Les fondateurs de start-up conjuguent innovation, levée de fonds, associé(s) et culture entrepreneuriale.


"Des inégalités d’accès aux inégalités de succès : enquête sur les fondateurs et fondatrices de start-up", Travail et Emploi N°159, article de Marion Flécher, lu juin 2020

Méthodologie : une double enquête menée entre 2016 et 2018 dans le cadre d’une thèse portant sur les modes de création et d’organisation des start-up en France et aux États-Unis ; une enquête :

 * qualitative menée depuis 2016 par entretiens auprès de 40 fondateurs et 12 fondatrices de start-up, menée par entretiens

* et quantitative, menée en ligne par questionnaire de 52 questions auprès de 501 fondateurs et fondatrices de start-up Puisque les contours et les caractéristiques de la catégorie étudiée font débat, le choix a été d’interroger ceux et celles qui se reconnaissent dans ce modèle entrepreneurial et qui se définissent comme étant des fondateurs et fondatrices de start-up.

Le fichier initial a été constitué en ligne avec l’appui de 50 structures d’accompagnement dédiées aux start-up (incubateurs, accélérateurs, pépinières, etc.) et celui de groupes Facebook (« Paris Startup Ecosystem », « French Startups »), ainsi que sur LinkedIn ; ces appuis ont conduit à recenser 1 500 personnes répondant aux mots-clés « fondateurs/fondatrices » ou «cofondateurs/cofondatrices». 501 réponses ont été obtenues.  Cet échantillon comporte plusieurs limites : puisque la taille de la population étudiée est inconnue et inquantifiable, il ne saurait en être statistiquement représentatif. Néanmoins, cette enquête révèle des tendances très marquées, tant dans les profils des entrepreneurs que dans les caractéristiques des entreprises créées, et constitue la plus large base de données existante sur les individus se disant fondateurs et fondatrices de start-up.

 

L’article permet de cerner ce qui constitue une start-up, conduisant à dépasser les confusions souvent entretenues à la fois dans les média, les acteurs de la création d’entreprise et les entrepreneurs eux-mêmes, s’appropriant l’aura de cette appellation.

 

  • Définition de la catégorie start-up

Étymologiquement, le terme start-up désigne de jeunes entreprises censées connaître une croissance rapide et exponentielle (up) dès le démarrage (start), mais il ne renvoie à aucune catégorie juridique d’entreprise.

 

Jusqu’au début des années 2000, le terme start-up renvoyait à des entreprises porteuses d’innovations techniques dans le domaine de l’électronique et de l’informatique, avec l’idée que leur activité permettrait de créer de nouvelles richesses. Auparavant, elles constituaient un modèle entrepreneurial propre aux secteurs de la biologie et des NTIC et incarnaient l’utopie d’un nouveau rapport au travail, affranchi des contraintes hiérarchiques.

 

D’après l’Agence du numérique, une start-up est une « jeune entreprise innovante, à la recherche d’un modèle économique, qui lui assurera une croissance très forte et très rapide, avec un développement international ».

 

Selon Bpifrance, « il y a une différence fondamentale entre une entreprise et une start-up, dans la mesure où « le caractère innovant de son offre et de son modèle économique ne permet pas de définir clairement toutes les composantes de son marché et de lui assurer une rentabilité immédiate » ; quel que soit le secteur d’activité, ce ne sont alors ni l’âge, ni la taille qui font d’une entreprise une start-up, mais les 3 conditions suivantes : la perspective d’une forte croissance, l’usage d’une technologie nouvelle, et le besoin d’un financement important.

C’est cette définition que reprend la présente étude.

 

Rappelons aussi que la création de start-up ouvre le droit à de nombreux avantages, tant dans les formes de financement (subventions publiques, exonérations de cotisations, crédits d’impôts, etc.) que dans les manières de les héberger et les accompagner (espaces de coworking, pépinières, incubateurs, accélérateurs…).

⇒ Quelles différences entre start-up et entreprise classique ?

