L’économie numérique se singularise par l’importance des phénomènes de rendements croissants : plus une entreprise a de clients, plus elle est «productive», au sens où elle peut offrir un meilleur service pour le même prix, ce qui attire de nouveaux clients. Ce phénomène est lié aux effets de réseau qu’amplifie grandement le numérique avec notamment l’abaissement des coûts de transaction ; les technologies numériques rendent plus l’authentification de l’autre partie d’une transaction, facilitent l’apprentissage de la réputation, permettent de communiquer aisément et de retracer les échanges, et donc d’établir de la confiance entre des parties ; de là vient l’apparition des plates-formes, par lesquelles on peut trouver des clients dans des conditions optimisées et sécurisées. Les rendements croissants viennent aussi des algorithmes d’apprentissage, utilisés pour améliorer constamment leurs performances. De plus, les coûts d’entrée sont faibles (peu de capital physique nécessaire).
Ces caractéristiques poussent les entreprises à la grande taille et à la concentration, ce qui ne signifie pas qu’elles sont exemptes de concurrence, le monopole d’une entreprise étant moins durable dans l’économie numérique que dans les activités de réseau traditionnelles. Même phénomène pour les grandes entreprises numériques entre elles, en proie à une forte concurrence, du fait de la dépendance des utilisateurs ; en effet, dans les services de réseau traditionnels, les économies d’échelle et effets de réseau viennent de l’infrastructure, qui impose des coûts fixes élevés, alors que dans l’économie numérique, les effets sont liés à la confiance inspirée aux utilisateurs.
La France accuse du retard dans l’économie numérique par rapport aux autres pays de l’OCDE : en 2013, les secteurs TIC représentaient 4,3% du PIB en France, contre une moyenne OCDE de 5,5% ; en 2014, seules 64% des entreprises françaises disposaient d’un site Web, contre 76% en moyenne dans l’OCDE ; la même année, seules 17% des entreprises françaises utilisaient les réseaux sociaux pour leurs relations clients, contre 25% dans l’Union européenne. Plusieurs facteurs expliquent ce retard :
– La main d’œuvre : les spécialistes TIC ne représentent que 2,8% de l’emploi, contre 3,5% en Allemagne, 4,1% aux États-Unis et 6,1% en Finlande.
– Des réglementations inadaptées sur les marchés de biens et services, sur le marché du travail et au sujet des faillites d’entreprises
– le manque de fonds d’investissement de grande taille capables de prendre des risques importants sur des durées longues, ainsi que des «business angels» en nombre suffisant
Il faut donc agir sur l’amorçage et la croissance des entreprises numériques, le cadre juridique propice à leur développement et le déploiement d’infrastructures de nature à accélérer la transition numérique de l’économie dans son ensemble et sur la culture entrepreneuriale.
Noter que le travail peu qualifié dans l’économie numérique prend souvent la forme d’une activité indépendante plutôt que salariée (chauffeurs de VTC par exemple) ; elle favorise l’émergence du travail indépendant pour plusieurs raisons :
– L’externalisation est plus facile tant pour les entreprises du fait de la baisse des coûts de transaction que pour les travailleurs dont le coût des actifs nécessaires à l’exercice de leur métier a beaucoup diminué.
– La possibilité d’appariement direct avec les clients sur les plates-formes permet au travailleur indépendant de bénéficier d’une flexibilité sur ses horaires et de combiner plusieurs activités.
– L’individualisation de la réputation des prestataires affaiblit l’avantage organisationnel du salariat (l’entreprise individuelle donne naturellement des incitations plus fortes à la performance)
– Enfin, le statut d’autoentrepreneur constitue une alternative simple et fiscalement avantageuse.
« On peut craindre également que les nouveaux indépendants sous-épargnent par myopie ou manque d’information sur les niveaux de pension auxquels ils ont droit dans le cadre de leur régime de retraite. Contrairement à des professions traditionnellement exercées par des travailleurs indépendants, les travailleurs indépendants du numérique n’immobilisent pas au long de leur carrière un actif tel qu’un fonds de commerce ou une licence de taxi. Faute de cette modalité d’épargne individuelle, l’arrivée à l’âge de la retraite de cette population pourrait révéler des difficultés économiques inédites… Il faut donc non seulement les informer de la nécessité d’épargner, mais aussi leur offrir un dispositif simple d’épargne individuelle fiscalement avantageux et facilement portable, couplé à un dispositif de calcul de leur future retraite. Les administrations sociales pourraient déployer les infrastructures logicielles nécessaires, accessibles elles aussi via des API, pour que des opérateurs (plates-formes de l’économie collaborative ou tiers spécialisés) promeuvent ces dispositifs auprès de ces micro-entrepreneurs et les opèrent pour leur compte ».
Et plus loin dans le texte « l’emploi peu qualifié dans l’économie numérique repose en France sur le statut de l’autoentrepreneur…certains lui reprochent une concurrence déloyale avec les entrepreneurs de droit commun ; d’autres déplorent son plafond bas…Face à ces critiques, il nous semble important de pérenniser le statut d’autoentrepreneur tout en réduisant les distorsions fiscales qui lui sont liées. »