-entrepreneurs seniors (à la tête de leur entreprise depuis moins de 5 ans), qui cumulent les difficultés (faible expérience entrepreneuriale, âge avancé). Ces derniers ont autant de difficultés à obtenir des financements que les primo-entrepreneurs plus jeunes, qu’il s’agisse de financements bancaires (58% vs 56 pour les plus jeunes) ou d’une levée de fonds (65% vs 62). Noter que 34-35% estiment que cela est facile pour l’accès au prêt bancaire et 14-17% pour les levées de fonds. Une exception, les chercheurs entrepreneurs, notamment dans la deeptech.
⇒ Zoom sur la reprise.
♦ 36% sont repreneurs (dont d’entreprise familiale 15% et de reprise par les salariés 4%) ; les entrepreneurs seniors sont plus souvent repreneurs externes (17% des entrepreneurs seniors, vs 12 des entrepreneurs de moins de 50 ans) ; par contre, ils sont plus rarement successeurs dans l’entreprise familiale (4% vs 13 pour les entrepreneurs non seniors).
♦ La majorité des entrepreneurs ont bien intégré la nécessité d’anticiper la transmission à partir de 50 ans : 72% envisagent de transmettre ou vendre leur entreprise dans les 10 prochaines années, 19% restent indécis sur le sujet et 9% ne le souhaitent pas.
Parce qu’ils entretiennent un rapport existentiel à leur entreprise (« j’ai créé, j’existe »), ils restent plus réticents à l’envisager et à l’anticiper. Mais côté repreneurs externes, 92% ont préparé la transmission à partir de 60ans.
⇒ Zoom sur les femmes seniors.
Base de 145 répondantes (15%), en comparaison avec l’entrepreneur senior (794 répondants).
Les femmes se lancent dans l’entrepreneuriat à un âge plus avancé : 37% à 50 ans et plus vs 23 les hommes.
♦ Caractéristiques des entrepreneures senior :
– Une recherche d’impact positif sur la société (27% contre 17 pour les hommes seniors),
– Mais un goût d’entreprendre moins prégnant (59% vs 71),
– Moins de reprises externes : 13 % (contre 25) et plus de reprises familiales : 11% (contre 5),
– Des entreprises plus petites : seulement 25% d’entreprises de plus de 10 salariés (contre 51 pour les hommes seniors), et moins d’optimisme concernant l’avenir (21% contre 31),
– Des entreprises de tous les secteurs avec une sous-représentation dans l’industrie (9%).
Les femmes seniors disent rencontrer plus de difficulté dans la levée de fonds pour l’investissement (62% dont 30 très difficile vs pour les hommes 58% mais 19 très difficile) ; 9% des femmes l’ont estimé facile vs 18 les hommes.
♦ Caractéristiques des primo-entrepreneures senior (50 répondantes vs 172 pour les hommes primo-entrepreneurs senior)
– Une recherche d’impact positif sur la société encore plus puissante (36% contre 28 pour les hommes seniors et 27 pour les entrepreneures senior),
– Mais un goût d’entreprendre encore moins prégnant (40% vs 62 et 59 pour les entrepreneures senior)
– Encore moins de reprises externes 10% (vs 28 pour les hommes seniors) et plus de reprises familiales 10% (vs 1).
– Des entreprises encore plus petites : 12% de plus de 10 salariés (contre 43 pour les hommes seniors et 25 pour les entrepreneures senior) et plus de crainte concernant l’avenir (18% contre 3 chez les hommes seniors).
⇒ Une typologie :
♦ L’ENTREPRENEUR DE CARRIÈRE (44%) : plongé dans le bain de l’entrepreneuriat depuis son plus jeune âge, il a créé « sa boîte» vers 30 ou 40 ans, et a grandi avec elle. Depuis, il s’est mué en serial entrepreneur et est à la tête de plusieurs entreprises.
Poussé par un désir d’autonomie et un goût pour l’entrepreneuriat, il se lance dans l’aventure entrepreneuriale, avec un niveau de diplôme inférieur à ses pairs (Bac + 5 sous-représentés, CAP / BEP sur représentés) et une courte expérience en entreprise (en tant que simple salarié ou cadre dirigeant). Il peut aussi se lancer à la suite de ses études ou après une première expérience de dirigeant d’entreprise.