♦ La différence fondamentale résiderait dans le fait que les premières chercheraient à expérimenter et tester leur marché alors qu’elles ne sont pas encore rentables, tandis que les secondes cherchent à supporter leurs coûts grâce à leurs profits.

 

♦ L’enquête quantitative indique de fait que la plupart des start-up ne génèrent pas un chiffre d’affaires suffisant pour financer leur croissance, de sorte que leurs créateurs et créatrices doivent se tourner vers des sources de financement extérieures. Or, les projets de start-up représentent un risque trop important pour les institutions classiques de financement que sont les banques d’où le développement des organismes de financement spécifiquement dédiés à ce modèle économique (levée de fonds), le montant des subventions étant rarement suffisant pour financer la croissance espérée.

 

Ces investisseurs peuvent être d’anciens entrepreneurs ayant fait fortune, des « business angels », ou des fonds de capital-risque spécialisés dans l’investissement à risque, espérant un retour sur investissement futur via leurs parts de capital investis. Le recours aux fonds de capital-risque concerne moins de 1% des entreprises nouvellement créées ; dans l’échantillon, 29% des fondateurs ont levé des fonds.

 

La valorisation de la start-up est donc une étape clé du processus de levée de fonds, dépendant moins de la rentabilité des start-ups et des prévisions présentées dans le business plan que de la confiance qu’accordent les investisseurs au projet et à l’équipe de fondateurs.

 

♦ Autre critère, le caractère « innovant » des projets.

La plupart des start-up françaises actuelles portent des innovations « incrémentales » plutôt que « radicales » : un nouveau produit, un nouveau service ou un nouveau procédé marketing qui vise à répondre à un besoin spécifique ou à améliorer l’existant

D’après l’enquête, ceux qui ne considèrent pas leur entreprise comme innovante ont beaucoup moins de chances d’accéder à ces dispositifs : 80% se disent innovantes dans l’enquête et ont reçu pour 91% des subventions, pour 90% des levées de fonds, pour 88% un accompagnement spécifique.

Créer une entreprise innovante, c’est donc avant tout mettre en récit l’innovation, « raconter une histoire, rendre accessibles des enjeux techniques, et faire apparaître un futur plausible dans lequel la nouvelle entreprise a une place »

 

♦ Autre caractéristique, la volonté et la capacité dont font preuve les fondateurs à se réclamer de ce modèle d’entreprise.

Pour Bpifrance, une start-up, c’est avant tout une équipe déterminée, ambitieuse et complémentaire. En outre, les rares enquêtes sociologiques consacrées à ce modèle d’entreprise ont fait du caractère collectif de sa création une de ses grandes spécificités. Néanmoins, si les fondateurs entreprennent à plusieurs, c’est aussi parce qu’ils y sont encouragés par les instances de financement et d’accompagnement dédiées.

 

87% des fondateurs de l’échantillon ont au moins un associé, vs 15% pour les entreprises classiques. 32% de l’échantillon ont rencontré leur associé dans leur milieu professionnel, 23% au cours de leurs études, 27% parmi leurs amis, 15% en participant à des forums, salons et autres événements dédiés aux start-up, mais rarement au sein de leur cercle familial.

 

S’ils insistent sur les relations de confiance et de complémentarité présidant au choix de leurs associés, le capital est rarement distribué de manière égale entre les fondateurs, notamment entre ceux qui revendiquent être à l’origine de l’idée de création et ceux qui se seraient plus investis que d’autres. Les tensions ne sont donc pas rares au sein des équipes de fondateurs.

⇒ Le profil des fondateurs de start-up

L’enquête révèle qu’ils sont loin de partir de rien et sont plutôt sur-sélectionnés, tant du point de vue de leur origine sociale que de leur trajectoire scolaire et professionnelle.

 

♦ Ils forment une population très diplômée par rapport à l’ensemble des créateurs d’entreprise. Alors que, d’après l’enquête Sine (2014), 13% n’ont aucun diplôme, 45% un niveau de diplôme inférieur ou égal au baccalauréat, et 42% un niveau supérieur contre 80% des fondateurs de start-up un niveau de diplôme équivalent ou supérieur à bac + 5.

