L’évolution des comportements des épargnants ne s’explique pas par un changement de leurs préférences, qui sont restées statistiquement stables depuis juin 2007, mais surtout à des anticipations de plus en plus sombres concernant le rendement et le risque des actifs financiers.


« mesurer les préférences des épargnants : comment et pourquoi (en temps de crise) ? », INSEE, Economie et Statistique n° 467-468

Avec ses cinq vagues de 1998 à 2011 qui comportent une forte dimension de panel, le cor­pus de données Pater apporte des informations complémentaires aux enquêtes Patrimoine de l’Insee sur des aspects plus subjectifs et qualitatifs des comportements patrimoniaux.

il s’agit surtout d’une approche méthodologique, mais les résultats peuvent  notamment éclairer le risque pris par les financeurs « privés » de la création d’entreprise ; à mettre aussi en parallèle avec l’enquête Finansol

 

« Résumons les résultats de la méthode de sco­ring obtenus sur les 5 enquêtes Pater ; à chaque fois, les préférences de l’épargnant ont pu être représentées par 4 scores cohérents : un score d’attitude face au risque, deux mesures de la préférence pour le présent – impatience (à court terme) et préférence temporelle (à long terme) –, et un score d’altruisme.

 

les hommes sont plus tolérants au risque que les femmes, et, de même, les jeunes que leurs aînés ; les gens mariés et les enfants d’entrepreneurs individuels font preuve d’une plus grande tolérance au risque ; en revanche, l’idée souvent admise que l’éducation favorise la prise de risque n’est confirmée que sur deux enquêtes. Par ailleurs, l’enquêté « voit » toujours à plus long terme (faible préférence temporelle pour le présent), s’il est âgé, diplômé et en couple. En revanche, la plus grande prévoyance des femmes n’est attestée que dans les trois dernières vagues.

 

Une moindre tolérance au risque va de pair avec une plus grande prévoyance, mais aussi avec une moindre impatience et un altruisme plus élevé ; l’effet négatif le plus fort porte sur la possession d’actions (3 et 4% contre 18 en moyenne pour l’ensemble des répondants) ; l’altruisme favorise d’abord la détention d’assurance décès ; enfin, la détention du logement et des livrets d’épargne diminue avec la tolérance au risque et la priorité accordée au présent.

 

Depuis la crise, les épargnants sont devenus de plus en plus prudents dans leurs comportements financiers. Selon l’étude trimestrielle SoFia réalisée par Tns‑Sofres auprès de 12 000 panelistes (dont ceux des enquêtes Pater), le nombre d’actionnaires français déclarés a diminué de 40% depuis la chute de Lehman Brother entre décembre 2008 et juin 2012 (de 13,8% à 8,3% en moyenne), alors qu’augmentent de 30% les sommes déposées sur le livret A.

Cette tendance à la prudence ressort également des enquêtes pater 2009 et 2011, à travers les réponses des enquêtés à la question plus subjective : « Diriez vous que depuis la crise financière, vous êtes devenus plus prudent, moins prudent, ou vous n’avez pas changé ? » ; si la moitié des ménages déclarait en 2009 qu’ils n’avaient pas changé, l’autre moitié, qui se recrutait principalement parmi les classes les plus défavorisées et exposées à la crise (peu diplômées, à faibles revenus), se déclaraient plus précautionneux ; en 2011, cette opinion est même devenu majoritaire (54% contre 43%).

 

On observe ainsi, depuis la crise, une intention majoritaire d’investir dans des actifs plus sûrs : hausse de 25% entre 2009 et 2011 des produits d’épargne logement, et de 22% des livrets d’épargne  ; pour les assurances vie, le solde est toujours positif, mais il a sensiblement diminué entre les deux dates (de 25% à 13%) ; par contre, les épargnants s’éloignent du marché boursier de manière permanente, avec une différence négative de 11 à 18% pour les Fonds communs ou les Sicav, et entre 15 et 20% pour les actions.

 

Néanmoins, de différences fortes existent entre les riches actionnaires et les travailleurs précaires ; le dilemme entre un désir de précaution accrue et la volonté de maintenir son niveau de vie s’est posé avec acuité ; toutefois, un constat ressort clairement : les ménages français, face à la crise, ont adopté en moyenne un comportement financier plus prudent, désirant épargner davantage dans des placements plus sûrs et limiter parallèlement leurs investissements risqués.

 

 Comment interpréter ce surcroît de prudence des épargnants dans leurs comportements ? Provient il d’une modification des préférences (hausse de l’aversion au risque), d’une révision des anticipations boursières en matière de rendement ou de volatilité des actifs, ou d’une adaptation au nouvel environnement macroéconomique (baisse des ressources, augmentation du risque de chômage, évolutions futures des revenus salariaux plus incertaines, etc.) ? Plus généralement, les comportements patrimoniaux vont dépendre de l’interaction entre ces trois composantes qui renvoient aux trois subdivisions du temps, passé, présent et futur :

– les préférences à l’égard du risque, du temps, qui sont héritées de l’histoire passée de l’individu (son enfance, etc.)

– les ressources disponibles ou les dotations présentes, qui comprennent : les ressources entachées d’un degré d’incertitude (tel qu’il est perçu par l’épargnant), les capitaux de santé, d’éducation…, les capacités cognitives, qui déterminent notamment le niveau d’information de l’individu.

– les anticipations et croyances à l’égard du futur : le revenu du travail futur, les probabilités de chômage, le rendement et le risque attendus sur les actifs financiers ou immobiliers, l’inflation, les contraintes de crédit, mais aussi les anticipations sur soi-même (goûts et état de santé futurs, probabilités de survie), les anticipations sociales de long terme (droits personnels à la retraite, devenir du système de retraite et de l’Etat providence)

 

Tous ces éléments peuvent être synthétisés dans la relation empirique suivante : Comportements = f (préférences, ressources présentes, anticipations)

 

Les anticipations dans la crise : les Français de plus en plus pessimistes

Concernant le marché boursier, on constate que le rendement moyen anticipé décroit fortement sur la période : de 5,6% en 2007, il est passé à 0% en 2011 après avoir baissé de 2 points en 2009 (3,6%). Les Français sont donc de plus en plus pessimistes en ce qui concerne la bourse et il n’est alors pas étonnant qu’ils aient tendance à s’en éloigner. L’analyse économétrique des anticipations de rendement espéré à 5 ans montre que les hommes sont plus optimistes que les femmes ; les chefs d’entreprises sont plutôt inquiets, les cadres plutôt confiants ; le fait de lire la presse économique ou d’avoir une bonne culture financière incite à voir le marché boursier sous un meilleur œil ; disposer d’un patrimoine important et avoir connu des gains récents sur ses actifs financiers favorise l’optimisme boursier.

De la même façon, les anticipations des ménages relatives aux évolutions futures de leur revenu du travail ont été revues à la baisse : globalement, les Français voyaient, sur les 5 ans à venir, leur revenu augmenter en moyenne de plus de 3% en 2007, de 2% en 2009 mais anticipaient une stagnation en 2011

La révision à la baisse des anticipations professionnelles et boursières pourrait donc expliquer pour une part importante les comportements plus précautionneux des ménages depuis la crise, avec des évolutions plus marquées encore après 2009. Mais qu’en est-il des préférences ?

 

Le constat est clair : les ménages français sont devenus moins tolérants au risque, et plus prudents dans leurs choix patrimoniaux ; si l’on s’intéresse aux préférences à l’égard du temps, le constat est moins tranché : la crise n’aurait que peu affecté la prévoyance sur le long terme.