Opportunité et risques pour les micro-entrepreneurs sur les plateformes participatives


"LA FRANCE DU BON COIN Le micro-entrepeneuriat à l’heure de l’économie collaborative." Institut de l'Entreprise, septembre 15

Une note de l’Institut de l’Entreprise,  demandé à David Ménascé dont une synthèse a été publiée par Usine Digitale du 11 septembre 2015; elle est rediffusée en mai 2016 dans le cadre du débat actuel autour des plateformes participatives, note dont je tire nombre de citations.  

 

“En France, tirant parti de la flexibilité introduite par la création du statut juridique d’auto-entrepreneur et s’appuyant sur des places de marché digitales en plein essor, plus de 200 000 personnes proposent leurs services pour des missions ponctuelles (bricolage, transport de personnes, déménagement, etc.).

La demande existe : selon un sondage Ifop de 2014, 23% des Français ont déjà acheté des services sur Internet … C’est ainsi que, presque malgré lui, le site Leboncoin est devenu un acteur majeur du marché de l’emploi  

“L’accès au marché est vital pour certaines populations fragiles. Je me suis penché sur ces petits entrepreneurs, en essayant de respecter leur diversité, puisque pour certains c’est une question de survie et pour d’autres c’est un confort. Je voulais entendre leur voix. Tout le monde a un avis sur Uber Pop ou Leboncoin, mais peu de gens écoutent ce qu’ont à dire les personnes pour lesquels c’est un moyen d’accéder au marché, à un travail….Dans les débats actuels sur le droit du travail, je suis frappé de voir à quel point on ne tient pas compte du développement de la micro-activité”  

 

“Cette tendance s’est accentuée grâce au numérique qui est aussi un mouvement de fond. On l’oublie parfois, mais cette évolution est liée à l’urbanisation… Le salariat n’est plus l’alpha et l’oméga qui fait rêver, et pas seulement pour les plus jeunes. Ce qui intéresse les utilisateurs, ceux qui travaillent de cette façon, c’est souvent la flexibilité. Ils peuvent choisir quand ils travaillent....

L’indépendance est une valeur montante. Etre auto-entrepreneur c’est valorisant pour certaines personnes. Ne soyons pas naïf non plus : pour certains la micro activité est une contrainte, pas un choix. Pour cela, il faut trouver des moyens de concilier micro-entreprenariat et une certaine stabilité. Sans pour autant que cela dissuade ceux qui pratiquent cette activité à côté d’un CDI par exemple; autrement dit, un nombre croissant de personnes cumulent plusieurs activités…à la recherche de compléments de revenus.”  

 

“Que dit le succès de l’économie collaborative ? C’est un indice de la crise de l’emploi peu qualifié....il faut inventer des moyens de créer de la stabilité, c’est-à-dire faire en sorte que le micro entrepreneur soit un vrai entrepreneur, une vraie personne autonome…. il faut distinguer entre les opérateurs et les places de marchés. Les premiers fixent les prix, reversent une partie. Les secondes mettent en relation offre et demande, on est dans une relation bilatérale. Il va falloir définir des prix minimaux pour ces tâches….

La question qui se pose aujourd’hui est de savoir quelle forme de négociation collective peut se mettre en place, quelle forme de régulation sociale serait optimale.” Pour que les auto-entrepreneurs ne se retrouvent pas dans un piège, il faut travailler sur trois dimensions : l’accès au crédit, l’accès à la formation et à des protections minimales en cas de maladies, d’accidents….

 

“Par ailleurs, il faudrait vérifier que chacun choisit vraiment son volume d’heures, qu’il n’est pas obligé par la plateforme d’accepter toutes les propositions. En outre, le statut d’auto entrepreneur devrait avoir une meilleure visibilité. Cela signifie qu’il faut arrêter de le modifier en permanence….

Enfin, il faut inventer un dialogue social entre les plateformes et les mirco-entrepreneurs. Dans notre droit, le dialogue social se fait entre employeurs et salariés. Il faut réussir à l’élargir, en l’absence de lien de subordination.” 

 

“Cependant, une analyse plus poussée montre que ces inquiétudes sont, pour partie, infondées. Sur la base d’une étude qualitative approfondie réalisée auprès de 50 micro-entrepreneurs pour comprendre leurs motivations, leurs situations, la nature de leur activité, les revenus générés, ainsi que les types de places de marché utilisées, l’auteur identifie quatre profils :

 

les « malins ». Ceux-ci ont un statut (salarié, fonctionnaire, retraité), des revenus fixes et souhaitent optimiser leur temps et arrondir leurs fins de mois. Ils privilégient les plateformes d’intermédiation sur lesquelles, parce qu’ils disposent des compétences suffisantes et sont peu ou pas dépendants des revenus perçus via ce canal ; ils sont en position de négocier leurs tarifs

 

les « serviables ». Minoritaires, leur motivation est la plus fidèle à l’esprit de l’économie collaborative : ils sont davantage poussés par le besoin de rompre leur isolement et de créer du lien social que par l’appât du gain. Prix et temps passé sont dans ce cas plus décorrélés

 

les « micro-franchisés ». Ces derniers ambitionnent à terme de tirer l’essentiel de leurs revenus de leur activité. Dans la perspective d’une pérennisation de celle-ci, ils privilégient les opérateurs

 

• les « contraints ». Il s’agit des personnes vulnérables (bénéficiaires de minima sociaux, sans-papiers), dont la démarche relève d’une logique de survie.  

 

Pour les deux premières catégories de micro-entrepreneurs, les places de marché digitales présentent des avantages indéniables, parce qu’ils savent et peuvent exploiter ces outils à leur avantage pour disposer de nouvelles sources de revenus, ces prestataires cumulent les avantages du statut (régime social stable) et du travail indépendant (flexibilité des horaires, choix des missions et des clients).

Le constat est plus nuancé pour les « micro-franchisés » qui ne perçoivent pas toujours les limites, en termes de couverture sociale, du statut d’auto-entrepreneur. 

En revanche, pour les « contraints », l’apport des plateformes peut prêter le flanc à la critique : les opportunités économiques auxquelles elles donnent certes accès, ne garantissent pas le bénéfice d’une protection sociale – ou d’une protection sociale suffisante, faute de percevoir des revenus suffisants, ni de réelle perspective d’évolution.  

 

la question sur les formes de l’intervention des pouvoirs publics pour réguler cette nouvelle économie est alors posée.