 

Le type de diplôme diffère : 35% des fondateurs sont diplômés d’une école de commerce et 21% d’une école d’ingénieurs (écoles portées sur la sensibilisation et la préparation à créer des entreprises) vs 7% des créateurs d’entreprise classique pour les 2 types d’écoles. 

25% des fondateurs ont créé leur start-up à la sortie de leurs études, vs 3 % de l’ensemble des créateurs.

 

♦ 64% étaient d’anciens cadres, 49% des salariés du privé ; seulement 5% étaient au chômage avant la création de leur entreprise.

 

♦  Leurs motivations : indépendance et épanouissement personnel ; la création de start-up répond moins à une nécessité qu’à un désir d’accéder à une position sociale dominante tout en se réalisant subjectivement dans la création. Le « goût d’entreprendre » est cité par 83%, le désir d’indépendance par 53%, la création de start-up étant un moyen de se soustraire au statut subordonné de cadre pour accéder à une position de dirigeant beaucoup plus rapidement que par l’ascension des échelons hiérarchiques. Même en cas d’échec, les fondateurs de start-up perçoivent cette expérience entrepreneuriale comme une marque de prestige qui leur permettra de prétendre à des postes plus élevés et d’accélérer leur carrière.

 

Dans l’enquête, cette quête d’indépendance concerne plus souvent les femmes que les hommes ; comme pour les « mompreneurs », on retrouve des fondatrices très diplômées et bien insérées dans une activité salariée qui, ne voyant pas dans le salariat une sphère d’affiliation enviable, cherchent à entreprendre pour gagner en indépendance et s’accomplir personnellement.

 

La plupart des fondateurs de start-up étaient bien insérés sur le plan professionnel. Lorsqu’ils décident de se lancer, la stratégie la plus répandue consiste à négocier une rupture conventionnelle avec leur employeur pour bénéficier, pendant deux ans, d’une indemnité de chômage proportionnelle à leur salaire antérieur, un revenu apprécié alors que leur entreprise ne génère encore aucun chiffre d’affaires.

69% ont adopté le statut de chef d’entreprise salarié.

 

♦ Les entrepreneurs de start-up viennent pour la plupart de milieux sociaux favorisés, impliqués dans le process entrepreneurial : 20% ont un père indépendant, et 53% un père cadre. Le modèle entrepreneurial est donc investi par des individus déjà fortement dotés ou déjà socialisés à « l’esprit d’entreprise ». De plus, Ils bénéficient de l’appui moral de leur famille, mais peuvent également compter sur leur réseau professionnel pour les aider dans la création. Ceux qui ont fait les grandes écoles sont parmi les plus dotés socialement (61% des diplômés d’une école de commerce ont un père cadre).

 

“Tant du point de vue de leur niveau de diplôme que de leur trajectoire professionnelle, les fondateurs de start-up sont loin de partir de rien, disposent de nombreuses ressources, savent qu’ils pourront rebondir facilement en cas d’échec et ne prennent pas de risques trop importants.”

Alors que l’entrepreneuriat peut constituer un puissant vecteur de mobilité sociale pour les individus issus des classes populaires, ce n’est pas le cas de la création de startup, réservée à une frange favorisée de la population

⇒ Un univers à plusieurs vitesses

Une analyse des correspondances multiples (ACM) mettant en regard les caractéristiques sociales des fondateurs avec les caractéristiques de leurs entreprises a été faite, montrant une forte hétérogénéité du monde des start-up, qui regroupe des entreprises très différentes du point de vue de la taille, du stade d’avancement, du type d’innovation porté ou encore des financements obtenus.

 

Le premier plan factoriel de l’ACM se structure autour d’un axe horizontal qui oppose des entreprises n’ayant pas levé de fonds à des entreprises ayant levé des fonds, et un axe vertical opposant des entreprises de petite taille à des entreprises plus grandes.