Motivé par l’envie d’être son propre patron (75%), il fonde généralement sa propre structure (70% de fondateurs), bien que certains perpétuent un héritage familial (10% contre 6 pour l’ensemble des entrepreneurs seniors). Il est à la tête de son entreprise depuis 20 ans en moyenne et a grandi avec elle. Son goût prononcé pour l’entrepreneuriat l’a conduit à devenir un serial entrepreneur, créant en moyenne 4 entreprises au cours de sa carrière.
Il est à la tête d’entreprises de plus grande taille (PME voire ETI), principalement dans le secteur des services et de l’industrie. Il se finance par emprunt bancaire et autofinancement.
Pour lui qui s’est réalisé toute sa vie dans ses entreprises, généralement actionnaire majoritaire à 100% de son entreprise, la transmission est un défi.
♦ L’ENTREPRENEUR DE LA SECONDE CARRIÈRE (44%) : ancien cadre dirigeant, fort de son expérience et de son réseau, il quitte le confort d’une grande entreprise pour se lancer dans l’entrepreneuriat à la faveur d’un tournant professionnel.
Cadre dirigeant, très qualifié (bac + 5, une riche expérience), il fait face à un tournant professionnel autour de la cinquantaine. Plusieurs déclencheurs possibles : un essoufflement de sa carrière, un manque de sens, une invitation à partir, un licenciement économique ou une revente de leur entreprise d’origine. Il en profite pour rebondir dans l’entrepreneuriat, dans lequel il prospère depuis 10 ans.
Poussé par l’envie d’être son propre patron, et fort de son expérience, il s’oriente plus volontiers vers la reprise (28% de repreneurs externes vs 17% en moyenne chez les seniors, 8% de repreneurs anciens salariés vs 4%). A l’aide de son réseau, l’entreprise à reprendre lui apparaît relativement rapidement, de façon parfois providentielle.
Il est à la tête d’entreprises de tailles variées, allant de la TPE à la PME, principalement dans le secteur de l’industrie et des services. Il finance son entreprise par endettement.
La transition du salariat vers l’entrepreneuriat est un challenge. Le rôle d’un entrepreneur qui remet son titre en jeu chaque année, la responsabilité du CA et de ses employés n’ont rien à voir avec le quotidien d’un cadre dirigeant.
♦ LE CHERCHEUR ENTREPRENEUR (12%) : passionné de recherche (souvent biomédicale), armé de son expertise scientifique, il a fait du laboratoire l’antichambre de son entreprise innovante, voire deeptech.
De formation scientifique, titulaire d’un doctorat (pour 1 entrepreneur sur 3 de ce profil), il a souvent fait ses armes dans un organisme de recherche (Institut Pasteur, CNRS, Inserm…) et devient entrepreneur par passion pour l’innovation scientifique, et parfois par quête personnelle (maladie touchant un proche). Il se lance en moyenne vers 44 ans et peut le faire au-delà de 60 ans, à l’approche de sa retraite de chercheur salarié. Il est à la tête de son entreprise depuis 7 ans en moyenne.
Ce scientifique chevronné quitte la recherche institutionnelle pour créer son entreprise innovante (95% de fondateurs), et tire son énergie entrepreneuriale de sa curiosité scientifique. Sa motivation ? Mettre l’innovation médicale au service de solutions thérapeutiques, pour un impact positif sur la société.
Pour aller jusqu’au brevet et à l’autorisation de mise sur le marché, il dépense plus de 75% du CA en R&D. Son entreprise est une TPE (pour 80%), souvent de moins de 5 salariés, plus souvent une startup (20% vs 6 en moyenne chez les seniors). Il se finance davantage par levée de fonds, apport personnel et love money.
Même avec une expérience de senior, il déclare plus souvent des difficultés de financement, à la fois auprès des banques et des fonds. En cause : la nature de ses projets, plus complexes et risqués, la petite taille et la création récente de son entreprise. L’aide d’un business angel est souvent décisive.
Mon avis : une étude intéressante permettant d’approcher qui sont les entrepreneurs seniors et ceux qui viennent de créer alors qu’ils ont plus de 50 ans et quelles sont les difficultés ressenties pour accéder au financement. Elle est illustrée par des prises de parole de ces différents chefs d’entreprise. Toutefois le périmètre couvert semble celui de développeurs d’entreprise (cf les 3 profils déployés) et pas celui de la globalité des entrepreneurs de plus de 50 ans, telles que les enquêtes Sine de l’Insee les décrit.
Pour en savoir davantage : https://bpifrance-creation.fr/entrepreneur/actualites/il-ny-a-pas-dage-entreprendre