Lorsque plusieurs propositions de reprise se font concurrence à l’égard d’un même débiteur, les engagements en faveur du maintien de l’emploi priment


« Entreprises en difficultés : l’arbitrage des tribunaux entre maintien de l’emploi et apurement du passif", Insee ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 443 , lu décembre 2011

 Cette étude s’appuie sur un échantillon composé de 858 entreprises défaillantes sur la période 1989-2005 dont le dossier est clôturé au moment de l’enquête ; les données ont été collectées dans les tribunaux de commerce (Paris et région parisienne) ; la moitié environ des entreprises appartiennent au secteur des services, tandis que l’autre moitié se répartit de manière équilibrée entre commerce et industrie. Ce sont essentiellement des PME et en majorité (entre 86 % et 96 %) sous statut de responsabilité limitée (SA, SARL, EURL). Les deux tiers relèvent de la législation du 25 janvier 1985, le tiers restant de la réforme du 10 juin 1994. Ce choix de terrain se justifie par la qualité de l’information collectée dans les greffes concernés, la disponibilité des données, les conditions de faisabilité de la collecte manuelle et le rôle actif de ces tribunaux dans la prévention depuis 1994. L’échantillon présente donc un biais régional.

 

La loi française du 25 janvier 1985 sur la liquidation et le redressement judiciaire des entreprises  a doté les tribunaux d’un outil de politique industrielle prioritairement destiné à protéger les entreprises en difficulté. La réforme du 10 juin 1994  « perfectionne »  la législation précédente ;  en particulier, elle accroît le volet préventif de la législation en renforçant le règlement amiable, la sauvegarde des entreprises devant l’emporter sur le désintéressement des créanciers. Lorsqu’une entreprise en difficultés fait défaillance, les tribunaux de commerce doivent arbitrer entre le maintien de l’activité et de l’emploi et l’apurement du passif.

 

Mais la probabilité qu’une entreprise soit redressée ne dépend pas seulement de ses caractéristiques propres, et de la législation mais aussi de la manière dont les tribunaux gèrent la procédure. Ces derniers jouent donc un rôle essentiel.

 

Les caractéristiques des entreprises défaillantes de l’échantillon :

 

Législation du 25 01 85 (596 observations)

Législation du 10 juin 1994 (262 observations)

Cession

Continuation

Liquidation immédiate

Liquidation après observation

Cession

Continuation

Liquidation immédiate

Liquidation après observation

Nombre d’observations

102

88

320

86

88

74

80

20

En société %

92

86

88

86

87

87

96

92

Activités

Services %

52

53

44

47

53

55

55

56

Industrie%

26

34

33

30

25

23

24

32

Commerce%

23

13

24

22

22

22

21

12

Total

100

100

100

100

100

100

100

100

Nbre moyen de salariés

31,7

11,6

3,5

12,3

37,2

11,0

7,4

30,0

CA en milliers€

5 174

1 477

512

1 870

3 694

1 219

519

1 063

Actifs-dettes

-3 259

-975

-295

-2 666

-2 022

-566

-354

-2 564

Taux de couverture %

36,1

70,3

16,3

24,4

50,1

55,1

37,3

46,2

Durée de la procédure (mois)

6,9

13,9

0,1

6,5

8,7

15,5

0

9,6

                 

 Quels résultats sont avancés dans le cadre de cette étude ?

 

-Les taux de recouvrement moyens ne sont pas plus faibles en redressement judiciaire qu’en liquidation judiciaire (particulièrement vérifié pour les plans de continuation dont les taux de recouvrement sont en moyenne plus élevés). Ce résultat est essentiel car il contredit la prédiction selon laquelle le redressement judiciaire serait une solution destructrice de valeur pour les créanciers.

 

Les issues les plus favorables aux créanciers sont les cas de redressement judiciaire : toutes créances confondues, les cessions et les continuations conduisent en moyenne, à un recouvrement supérieur ou égal aux liquidations (entre 20 % et 24 % pour les plans de cession et 72 % pour les plans de continuation) y compris pour les liquidations immédiates. Les passifs moyens sont majoritairement composés de créances chirographaires, mais pas de manière écrasante ; la part moyenne des privilèges spéciaux est moindre sur le second échantillon et celle des créances superprivilégiées généralement faible,

 

Lorsque plusieurs propositions de reprise se font concurrence à l’égard d’un même débiteur, les engagements en faveur du maintien de l’emploi  priment : le maintien de l’emploi est la première qualité identifiée sur ces propositions, suivi par l’expérience du repreneur, puis par sa solidité financière. Les principales motivations de rachat (pour les plans acceptés) sont la recherche de synergies et l’absorption d’un concurrent  quelle que soit la période considérée, le maintien annoncé de l’emploi accroît toujours la probabilité de sélection par le tribunal. Peu d’autres variables sont significatives (en dehors de la diversification d’activité et la reprise sous forme d’une première affaire)

Le prix de rachat moyen des propositions acceptées oscille entre 315 000 et 750 000€, le prix proposé représentant environ un quart des dettes. Les entreprises cédées sont en moyenne plus grandes que les autres, la taille et le chiffre d’affaires étant manifestement un facteur d’attractivité pour les repreneurs (réputation, parts de marché, étendue du réseau commercial, etc.). À l’opposé, les entreprises liquidées, notamment les liquidations immédiates, sont les entreprises les plus petites.

 

L’action des tribunaux (dont on a vu qu’elle augmentait les chances de redressement) ne nuit pas aux créanciers. Elle est seulement sans effet. L’enjeu social du dossier ne semble donc pas plus contrarier que favoriser le désintéressement des créanciers. Le taux de recouvrement total ne dépend pas directement de la taille de l’entreprise défaillante.

 

Plusieurs causes recensées par l’entreprise peuvent se cumuler et participer au déclin qui a conduit l’entreprise à la défaillance : on recense en moyenne 1,8 à 3,5 causes signalées par entreprise. Les problèmes de débouchés sont la cause la plus fréquemment signalée ; dans le cas de la liquidation immédiate, le fait des plus petites entreprises, la production est peu en cause :

 

Législation du 25 01 85 (596 observations)

Législation du 10 juin 1994 (262 observations)

En %

Cession

Continuation

Liquidation immédiate

Liquidation après observation

Cession

Continuation

Liquidation immédiate

Liquidation après observation

Débouchés

54

48

53

65

56

47

56

68

Stratégie, gestion

48

38

38

48

32

22

23

36

Production

40

44

20

29

27

24

15

32

Finance

56

34

31

43

25

26

23

24

Accident

23

30

32

33

25

35

19

28

Environnement

23

30

32

33

25

35

20

28

Nbre moyen de causes

3,5

3,0

2,4

3,1

2,3

2,3

1,8

2,8