 

♦ Le modèle idéal-typique de la start-up est constitué de deux classes, totalisant 31% de l’échantillon ; elles se différencient principalement par la taille :

 – La classe 3 (21% de l’échantillon) regroupe des entreprises de petite taille (moins de 20 salariés), bien parties pour connaître une croissance importante. Leur activité est considérée comme innovante; ces entreprises ont bénéficié d’un accompagnement à la création de start-up, sont hébergés dans des incubateurs ou des accélérateurs et sont parvenus à décrocher tous les types de financement dédiés (prêts d’honneur, subventions Bpifrance et concours de start-up).

En termes de profil, ils sont diplômés d’écoles d’ingénieurs, ont des associés et génèrent entre 50 000 et 500 000€ de chiffre d’affaires annuel. S’ils n’ont que récemment créé leur entreprise (entre 2014 et 2018), ils ont déjà réalisé une à deux levées de fonds.

 

– La classe 4 (10% de l’échantillon, réunit des start-ups également financées par levées de fonds, mais ces entreprises sont plus grandes et ont connu une importante croissance. Elles ont entre 20 et plus de 100 salariés ; les levées de fonds dépassent les 10M€, elles génèrent plus d’un million d’euros de chiffre d’affaires et bénéficient de locaux propres pour héberger leurs équipes. On y trouve principalement des entreprises porteuses d’innovation technologique, créées entre 2010 et 2014, voire avant 2010.

Le profil de leur fondateur est proche du précédent

 

♦ 2 classes regroupent des entreprises qui ne sont pas à proprement parlé des start-up

 

 -La classe 1 (14%) regroupe des entreprises ne dégageant aucun chiffre d’affaires, créées par des individus sans associés, qui travaillent à domicile, qui n’embauchent aucun salarié et qui n’ont touché aucune subvention ni aucun prêt d’honneur. Plus souvent célibataires et âgés de moins de 30 ans, ce sont des individus qui entreprennent à l’issue de leurs études sous le statut d’auto-entrepreneur ou d’étudiant-entrepreneur, mais qui n’ont pas encore créé juridiquement leur entreprise. S’ils n’ont pas encore levé de fonds, c’est donc avant tout parce qu’ils en sont encore au stade du projet et ne se sont pas encore engagés dans la création de leur entreprise à plein temps.

55% semblent porter des entreprises dont les caractéristiques s’écartent clairement de la définition institutionnelle de la start-up.

– La classe 2 compte des entreprises qui ont été créées juridiquement entre 2014 et 2018, sous forme de SASU (société par actions simplifiée unipersonnelle) ou de SARL (société à responsabilité limitée), par des entrepreneurs solitaires. Ils n’ont pas bénéficié d’un accompagnement à la création, n’ont pas décroché de subvention de Bpifrance ni de prêt d’honneur et ne considèrent pas leur activité comme innovante. Ils se sont principalement financés par fonds propres et n’embauchent pas ou peu de salariés.

 

Les fondateurs des entreprises des classes 1 et 2, assez éloignés des caractéristiques idéal-typiques des start-up sont d’anciens salariés ou des inactifs, le plus souvent des femmes, qui travaillent à domicile et entreprennent sous le statut de chômeur ou d’indépendant.

⇒ Quelles sont les caractéristiques sociodémographiques des fondateurs et leurs modes de création, pour s’inscrire dans une forte probabilité de levée de fonds ?

La levée de fonds est une condition nécessaire, et discriminante de la réussite des start-up. L’auteure de l’étude a cherché à mesurer, par une régression logistique, ces déterminants.

La probabilité de lever des fonds est 5,3 fois plus importante pour un entrepreneur qui a des associés, 2,4 fois plus s’il est un homme et 2 fois plus s’il est d’être diplômé d’une grande école.

Cette probabilité est 2,4 fois plus importante si le projet est considéré comme innovant.

 

Pour en savoir davantage : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/02-tete-159-article-2-flecher.pdf